À travers les 100 pages de "Poussière d'étincelles et verres fumés", on retrouve cette certitude que l'homme est cinglé. Les verres fumés de son titre, Mehdi Masud les garde d'ailleurs sur le nez en permanence. Il nous parle de son bouquin à coup de punchlines.
Qui es-tu ?
Mehdi Masud, j’ai 34 ans, né sous le signe du Scorpion, écrivain, ex-journaliste.
Dans quels médias as-tu été journaliste ?
J’ai commencé à Technikart, puis j’ai enchaîné chez les meilleurs, à mon avis.
C’est-à-dire ?
Les médias où tu peux traiter de tous les sujets de façon totalement libre. C’est à la fois intéressant et difficile, aujourd’hui on a de moins en moins de journaux indépendants. Avant, on a avait des titres comme Hara Kiri, qui étaient impertinents. C’est de cette presse que je suis issu.
Comment as-tu commencé le journalisme ?
Ça a commencé par une rencontre avec quelqu’un dans une soirée. Je venais de foirer mon bac. Il m’a proposé de venir le voir à sa rédaction. J’étais alors comme un matelot qui explore un navire. Je n’avais aucun plan B, aucun projet dans ma vie. D’ailleurs, je n’en ai toujours aucun. Ça a commencé comme ça.
Et ensuite ?
Puis il y a eu la naissance de mes enfants, j’ai eu besoin d’argent. Je ne pouvais pas qu’écrire pour faire face au bordel de ma boîte aux lettres. J’ai donc arrêté le journalisme pour travailler ailleurs.
Dans un call-center notamment ? L’une de tes nouvelles se passe dans cet univers.
Oui, j’ai bossé un an dans plusieurs call-centers. Ça m’a appris beaucoup de choses sur l’être humain.
Comme quoi, par exemple ?
J’ai compris que tous les gens sont tarés. On a tous nos névroses, nos souffrances, mais on ne le sait pas. C’est la consommation et la télé qui nous endorment. Mais c’était bon pour moi de me plonger dans cette découverte.
À ton avis, ces névroses sortent d’où ? Elles sont innées chez l’Homme ?
Elles sont produites par l’enfance, les humiliations, les frustrations, le manque d’amour.
C’est plutôt affligeant comme constat, non ?
Non, la névrose et la dépression sont à la mode dans le monde occidental, mais c’est juste qu’on y accorde trop d’importance.
Revenons à ton ouvrage : on y voit de nombreuses références à Cioran et Mallarmé. Ils t’inspirent ?
Pour Cioran, c’est plus une blague qu’autre chose. Je l’aime bien mais je n’en suis pas obsédé. Lui et Mallarmé, pour moi, ce sont des penseurs du vide.
C’est quoi un penseur du vide ?
C’est quelqu’un qui n’a pas peur de la mort.
Qui t’inspire ?
Je ne lis pas du tout les contemporains. Je préfère les anciens, comme Moravia, Hemingway, Céline, Fitzgerald, Bukowski, Queneau, Camus… J’aime beaucoup d’auteurs américains. Il y a Hermann Hesse, aussi.
Quand as-tu plongé dans la littérature ?
Vers l’âge de 11 ans je me suis mis à lire des livres sérieux. J’ai commencé par les Jules Verne, puis j’ai lu Agostino, de Moravia. C’est un roman très sensuel, qui m’a transporté dans le Sud de l’Italie. J’avais l’impression de sentir le soleil sur ma peau et de ressentir les désirs des personnages.
Et quand t’es-tu mis à l’écriture ?
J’ai commencé à écrire quand on me le demandait, d’abord scolairement, puis dans la presse. Quand je lisais certains papiers, je me disais : « Je peux en faire autant ». Puis j’ai sorti ce livre. C’est pour moi la première marche de l’escalier.
Que sera la deuxième ?
Un deuxième bouquin, c’est mon nouveau rêve, j’espère que ce sera un roman. Je suis très lent, comme la tortue-tigre d’une de mes nouvelles.
Pourquoi avoir choisi cet animal – qui figure en couverture – d’ailleurs ?
Pour moi c’est l’animal parfait, doté de sagesse, qui traverse les âges et les époques, indestructible avec sa carapace. Et le tigre représente la force et la cruauté.
Pourquoi ce titre de Poussière d’étincelles et verres fumés ?
Chacun l’interprète comme il veut, mais pour moi, les poussières d’étincelles symbolisent la frime, c’est éphémère. Les lunettes fumées servent à la fois à frimer et à se protéger des étincelles. Ça m’amuse. J’écris avant tout pour m’amuser.
