« Oh tu sais c’est pas grave, c’est que du divertissement« . Cette phrase, c’est Cauet qui l’a prononcée pendant son émission du soir, lundi 8 février sur NRJ, à son invité Mathieu. Math comme on le surnomme, est un Youtubeur. Sa chaîne MathPodcast dépasse les 400 000 abonnés et ce soir là il était invité pour s’expliquer au sujet du buzz du jour qui a secoué sa petite vie et toute la sphère Youtube Française.
Plus tôt dans la journée, des membres du 18-25 (forum de jeuxvideo.com) ont démontré, vidéo à l’appui, que sur sa chaîne, Mathieu volait du contenu d’autres Youtubeurs anglophones. Si les cas de suspicions de plagiat fleurissent régulièrement sur Youtube, celui-ci avait quelque chose en plus : il ne laissait aucune place au doute. En effet, Math a copié, au plan près, une dizaine de vidéos de Youtubeurs américains, avec comme seule valeur ajoutée une traduction en français. Suite à cet évènement et après avoir refusé de répondre à tout un tas de médias, il choisit le micro de Cauet et ses 250 000 auditeurs pour s’expliquer.
Après huit minutes d’explications molles et d’arguments peu convaincants (Math évoque notamment le fait qu’il n’aime pas écrire mais aime faire des vidéos, d’où la tentation de la copie), Cauet lâche donc cette phrase, d’apparence anodine mais révélatrice d’un mal qui perdure dans l’entertainment Français.
En l’entendant, plusieurs interrogations me viennent à l’esprit. Le divertissement peut-il être une chose si dérisoire quand on s’appelle Cauet, qu’on a touché à tout dans le domaine ? Quand on a fait de la télévision, du stand-up, de la radio, en occupant systématiquement au fil des ans un statut de numéro un ? Le divertissement est-il si peu important dans la tête de quelqu’un qui en a fait sa vie, son business et qui a bâti un véritable empire autour de ça ?
Est-ce bien sérieux de réduire le divertissement à une futilité, à une chose sans importance quand on s’adresse à un youtubeur aujourd’hui ? En 2016, le temps où une poignée d’adolescents se filmaient dans leur chambre pour le plaisir semble appartenir au Moyen Âge. Aujourd’hui les Youtubeurs sont de plus en plus pros, certains – dont Math – sont devenus de vraies stars et le business s’est invité à la fête depuis qu’une partie d’entre eux brasse des centaines de milliers d’euros par mois. Loin de moi l’idée de critiquer l’argent que gagnent les Youtubeurs, cet argent est souvent mérité et acquis à force d’une production de contenu continue et de qualité. Mais réduire la plateforme de streaming à un simple divertissement c’est oublier qu’elle permet à des jeunes adultes d’être millionaires et l’argent comme toujours modifie grandement la donne. Pour donner un exemple dans un autre domaine : qui aujourd’hui serait assez fou pour penser que le football de très haut niveau n’est encore que et seulement du football ?
Dire que tout ça n’est que du divertissement – donc finalement une chose peu importante – c’est tout excuser et tout autoriser. C’est dire que copier c’est pas bien grave. Des enfants meurent bien en Syrie.
Ces huit minutes de radio resteront pour moi un moment dramatique de la vie culturelle française. Elles font résonner dans ma tête un passage tout aussi navrant, arrivé quelques mois plus tôt sur le plateau de Cyril Hanouna. On parle encore de plagiat, mais cette fois ci d’une séquence copiée chez Conan, la star des Late Shows US. Conan avait fait tout un monologue, attristé de voir une idée de son staff recopiée à l’identique par une émission inconnue hors du sol français. Après le buzz de la vidéo de Conan, la réponse d’Hanouna était édifiante. Au lieu de s’excuser et d’admettre son erreur et le manque d’imagination de son staff ; il avait pavané, clamant devant un public acquis à sa cause et sa bande de chroniqueurs hilare, qu’ils étaient enfin connus aux États-Unis. À ses rires et son tour d’honneur s’opposait sur l’écran géant du plateau le visage déconfit de Conan.
Ces deux séquences se complètent, illustrant la chute vertigineuse du niveau d’originalité des contenus proposés par les divertissements en France. Évidemment, ni Cauet ni Hanouna ne peuvent attaquer le plagiat. Ce serait mettre un doigt dans un engrenage sans fin qui obligerait tout un tas de leurs confrères à confesser les pillages. Par exemple, le générique d’Arthur copié/collé sur celui du Late Show de Craig Ferguson, les clips sans musique du Petit Journal « inspirés » des Musicless Videos ou encore le « Détecteur de Mensonges des Enfants » de l’émission de Stephane Bern, version low-cost du format de Kimmel. Au lieu donc d’exposer les vols, ils préfèrent se protéger entre eux comme une bande de potes se protégeraient vis-a-vis de leurs copines après une virée au bordel.
La catastrophe réside dans le message envoyé par les animateurs, qui comptent parmi les personnalités les plus influentes chez les jeunes. Ce message, c’est celui de la valorisation de la paresse, la récompense de la copie et la mort de la création originale. Hanouna se jette des fleurs, méprise la colère des américains. Chez Cauet on rigole, on se tape dans le dos et on se dit qu’on le refera plus. L’animateur star blanchit Mathieu, la vie peut reprendre son cours comme si de rien n’était . Voilà ce qu’il en coûte aujourd’hui de copier et de tuer la création : rien. Ou pire, un quart d’heure de gloire en rab. Les jeunes, vous savez donc ce qu’il vous reste à faire si vous voulez attirer l’attention et vous faire connaître. Pas besoin de vous cultiver, d’être curieux et de travailler. Non, contentez vous de bien suivre en cours d’anglais.