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Mode
Par Kahina Agoudjil

QUI ES-TU ? Lisa Bouteldja, « beurettocrate militante »

Des mises en scène outrancières et des légendes de photo telles que « Je shine bright like a jante bien lustrée », « Algérie couleurs Gucci » ou encore « Première DZ sur la lune » : lorsqu’on l’a découverte sur les réseaux sociaux, Lisa Bouteldja nous a beaucoup intrigués. Et pourtant…

Derrière le personnage Instagram, Lisa, 22 ans, est diplômée de la meilleure école de mode du monde et se ré-approprie (dans tous leurs excès) les codes de la banlieue et de l’orientalisme pour mieux les déconstruire. On a parlé avec elle du mot « beurette » (et de ses revendications face à ce terme dégradant), mais aussi de mode, de patriarcat, de contrefaçon et du fantasme de la banlieue…

Clique : Qui es-tu ?
Lisa Bouteldja :
Lisa Bouteldja, personnalité et artiste multi casquettes LV. J’ai 22 ans, née un 5 juillet, date anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, Cancer ascendant Cancer.

Quelle est la définition du mot « beurette » ?
Selon Larousse, c’est une jeune femme d’origine maghrébine née en France de parents immigrés. Selon Google, c’est autre chose.

Pour toi, qu’est-ce qu’une beurette ?
C’est à la base un concept de « bonne arabe intégrée » inventé par un gouvernement français de gauche au début des années 80. Pour la France, une arabe intégrée, c’est une arabe laïque, dévoilée, qu’il faut libérer de son frère et de son père. Cette idée est dans la continuité d’un système colonial de patriarcat blanc qui, sous couvert de féminisme à l’occidentale, a créé une véritable obsession autour de la femme maghrébine. Ça a commencé dès l’époque Napoléonienne avec le fantasme autour de la femme orientale, lascive et passive, dans les peintures et textes orientalistes. En opposition à l’homme oriental qui, lui, est violent et barbare.

Cette obsession a continué pendant la colonisation. En Algérie dans les années 50, il y avait par exemple des cérémonies de dévoilement où des colons arrachaient le voile de femmes sur la place publique, au nom de l’émancipation de la femme.

En 2018, la société française a toujours cette obsession autour du voile islamique. Pas étonnant que ce mot ait vite basculé en catégorie porno… En France, le stéréotype de la maghrébine c’est soit une voilée, soit une bimbo de télé-réalité. « Beurette », je crois que c’est le pire mot qu’on puisse employer à l’égard d’une femme. Une beurette, c’est un concept au croisement de fantasmes et d’oppressions racistes, post-coloniales, orientalistes, sexistes et classistes. C’est la cristallisation de tout ce qui angoisse la France.

© @olgacbozalp

On t’a souvent qualifiée de « beurette ». À partir de quel moment as-tu commencé à recevoir ce genre d’insultes ?
Ça fait partie de la liste « beurette, bougnoule, sale arabe », des petits noms qu’on nous a toujours donnés, souvent « pour rire » d’ailleurs. Après forcément sur Internet, là ou les langues se lient et se délient, on est encore plus exposé.e.s à ce genre de propos.

Mais peu connaissent vraiment tout ce que recouvre le mot « beurette », et l’utilisent au même titre que « cagole » ou « bitch ».

Quand est-ce que tu t’es dit que tu allais te ré-approprier ce terme ?
Au tout début c’est parti d’un délire, je m’appelais ‘franco-beurette’ en référence à mes origines franco-algériennes. C’était il y a cinq ans, c’est même encore mon blaze snapchat (rires). C’est de l’autodérision pour provoquer le dérangement. Un jour j’ai balancé le mot « Beurettocratie », un mélange de beurette et aristocratie, comme si j’étais Présidente auto-proclamée d’une élite de beurettes.

Que tu sois escort sur les Champs ou sœur voilée, on se fait toutes insulter de beurette. C’est un mot qui incarne un nombre record d’horreurs, mais malheureusement ce mot existe, il est là. Donc quelle est la solution, se boucher les oreilles pour ne pas entendre ? Nos parents et grands-parents ont trop souffert pour que ma génération se taise. J’ai décidé de me ré-approprier le mot pour le détourner, comme je détourne d’autres codes orientalistes et clichés rebeus. C’est de la résilience.

C’est seulement maintenant que j’arrive à intellectualiser tout ça, au départ c’était une démarche inconsciente venue naturellement. J’ai la rébellion dans le sang, je ne suis pas née un 5 juillet pour rien. En revanche, je ne dis pas que se ré-approprier le mot c’est la solution. C’est ma manière de faire ma guerre silencieuse en utilisant la mode, l’art et l’humour.

