CLIQUE WEAR : Dapper Dan le styliste de Harlem

Derrière les blousons d’Eric B. & Rakim et la salopette en cuir de Mike Tyson se cache un génie absolu de la pop culture, qui a réussi à recycler les codes des marques du luxe pour les faire redescendre dans la rue avec un humour dévastateur, en devenant dans certains cercles, aussi célèbre que ces marques elles-mêmes.  

Daniel Day alias Dapper Dan, est né dans les années 50 avec une cuillère en fer-blanc dans la bouche à Harlem, New York. Il grandit en guenilles avec trois frères ainés et des cousins déjà bien avancés sur la voie du crime. Autour de lui la dégaine est importante, quand on vit dans la mouise c’est un des rares moyens d’en jeter quand même. Les macs et les escrocs de la 125ème rue l’ont bien compris, à l’époque peu de gens peuvent s’offrir des costumes anglais et des chemises en soie dans le quartier.

Sous la protection de ses ainés, Dan devient un joueur professionnel fameux. Il est déjà systématiquement tiré à quatre épingles, pour son plaisir évidement, mais aussi pour imprimer immédiatement un ascendant psychologique sur les futurs perdants. Localement célèbre pour ses gains et son allure, il réalise que si son sens des cartes est unique, son style pourrait-être partagé. Avec son énergie et son sens du business, il commence par faire monter les marques chics du bas de la ville vers Harlem, car les habitants de son quartier ne font pratiquement jamais le chemin dans l’autre sens pour s’habiller. Il se tourne ensuite vers le commerce de la fourrure car la demande est forte mais les points de vente pratiquement inexistants au dessus de la 110ème rue.

En 1983, Dan ouvre un magasin qui porte son nom au 43 east 125ème, où il fabrique et vend des fourrures en se calant sur des prix toujours inférieurs au marché.

Les marges sont moins importantes mais le volume de vente fait la différence et les affaires prospèrent. Ses clients se tirent la bourre à qui aura le manteau qui claque le plus et Dan réfléchit à comment étancher leur soif de luxe. Il commence par faire des razzias de sacs chez Gucci pour ensuite les démonter et intégrer les cuirs monogrammés sur ses propres créations, c’est splendide et hors de prix mais les hustlers de la ville ne comptent pas leurs dollars lorsqu’il s’agît d’épater la galerie.

Super industrieux, il réussit avec son équipe à créer du cuir et du tissu monogrammé de bonne qualité, c’est le début de l’aventure. Cependant, Dan n’est pas stupide, il se doute bien qu’un jour les marques de luxe vont lui tomber dessus, mais en bon joueur pro, il se lance à 200km/h. Dès lors, sa créativité ne connaît plus de limite et coïncide avec l’explosion du crack à New York.
Ce n’est pas un détail et ça fait toute la différence, des figures du trafic comme Alpo Martinez ou Azie Faison ramassent jusqu’à 100 000 $ par semaine, ils ont envie que ça se voit et claquent des grosses sommes chez Dapper Dan, qui leur fabrique spécialement les pièces les plus dingues.

« Uptown was Alpo, son, heard he was kingpin, yo » Nas, Memory lane, illmatic.

Comme aujourd’hui, les stars du rap admirent les dealers, pour être au rencard ils font aussi leur shopping chez Dapper Dan, et vice-versa, les dealers admirent les rappeurs et copient leur style.

Certifiées Harlem, mélange d’imprimés Louis Vuitton, Gucci, Fendi et MCM et de vison, autruche, crocodile ou python, les créations de Dan sont un exemple de réappropriation, tirant vers le ready-made des surréalistes.
Selon moi, ses pièces sont à apprécier avec la même considération que les empilements Brillo boxes d’Andy Warhol.

En un clin d’œil, Dapper Dan passe dans la stratosphère, son magasin, ouvert 24/7 devient l’épicentre de la hype crimino-hip hop de NYC.

LL Cool J , Big Daddy Kane, The Real Roxanne, KRS One, Salt ‘N’ Pepa , Run DMC , Fat Boys, Public Enemy, Eric B. & Rakim etc. toute la royauté du rap mais aussi des centaines d’anonymes aux poches pleines, représentent Dapper Dan dans tous les coins chauds de la ville.

Une nuit d’été en 1988, Mike Tyson qui dépense sans compter chez Dan, se frite devant le magasin avec Mitch Green, un poids lourd haterz à la ramasse.

Pendant ce temps-là, les affaires continuent : vestes, sacs, chapeaux, combinaisons deux ou trois tons avec tous les imprimés possible, Dapper Dan travaille surtout sur commande et il n’y a rien qu’il ne customise pas.
Intérieur de voiture Gucci ou Vuitton, il imprime aussi sa marque sur des sneakers rééquipées dans ses ateliers.

Ses modèles sont imités par tous les fabricants cheap de New York et il marque l’industrie du cuir pour toujours. Dan fait fortune et il devient une star lui aussi. Mais la gloire est aussi ce qui précipite sa chute ; les marques de luxe, furieuses d’être ainsi malmenées se retournent contre lui, la mode passe, les clients se détournent. Dapper Dan encaisse les dividendes et prend le maquis, mais le hip hop devient moins chic…

On peut toujours sentir son influence aujourd’hui en parcourant les stands des puces de Clignancourt ou de mauvaises imitations de goose down et des zippers cuir avec le drapeau algérien dans le dos se battent en duel. Et je donnerais cher pour le blouson Louis Vuitton des Fat Boys.