Jeune artiste tunisien, Mohamed Akacha expose pour la première fois ses toiles colorées à Paris. Rencontre avant son vernissage, mercredi 28 janvier.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Mohamed Akacha, j’ai 31 ans, je suis né à Tunis. Je suis artiste peintre. Au départ je faisais du handball, tout était tracé. Mais après un accident, j’ai été cloué au lit pendant trois mois et demi. C’est là que j’ai commencé à dessiner et que tout s’est enclenché.
J’ai fait une année de Beaux-Arts en Tunisie, mais j’ai été déçu par l’esprit.
Je viens d’un quartier populaire de Tunis, je m’attendais sûrement à plus de modestie, plus de contact. J’ai donc décidé de postuler aux Beaux-Arts de l’Aquila, en Italie. Là-bas, mon prof d’Histoire de l’Art a vu mes dessins, et il a adoré. Après le séisme, j’ai voulu aller à Paris mais financièrement c’était trop compliqué, alors je suis rentré en Tunisie.
Deux peintres m’ont poussé, Tarek Fakhfekh et Majed Zalila, et j’ai fait ma première exposition à Tunis en novembre 2012.
Comment s’est-elle passée ?
Tout a été vendu, j’ai fait un « sold out ». Pareil pour une autre expo, à la Maison de France à Sfax. Ça marche très bien en Tunisie, mais l’expo qui commence cette semaine à Paris est ma première en France. Je me suis installé ici fin août.
Ton univers visuel est très coloré, très « pop », d’où cela vient-il ?
Walt Disney vit en moi ! J’ai toujours regardé des dessins animés. Même à 30 ans, je les préfère aux films. Et quand je me suis intéressé à l’Art, j’ai été inspiré par Dali, et surtout Warhol, mais aussi Jackson Pollock. Mon travail est très coloré mais en période de transition, quand je suis moins heureux, je travaille à l’encre de chine.
Tu utilises toujours les mêmes supports ?
Je travaille beaucoup sur toile. À Tunis j’avais un grand atelier, mais à Paris, l’espace me manquait. J’ai attaqué un nouveau support, les vinyles. Ça m’est venu un peu comme ça. D’autres boivent, fument pour trouver l’inspiration, moi c’est la musique. Sans musique je ne peux pas peindre. J’écoute surtout du groove des années 80, Afrika Bambaata…
Ton oeuvre comporte-t-elle un message particulier ?
Je ne mets pas directement le message dans mes tableaux, je le camoufle. Il y a un jeu : je veux que le message passe, mais qu’il y ait un effort de la personne quand elle regarde le tableau. Je suis contre le pouvoir, la domination.
Je dénonce la dépendance. C’est la rue qui m’inspire. Le chômeur, le mendiant, le riche.
Quand je suis dans un café en Tunisie avec des diplômés, qui sont à Bac + 5 et qui pensent à l’immigration clandestine, ça me touche, je dois faire un tableau.
À Paris, le milieu change, mais pas le concept. J’évoque le métro, la routine, le rythme de Paris. Je peins un visage le lundi, et le même le vendredi. Il change radicalement… Il faudra venir pour voir (rires).
En fait je parle simplement de sujets qui me touchent, de choses que je vois ou que j’ai vécues. Comme dans mon tableau « Fouta ». La fouta est une serviette traditionnelle qu’on donne au hammam. En Tunisie, quand une fille passe, que que ce soit un médecin, une prof, une journaliste… ils vont la draguer, ils vont se moquer d’elle, ils vont faire des choses que je n’accepte pas, ça m’énerve.
Ici, cette réaction existe moins.
En parallèle, j’ai un message optimiste, je peins des choses qui me font rire.
En Tunisie, par exemple, il y a une culture de voisinage. Si ma mère cuisine un plat qui sent bon, tout le quartier va en profiter, tout le monde se connaît, du coup, je peins des fenêtres avec des yeux qui sortent.
La Révolution tunisienne m’a inspiré. Dans mon tableau « Ras-le-bol », je dessine la Tunisie qui se tient la tête. J’ai fait un totem avec trois icônes de la Tunisie. Ça représente la troïka : le CPR, le parti islamiste Ennahdha et Ettakatol, les trois partis qui ont tenu le pays pendant deux ans. Ils n’ont pas tenu leurs promesses, et ont presque fait couler le pays.
Autour du totem il y a un petit serpent violet caché. Le violet est la couleur de Ben Ali. Il est toujours là, l’ancien régime. Il a les dents de Dracula. Il y a aussi le drapeau du Qatar, parce que je trouve que le Qatar sème la zizanie. J’attaque tout le monde, sans distinction. Ça, je n’aurais jamais pu le faire sous Ben Ali, je n’aurais jamais osé.
Tu es optimiste pour l’Art tunisien ?
Oui ! Ce n’est pas encore stable. Il y a une vraie liberté, mais un danger permanent. Il faut encore que les gens en Tunisie s’intéressent à l’art, il y a une habitude de la méfiance : une pièce de théâtre doit contenir des éléments particuliers, un tableau doit être esthétiquement beau et basta. J’arrive avec du rose fuchsia, du vert pistache, je peins des barbus. Les gens ont encore un peu peur, mais ça va de mieux en mieux !
Tu comptes retourner là-bas ?
Pour l’instant, je vis entre les deux. Je pense m’être installé à Paris pour un bon moment. Mais je suis presque sûr qu’après cette expo parisienne, j’en ferai une nouvelle à Tunis.
Vernissage le mercredi 28 janvier, à 19h30 à la Favela Chic
18 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris
L’exposition, organisée par Imene Lahmar, dure une semaine.