Anaïs Volpé a 28 ans et s'apprête à présenter "Heis (Chroniques)", son premier long-métrage, dans lequel elle tient le rôle principal aux côtés de Matthieu Longatte, l'auteur des vidéos "Bonjour Tristesse". Le film sort en totale indépendance le 5 avril en France, après avoir remporté le Prix du Meilleur Film International au très prestigieux Los Angeles Film Festival en 2016. Retour sur une trajectoire hors du commun.
Heis (Chroniques) raconte l’histoire ordinaire de Pia, une jeune femme dont les rêves d’artiste s’opposent aux désillusions de son frère jumeau Sam, un sportif paumé. À l’approche de la trentaine, les jumeaux vivent chez leur mère et traversent le vertige d’une jeunesse qu’ils ont du mal à quitter. Dans ce film intimiste (qui se décline aussi à travers une web-série et une exposition photo), Anaïs Volpé dresse en filigrane le portrait d’une génération qui n’a grandi qu’avec le chômage pour horizon, mais qui tente par tous les moyens de faire sa place au soleil. Un petit peu comme la réalisatrice…
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Anaïs Volpé : Je suis réalisatrice et comédienne. Mon premier film s’appelle Heis (Chroniques) et il sort le 5 avril dans quelques salles de cinéma en France, en totale indépendance.
D’où viens-tu ?
Je suis née à Toulouse et j’y suis restée jusqu’à l’âge de 18 ans. Je suis partie à Paris juste après mon Bac.
La bande-annonce de Heis (Chroniques), le très réussi film d’Anaïs Volpé.
Ton film est une histoire familiale sur fond de dénonciation sociale. Qu’avais-tu envie de montrer ?
Je voulais montrer qu’en France, on a une jeunesse super volontaire, et qui a envie de faire des choses. Je trouve qu’on ne nous laisse pas toujours la chance de nous exprimer ou de faire des choses. Il faut faire beaucoup de sacrifices pour accéder à des choses qui sont finalement très simples.
J’avais envie de raconter l’espoir qui ne quittera pas cette jeunesse qui a envie, malgré toutes les difficultés. De ces gens qui se font peut-être mal en tenant la barre, mais qui ne la lâchent jamais.
Ce film m’a beaucoup fait penser à l’Auberge espagnole par sa thématique…
C’est marrant, parce qu’on ne me l’avait jamais dit. Par contre, on m’a beaucoup dit La Haine de Mathieu Kassovitz, dans le sens générationnel. Ce n’est pas du tout le même contexte mais il y a de ça aussi. Peut être que les gens ont retrouvé l’urgence de gueuler des choses…
Sorti en 1995, La Haine a marqué un tournant cinématographique pour toute une génération.
Tu joues le personnage principal qui, comme toi, se bat pour réaliser ses rêves d’art. Comment s’est passé le processus d’écriture ? Où s’arrête la réalité, où commence la fiction ?
Je ne voulais pas qu’il y ait de distance avec le public. Je voulais que ce soit très frontal. Tout a été écrit et très répété avec les comédiens, en amont. Même le montage était écrit avant même que le film ne soit tourné, alors que souvent les spectateurs du film pensent que c’est très improvisé au niveau du montage.
Le film ressemble vraiment à un documentaire dans certains points…
Oui, on croirait à du documentaire, pourtant c’est une fiction. Et c’est ce que je souhaitais. J’avais envie que le public se sente proche de chaque personnage. Après, au-delà de ce qu’ils traversent, cela reste quand même mes coups de cœur, mes coups de gueule, ma sensibilité dans la vie. Je me sers beaucoup des personnages pour dire ce que j’ai besoin de dire. Surtout au travers de la sœur, Pia.
« Ça reste quand même mes coups de gueule, ma sensibilité dans la vie, au travers des yeux du personnage de Pia. »
Tu es l’actrice principale, la réalisatrice et la scénariste de ce projet. Est-ce que ce n’est pas trop compliqué ?
De manière générale, je te dirais oui. Mais sur ce projet on est vraiment sur quelque chose de très particulier… À l’origine, je ne voulais pas du tout jouer dedans. J’avais peur de me planter et d’être trop présente. Mais d’un point de vue logistique c’était plus simple. Je peux juste te dire que je ne jouerai pas dans mes prochains films. Mais je jouerai pour d’autres, si le projet me plaît.
Le comédien Matthieu Longatte joue dans ton film. On le connaît des vidéos « Bonjour Tristesse ». Comment vous vous êtes rencontrés ?
