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REPLAY – Le Gros Journal avec Stéphane de Freitas et Elhadj Touré : « L’éloquence, c’est quand tu parles avec le coeur »


Le Gros Journal avec Stéphane de Freitas… par legrosjournal

Le Gros Journal se consacre à Eloquentia, le concours d’éloquence des étudiants de l’université de Paris 8 de Saint-Denis. Sur le plateau, Stéphane de Freitas, 30 ans, qui co-réalise avec Ladj Ly le film À voix haute, un documentaire qui retrace le parcours d’étudiants de l’université de Saint-Denis durant le concours Eloquentia 2015. Il sera accompagné d’Elhadj Touré, demi-finaliste cette année-là, qui se livrera sur le plateau à une démonstration d’éloquence, avec Kiss Sainte-Rose et Ouanissa Bachraoui, autres protagonistes du documentaire. La question à partir de laquelle ils devront argumenter : « Faut-il voter ? »

Mouloud : Salut et bienvenue à Paris 8 dans le 93, le 93ème arrondissement, cette fac, un jour, j’y suis allé pendant trois jours et je me suis dit, c’est pas mal la fac. Et ça me fait plaisir d’y revenir pour parler d’un film qui s’appelle “À voix haute” ou l’éloquence veut dire quelque chose. On regarde tout de suite la bande-annonce et on revient.

Mouloud : Sur les bancs de la fac, le Gros Journal a posé son plateau, on va parler d’Eloquentia, qui est l’association qui est derrière ce film “À voix haute”. Avec moi, Elhadj qui a participé et que l’on a vu dans la bande-annonce dont on va regarder des extraits tout à l’heure dans le film À voix haute, et Stéphane qui est le fondateur un petit peu de tout ça. Est-ce que tu peux juste nous expliquer ? On connaît les concours d’éloquence, c’est-à-dire que souvent les avocats, après leurs études de droit, ils se font des battles un peu comme dans “8 miles” sauf qu’ils se disent : “Naan, toi la justice, toi l’injustice” et comment est-ce que tu as décidé de ramener ça pour en faire ce que l’on a vu dans ce film “À voix haute” ?
Stéphane : En fait, à l’origine, moi j’ai grandi en Seine-Saint-Denis, et j’avais moi-même des carences, j’avais du mal à m’exprimer, j’avais des petits tics de langage en mode “Comme aç, t’as vu”. Et quand j’ai fait des études dans un autre environnement on va dire, dans Paname, j’ai vu à quel point on me discriminait par la façon dont parfois j’avais ces expressions-là et que l’on préjugeait de ce que j’avais dans la tête, de mon intelligence, parfois de ma sensibilité. Et je me suis rendu compte à quel point le mot, en fait, te permet de construire ta pensée. C’est un instrument qui permet aussi de montrer, de faire preuve de subtilité, de nuance et d’interagir avec les autres.

Mouloud : Elhadj, comment est-ce que toi tu as perçu le projet quand il est venu te voir ?
Elhadj : Je ne me sentais pas forcément prêt à ce moment. Mais derrière, je suis venu assister à une des soirées, et je me suis dit, mais c’est « ouf » en fait ce qu’il est en train de se passer. Là, c’est tout près de chez moi, c’est dans ma face, il y a un événement monstrueux qui est en train de se dérouler, je me suis dit, je ne peux pas passer à côté de ça en fait. C’est une expérience de vie qui est énorme.

Mouloud : Alors Stéphane, qu’est-ce qu’il faut pour pouvoir participer à un concours d’éloquence ?
Stéphane : Eloquentia, si tu veux t’exprimer en rimes, en alexandrins, en slam, peu importe, utilise la forme avec laquelle tu es le plus à l’aise.

Mouloud : J’ai cru que tu allais dire “en slip” !
Stéphane : En slam et en slip !

Mouloud : T’as vu, tu as cru toi aussi ?
Elhadj : Ouais j’ai cru aussi !

Mouloud : Il allait dire en rimes, en slip…
Stéphane : Il ne le dit pas, mais les premiers tours, il les a faits en slip en vrai…nan je rigole
Elhadj : On ne va pas tout révéler non plus !
Stéphane : Mais c’est la forme avec laquelle tu es le plus sincère. Parce qu’en vrai, quand on me dit : “c’est quoi l’éloquence ? C’est quoi les rouages ?” Mais l’éloquence en vrai, c’est juste quand tu parles avec le coeur, parfois il y en a qui parlent avec les tripes, et en fait, il y a un terme que j’aime bien : c’est la congruence. C’est-à-dire quand tu es cohérent entre ce que tu penses, ce que tu as dans le cœur et ce que tu as dans les tripes, alors les mots qui sortent en fait…

Mouloud : C’est congruence ?
Stéphane : La congruence.

Mouloud : Le film sort avant les élections, pourquoi avoir décidé de sortir ce film maintenant ?
Stéphane : Ce qu’il s’est passé, c’est que l’on commence à tourner. Et le film se fait. Ça a mis un bail. On a fait 11 mois de montage. Les plans, on les faisait en rollers pour les travellings, tu vois.