Le sexe est assez omniprésent dans tes nouvelles, et en général, de manière assez désastreuse…
Ça fait partie de mon vécu. Quand tu n’es pas sincère dans ce que tu écris, ça ne fonctionne pas. Je m’inspire donc de mes échecs, mais avant tout pour être drôle.
Ceci dit, j’ai pas attendu de sortir un bouquin pour avoir du succès avec les femmes.
Tu te montres assez critique sur la télé dans certaines nouvelles, non ?
Non, je ne suis pas critique. Je pose un regard froid et distant, une simple observation. Le lecteur se fait son propre avis. Après, depuis que je vis seul, je ne regarde jamais la télé, sauf pour la NBA.
On peut lire plusieurs allusions à l’armée et aux grades aussi…
Oui, ça m’amuse beaucoup que les gens aient ce rapport de domination et de soumission aussi explicite. Après, il y a des rapports de force partout, dans les sentiments, au travail, pour aller à La Poste. C’est amusant.
Pas insupportable ?
Non. Le racisme aussi, ça m’amuse beaucoup. C’est fascinant d’observer une telle bêtise. Je ne fais pas dans le militantisme. Le féminisme et l’antiracisme, ça me regarde pas. Les gens feraient mieux de s’occuper du bordel qu’ils ont dans leur tête plutôt que de s’occuper des autres.
Tu votes ?
Toujours à la dernière seconde, par culpabilité. Je ne peux pas laisser une personne gagner sans avoir donné mon avis.
Pourtant de nombreux auteurs que tu cites se sont engagés : Camus, Céline ou Bukowski, si l’on considère l’anarchisme comme un engagement…
Justement, j’aime leurs œuvres jusqu’à ce qu’ils s’engagent. Céline, j’adore, mais ça m’emmerde à partir du moment où il fait des trucs engagés. Je préfère le cri d’un homme seul.
Quel est le fil conducteur de toutes tes nouvelles ?
Le ton. L’histoire est accessoire. C’est un peu un exercice de style, tu peux raconter n’importe quoi avec du style. Céline disait qu’un bon écrivain pouvait raconter l’histoire d’un mec qui promène son chien autour d’un lampadaire.
En lisant tes nouvelles, je pense un peu à Houellebecq, et son regard désabusé sur le monde. Il t’inspire ?
C’est l’un des seuls qui me paraissent avoir quelque chose de différent. Mais je ne veux pas être pollué par ce qui se passe autour. Là, mon bouquin coûte 10€ pour que chacun puisse l’acheter, les étudiants, les RMIstes, les cadres. Toutes proportions gardées, j’estime être à égalité avec Houellebecq, avec un sex-appeal 30 fois supérieur et un livre deux fois moins cher. Mon livre, c’est le meilleur du monde.
Même pas un petit regard pour notre dernier prix Nobel de littérature ?
C’est qui ?
Patrick Modiano.
Ah oui. J’ai pas vraiment le projet de le lire.
Comment tu trouves l’inspiration ?
Par l’observation, d’abord. Puis je dois être plongé au bout du désespoir. Je dois me prouver à moi-même que je sais toujours écrire. À chaque fois que je finis un texte, je ne sais plus écrire. Quand j’écris, c’est pour être publié. J’écris pas avec un foulard et une bougie.
Mehdi Masud à Radio Marais le 12 mars. Crédits photo : Radio Marais.
Tu te sens proche d’autres genres littéraires ? De la poésie ? Du théâtre ?
Si tu remarques bien, à la fin du livre, il y a un pastiche de poésie. C’est une façon non-assumée de faire de la poésie. Les poètes nous emmerdent à chialer. Comme je le dis dans le bouquin, ce sont des « raclures d’âmes plaintives et colis plein de foutre tourné ». Pour le théâtre, j’aime bien Antigone, d’Anouilh. Mais à moins qu’on me file un paquet de fric pour le faire, je n’écrirai pas de théâtre, c’est pas dans mes projets.
Tu as trouvé l’inspiration pour ton prochain livre ?
Pas encore. Je m’occupe de celui-là pour le moment, on commence à en parler dans les médias. Mon seul projet, c’est mon deuxième bouquin.
Qui sera le meilleur de l’univers ?
Ouais.
Quelque chose à ajouter pour le mot de la fin ?
Le titre de mon livre me plaît, mais j’aurais voulu l’appeler Le triomphe français.
Une allusion au Suicide français d’Éric Zemmour ?
Comme tu veux.
Poussière d’étincelles et verres fumés, Crispation éditions, 10€, 104 p.