© Lisa Bouteldja

Qu’est-ce que la beurettocratie ? Est-ce que derrière ce terme se cache un but politique ou militant ?
Quand j’ai vu que ça a tapé dans l’œil et dans le cœur de sœurs et de frères, ça m’a donné envie d’aller plus loin. La beurettocratie, c’est pour celles et ceux qui ont décidé de prendre le pouvoir qui leur revient de droit. C’est pour ceux qui ne veulent pas courber l’échine. C’est un état d’esprit, une alliance invisible de minorités visibles qui veulent devenir quelqu’un pour exister.

Tu penses quoi de la rime « J’vais à la chicha qu’pour les beurettes », (entendue dans le morceau « Génération Assassin » de Booba) ?
Le truc, c’est que si j’étais un gars, j’irais à la chicha pour les beurettes aussi. On ne va pas se mentir, les orientales sont des frappes. (rires) Au-delà de ça, cette phrase reflète un vrai problème social. Mais ce n’est pas à Booba qu’il faut s’en prendre, ni à ceux qui vont en chicha pour les beurettes, mais à comment et pourquoi on en est arrivé là.

© Sarah Ben Romdane

Comment as-tu commencé à t’intéresser aux vêtements ?
Je ne peux pas précisément dire quand, car d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été totalement obsédée par la mode.

Tu viens des Vosges à la base. Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter ta région pour venir t’installer à Paris ?
Je ne suis pas passée par Paris au départ. Après le bac, j’ai fait Saint-Dié-des-Vosges – Londres sans transition. Et la raison qui m’a fait quitter ma vallée, c’est ma dalle. J’étais prête pour conquérir le monde et tout ce qu’il y a dedans. J’ai toujours eu des rêves plus grands que le monde, j’ai tout fait pour me barrer aussi vite que possible et de la meilleure des manières. J’ai pris ma fusée spatiale vitesse maximale et hasta la vista, je n’ai plus votre temps.

Quel est le regard de ta famille sur tes activités et tes revendications ? Ils te soutiennent ?
J’ai de la chance car ma famille a confiance en moi. Ils m’ont vu grandir avec ces mêmes rêves qui m’animent depuis toujours. Alors ils ont fait le meilleur pour moi, m’ont laissé aller vers ce à quoi j’aspire. Je suis l’aînée de ma famille. J’ai aussi envie d’ouvrir les portes pour mon petit frère et ma petite sœur, et de leur prouver qu’en travaillant on peut faire de grandes choses. Peu importe ton histoire, c’est à toi de prendre le stylo et d’écrire la suite.

© Lisa Bouteldja

Tu étudies en Angleterre, précisément à l’école Central Saint Martins, l’une des écoles de mode les plus prestigieuses du monde. Comment as-tu été admise là-bas ? Tu as quel niveau d’études ?
C’est même censé être la meilleure école de mode du monde, selon les classements. Je viens tout juste d’obtenir mon diplôme. Je suis contente d’être arrivée au bout pour pouvoir pleinement me consacrer à mes projets. Franchement, si j’ai quelque chose à dire à ceux qui veulent faire carrière dans la mode, ne perdez pas votre temps à faire des études.

Qu’est-ce que l’industrie de la mode t’inspire ? Tu veux y travailler plus tard ?
J’y ai déjà mis un pied, mais je crois que j’aime trop la mode pour travailler dedans pour l’instant. C’est une industrie qui peut te faire vite perdre le goût de ce que tu aimes, surtout à Paris.

Quelle est ta perception des musulmans au Royaume-Uni, en particulier par rapport à la France ?
En France, on est dans un système assimilationniste, alors que les Anglais vivent dans une société multiculturelle où on accepte plus ou moins les différences ethniques et signes religieux. Dans le fond, je ne sais pas si ça prouve que le Royaume-Uni est moins raciste. Mais la question de l’Islam, par exemple, n’est pas une obsession centrale, comme c’est le cas en France. Ici, tu vois des officiers de police en hijab et ça ne dérange personne.

© @romainbjames

Quelle est ta pièce préférée de ta garde-robe ?
Il y en a plein. Ma préférée du moment, c’est une robe dos nu Dior des années 2000. Aussi rare que dar.

Comment et où te procures-tu tes vêtements et accessoires ?
C’est un travail d’investigation journalier digne de l’inspecteur Tahar. Je ne fais pas de shopping dans les grandes enseignes. J’ai souvent une idée précise d’une pièce ou d’un look, je peux passer parfois des jours à chercher. Mes bases sûres sont eBay, Vinted, Depop, les magasins ratchet et même les marchés.