Il y a quelques années, il était en train de distribuer des flyers à Beaubourg (à Paris), pour un film dans lequel il jouait. Je lui ai parlé, un peu par hasard, et on s’est super bien entendus. On s’est revus plusieurs fois et on est devenus très amis. Du coup, je lui ai écrit un rôle dans mon premier court métrage, Blast, où on était frère et sœur. Régulièrement, on nous appelait pour un casting pour jouer des frères et sœurs. Ça nous amusait beaucoup. Ensuite, c’est devenu un frère dans la vie, donc c’était très bien que ça soit lui qui interprète le rôle du frère dans le film.
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Matthieu Longatte et Anaïs Volpé, frère et sœur devant la caméra.
Pourquoi l’avoir choisi ?
Matthieu est quelqu’un qui m’a toujours touchée. Je l’ai connu bien avant Bonjour Tristesse. Quand on a joué ensemble dans Blast, mon premier court-métrage, ça m’a paru évident de travailler avec ce mec, parce que c’est quelqu’un que j’aime vraiment beaucoup. Et puis, je ne sais pas, c’est fluide. Je ne me suis pas beaucoup posée de questions. Ça m’a semblé vraiment naturel. Même chose pour les autres acteurs principaux du film, Émilia Derou-Bernal, Alexandre Desane et Akela Sari.
Matthieu Longatte joue Sam, l’autre rôle principal du film d’Anaïs Volpé.
C’est plus simple pour moi d’écrire pour des gens que je connais dans la vie. Ça va plus m’inspirer que d’écrire une histoire et passer un casting.
Ce film a été réalisé de manière totalement indépendante. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Disons que le film a été fait en dehors du schéma classique de la production cinéma (NDLR, en gros : écrire un scénario, trouver un producteur, trouver des financements et partenaires -notamment des chaînes TV-, trouver un distributeur, puis faire le film). Au début, je me demandais si je voulais démarcher des producteurs afin d’être accompagnée financièrement dans cette aventure. Puis, je me suis dit que ce n’était pas très honnête d’aller soulever un ou deux millions d’euros pour faire un film qui parle de la jeunesse qui galère mais qui se débrouille avec pas grand chose…
J’ai préféré le faire en système D pour me confronter frontalement au sujet. Surtout que c’est quelque chose qui me parlait particulièrement, que je connaissais et vivais quotidiennement.
L’avantage de l’auto-production, c’est que l’on peut faire son film dans une très grande liberté – et j’ai adoré ça.
Mais l’inconvénient, c’est le jour où tu souhaites revenir dans le circuit pour distribuer ton film et le voir sortir en salles. Là, ça devient plus compliqué. Mais ce n’est pas infaisable !
Pendant longtemps, avec l’équipe du film, on a espéré avoir un distributeur – surtout que des distributeurs nous avaient contactés car ils avaient aimé le film. Mais on n’avait pas l’agrément du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC) (NDLR : il s’agit d’une validation qui indique que le film a été fait dès le départ dans le respect de certaines conventions collectives, de normes etc. Cet agrément permet au distributeur d’un film de percevoir des aides pour sa diffusion) C’est très compliqué et c’est ce qui peut, par la suite, freiner un distributeur de prendre ton film pour le sortir en salles.
De gauche à droite : Matthieu Longatte, Anaïs Volpé, Émilia Derou-Bernal et Alexandre Desane au festival de Rotterdam, où le film était sélectionné en février dernier. Heis (Chroniques) a remporté le prix du meilleur film étranger au dernier Los Angeles Film Festival.
Comment avez-vous fait pour distribuer le film, alors ?
Émilia Derou-Bernal, une des actrices du film, a décidé de créer elle-même une structure de distribution, (Territoire(s) Film), pour qu’on distribue le film nous-mêmes. Nous ne voulions pas que le film reste dans un tiroir et on voulait se retrousser les manches pour lui laisser sa chance en salles.
C’est nous qui démarchons toutes les salles pour que le film puisse voir le jour dans le plus de villes possibles. Le film sort le 5 avril en France. On a décidé de le sortir dans un cinéma central, par ville.
Par exemple, à Paris ça sera au cinéma Le Luminor, à Hôtel de Ville. Et dans les autres villes, nous avons déjà pas mal de cinémas confirmés dès mi-avril.
Depuis le mois de février, on a pu déléguer un peu quelques pôles ; nous avons maintenant deux supers attachées de presse (Aurélia Loncan et Charlaine Marchal) qui nous aident beaucoup. Et si on arrive également à faire vivre le film aujourd’hui, c’est beaucoup grâ
À l’origine tu étais partie pour tenter ta chance en tant que comédienne, mais tu es devenue aussi réalisatrice…
Cela faisait six ans que je vivais à Paris. Par hasard, j’ai vu une affiche dans la rue pour un concours de montage au Forum des Images en 2012. C’était un concours où l’on pouvait apprendre le montage grâce à une formation en ligne. Je me suis dit juste pour le fun, « je vais le faire », et j’ai appris à monter comme ça. J’ai fait une vidéo qui s’appelle Mars ou Twix ; ce n’est pas quelque chose dont je suis particulièrement contente aujourd’hui, mais ça me rappelle le bon temps de mes débuts en montage. La vidéo a vite été vue par beaucoup de gens, j’ai eu pas mal de réactions, ça m’a encouragée. Et c’est comme ça que ça a commencé, petit à petit, en enchaînant les courts métrages et les festivals.
« Mars ou Twix », réalisé par Anaïs Volpé en 2012.
Quelle a été la suite après cette première vidéo ?
Sur la même dynamique, j’ai participé au Mobile Film Festival en 2013, en réalisant et montant un nouveau petit film : Cherry.58.
CHERRY.58 from Anaïs Volpé on Vimeo.
C’est un super festival.
Même sans argent, sans rien, tu peux créer et faire des choses.
À ce moment-là, une représentante d’une grande chaîne française était venue me voir pour me conseiller de réaliser une série… Et c’est comme ça qu’a commencé l’aventure Heis, qui est une mini-série à la base. En parallèle, j’avais trouvé une production pour mon premier court-métrage, Blast, qui m’a permis d’avoir un petit budget. On a remporté le Prix du jury au Festival international des jeunes talents Paris-Pékin, 2013.
La bande-annonce de « Blast », réalisé en 2013.
Les choses se sont finalement enchaînées assez vite, non ?
C’est paradoxal, parce que j’étais arrivée à un moment où j’avais eu pas mal de déceptions dans le domaine artistique et j’avais décidé de tout arrêter. J’avais même signé un CDI en tant qu’hôtesse d’accueil dans une brasserie parisienne. Je travaillais là-bas depuis plusieurs mois.
Comment as-tu rebondi ?
Le prix que j’ai gagné avec mon court-métrage Blast permettait d’être invité par l’ambassade de France à Pékin pendant dix jours. J’ai fait une rupture de contrat à la brasserie et je suis partie en Chine. Une fois sur place, l’Institut Français de Pékin m’a donné une bourse et je suis restée six semaines. C’est là-bas que j’ai commencé à écrire et tourner Heis (Chroniques).
Heis, ou le parcours d’une famille parisienne confrontée aux frustrations de la vie d’adulte : entre rêves d’art pour certains, et désillusion sportive pour d’autres.
Quand je suis rentrée en France, j’ai continué à travailler sur Heis. Au début, c’était parti pour n’être qu’une série de quelques épisodes. Finalement, j’en ai aussi fait un long-métrage, en plus, et une installation artistique.
Pourquoi avoir fait le choix de transformer une série en un long métrage ?
Une fois la série terminée, j’ai très vite compris que je ne pouvais pas le vendre ailleurs.
Les processus d’acquisition de séries sont très compliqués en France. Là, tout avait été fait hors-circuit. Et au-delà de ça, j’ai senti que le projet pourrait être meilleur en long métrage.
Lorsque j’ai terminé, la série était devenue très très complémentaire avec le long. Donc j’ai décidé de la garder.
Avec Heis, tu as réussi à réaliser une série et un film sans études de cinéma, alors que Pia – le personnage que tu joues – est en sortie d’études mais tente désespérément de décrocher une bourse pour les reprendre. Quel a été ton rapport aux études ?
Je n’ai pas poursuivi mes études. J’ai pratiquement tout appris sur le terrain. Après ça, j’ai énormément travaillé dans les centres d’appels et en tant que serveuse. J’avais parfois des périodes où j’avais deux jobs en même temps. J’ai ensuite été comédienne de théâtre ; je me suis beaucoup concentrée sur ça parce que c’était ma passion première et que c’était pour ça que je suis venue à Paris.
Quand on t’écoute, on se demande si finalement l’indépendance n’est pas une des seules options viables pour un(e) jeune réalisateur(ice)…
La manière dont j’ai fait le film résume un peu ce postulat : je voulais faire les choses exactement de la même manière que cette jeunesse qui se démène et qui se débrouille pour exprimer son art.
Heis (Chroniques) sort mercredi 5 avril au cinéma Luminor à Paris. Séances dans le reste de la France prochainement.
Pour en savoir plus sur le film, visitez le site officiel.
Repères biographiques :
1989 : Naissance à Toulouse
2007 : Vient vivre à Paris
2012 : Réalise sa première vidéo, « Mars ou Twix »
2013 : Participe au Mobile Film Festival avec « Cherry.58 »
Réalise « Blast », premier court-métrage officiel, qui remporte le Prix du jury au Festival international des jeunes talents Paris-Pékin
2016 : Réalise « Heis (Chroniques) », qui remporte le prix du Meilleur Film International au Los Angeles Film Festival
2017 : Sortie de « Heis (Chroniques) » en France