© Lisa Bouteldja

Nous sommes dans une époque où l’apparence règne, et où les vêtements et accessoires de luxe prennent le dessus sur le marché de la mode. En revanche, toi, tu assumes clairement porter de la contrefaçon. Pourquoi ?
Quel est le message ? Il n’y a pas de message en fait, chez nous le falsh ce n’est pas nouveau. Quand j’avais douze-treize ans, on portait tous des sacoches Burberry ou Louis Vuitton du bled, des faux bijoux et ceintures, parfois des faux survêtements…

Quand j’ai débarqué à Paris l’année dernière, ça a surpris la bobocratie parisienne. Quand on me dit « waaah elles sont trop belles tes boucles d’oreilles Chanel », je vais pas dire « merci, c’est vintage », je vais dire « 5 balles à Château Rouge ». Pourquoi mentir et se créer des complexes ? Après, à cette heure-ci, j’ai autant de vrai que de faux dans ma garde-robe.

Je peux associer un sac Balenciaga à 1200 euros et des lunettes Emilio Pucci avec un survêtement de l’Algérie de Porte de Clignancourt.

 

© @romainbjames

Que penses-tu de la ré-appropriation par la mode des signes de banlieue, et de ce fantasme de la banlieue que les parisiens alimentent ?
C’est de l’exotisme de proximité. Comme l’a dit Alice Pfeiffer, quand on voit les Parisiens qui se déguisent en « racaille », on parle même pas des mecs de banlieue d’aujourd’hui, qui eux sont en Philipp Plein, Gucci… mais ils se déguisent en racaille des années 90, début 2000 : survêt Sergio Tacchini et Nike TN.

C’est le fantasme de celui qui te faisait la hagra à la cour de récréation. Le problème, c’est que c’est un peu gênant de s’approprier des codes de la banlieue alors que c’est un territoire abandonné de la République et diabolisé dans les médias depuis des années.

Selon toi, où se trouve la limite entre le sexy et le vulgaire ?
Ça dépend pour qui ! La vulgarité, c’est un concept franco-français. Il n’y a qu’en France que l’on m’a qualifiée de « vulgaire ». L’idée du chic à la française est une femme bourgeoise, parisienne, mince, peu maquillée. Si tu ne rentres pas dans ces codes, t’es forcément jugée.

Pour moi, la vulgarité n’existe pas, car il n’y a pas de bonne ou mauvaise manière d’exister en tant que femme.

© Lisa Bouteldja

Quelles sont tes influences mode ?
Mon enfance. Grandir dans le début des années 2000 m’a influencé dans mon goût pour tout ce qui brille.

Pour toi, qui est la meuf la plus stylée que la Terre ait jamais portée ?
Rihanna, à une époque. Là, je ne sais pas trop ce qui se passe, mais depuis qu’elle est sortie avec son milliardaire saoudien elle s’est transformée en khalti tunisienne. Riri il faut se ressaisir ! Dans trois-quatre ans la meuf la plus stylée sera Lisa Bouteldja, le temps qu’elle monte en puissance, soyez patients.

Quelle photo de toi a le plus fait parler ?
La photo Kalashicha. C’est la photo qui me représente le plus jusqu’à aujourd’hui. Pleins de symboles cachés tah illuminati.

© Lisa Bouteldja avec sa Kalashicha.

L’objet/accessoire indispensable pour une tenue réussie ?
Une tenue sans accessoires, c’est comme un kalb el louz sans amande. Par exemple, une paire de lunettes de soleil ça peut faire passer un outfit de basique à turfu.

Tu prends quoi au grec ?
Poulet, salade, tomate, oignon, sauce blanche, piment, frites et sauce algérienne à côté. Boisson : Ice Tea.

© @romainbjames

Quel goût pour ta chicha ?
Kalashisha seulement, goût cerise.

Tu sais faire de la moto cross ?
Non, je préfère ma Lamborghini Aventador gold.

Tu as déjà fait de la boxe thaï ?
Oui, il y avait un club Muay Thaï en bas de chez moi l’année dernière.

© @romainbjames

Les shorts de boxe, c’est sexy ?
C’est puissant.

Gucci ou Louis Vuitton ?
C’est comme devoir choisir entre mon père et ma mère.

Selecto ou Poms ?
Selecto bien sûr, tahia Djazair.

© Lisa Bouteldja

Vrai ou falsh ?
Vrai.

Paris ou Londres ?
La Lune.

France ou Algérie ?
La Méditerranée.

Ongles Rihanna ou rouge à lèvres ?
Les deux.

Paris Hilton ou Kim K ?
Kim K ma srab.

Le mot de la fin ?
Ce n’est que le début.

Vous pouvez suivre Lisa sur Instagram.

Image à la une : © Lisa Bouteldja

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