Mouloud : Normal.
Stéphane : C’est vraiment du handmade.

Mouloud : J’aime bien, il prononce un mot anglais avec l’accent rebeu.
Elhadj : C’est ce que je me suis dit aussi !

Mouloud : Du handmade !
Elhadj : Handmade !

Mouloud : Je n’ai jamais entendu ça moi ! Ok, ça marche. Pourquoi le sortir en salle, juste avant une élection présidentielle ? Mais pourquoi cette élection-là, où aujourd’hui, le plus grand parti de France, c’est l’abstention ?
Stéphane : En vrai, on le sort maintenant, parce que ce film, il parle de jeunes qui ont différentes voies et dans une génération qui est la génération la plus métissée de l’histoire de l’humanité. On arrive à un moment paradoxal, c’est-à-dire que l’élection qui se présente, c’est peut-être celle où l’on nous invite le plus à nous diviser. On s’est dit à un moment donné dans ta vie, tu as une opportunité d’envoyer un film qui raconte la réalité, parce que ces jeunes-là ils sont à la fois extraordinaires parce qu’ils se battent, ils viennent à l’université, ils vont au bout de leurs rêves, ils essaient d’avoir une voix qui porte, mais ils sont à la fois tellement ordinaires.

Stéphane : lls ressemblent beaucoup à cette jeunesse dite de banlieue, que l’imagerie qu’on a créée inconsciemment. J’ai kiffé La Haine, j’ai adoré Ma 6-T va crack-er mais en vrai, la jeunesse dite de banlieue ressemble beaucoup plus à celle, qui à mon sens est dans mon film, que l’on ne voit peut-être pas comme violente, comme dans le business de drogue.

Mouloud : Ni dans les clips de rap, la jeunesse qui vit en banlieue, elle vit en banlieue, elle n’est pas dans les écrans.
Stéphane : Exactement.

Mouloud : Est-ce qu’il y a un extrait du film que tu veux choisir pour que les gens comprennent la patate qu’ils vont se prendre quand ils vont aller en salle ?
Stéphane : Une partie du film qui me touche le plus, c’est la séquence en fait sur “Charlie Hebdo” on voit les jeunes qui parlent sur “Peut-on rire de tout ?” “Peut-on se parler de tout ?” et on voit justement que quand tu mets un cercle de questionnements, de bienveillance, on peut être différent et finalement on peut se comprendre et on peut faire évoluer une réflexion et s’accepter.

Mouloud : On regarde juste cet extrait qui est arrivé juste après les malheureux attentats de Charlie Hebdo, une pensée aux victimes bien évidemment.

EXTRAIT : « On peut avoir des cultes sensibilités différentes en France à partir du moment où on a la culture de l’autodérision. On peut rire de tout en France, à partir du moment où on s’attaque à une autre culture, je pense qu’il faut faire attention. »

« À partir du moment où on nous dit : “Ah non ça c’est du domaine privée, on ne peut pas toucher, ah non ça on ne peut pas toucher, ah non ça c’est une autre culture, tu comprends on ne peut pas rigoler, ah non ça”. On commence comme ça, on arrête l’humour, l’humour, c’est un combat et la parole c’est un combat, et c’est une arme et moi je pense et j’ai envie de faire des blagues qui vont dans mon sens et je sais qu’en face de moi il y a des gens qui ne pense pas comme moi. »

Mouloud : Il y a une question, que je me pose, c’est que quand vous parlez de la nécessité du dialogue : dialogue ça va avec écoute, est-ce que l’on est dans une société où les gens ont de plus en plus de mal à s’écouter ou pas ?
Elhadj : C’est surtout avec, je le ressens surtout avec les réseaux. On a tendance à balancer beaucoup d’infos, beaucoup de choses qui sont parfois très négatives sans forcément prendre attention à vérifier la source de ces infos ou pas et derrière, ça crée des situations qui sont un peu tendues où l’on ne s’écoute plus trop, où chacun juge, tout le monde donne son jugement, et c’est vrai que malheureusement, c’est quelque chose qui commençait à prendre de plus en plus feu et moi c’est un truc qui me dérangeait aussi, mais au sein d’Eloquentia ça n’a absolument rien à voir. Nous ce n’est pas comme ça. Quand on était au sein de la formation, on s’écoutait tous, on venait tous de milieu totalement différent, mais il n’y avait pas de jugement.

Mouloud : Mais moi je ne te juge pas sur ton t-shirt avec des oiseaux.
Elhadj : Non il est génial ! Arrête.

Mouloud : Il est génial.
Elhadj : Non. C’est faux.

Mouloud : Mais vraiment, je suis bienveillant.
Elhadj : Tu as compris alors.

Mouloud : Il y a quand même quelques moments dans le film où tu faisais moins le malin que maintenant.
Elhadj : Ah c’est vrai.

Mouloud : On l’a vu souffrir dans le film.
Elhadj : Oui, je ne vais pas mentir. Je ne vais pas mentir, ouais il y a des moments où je paniquais quand même pas mal.

Mouloud : Je me pose une question qui fâche, mais pourquoi est-ce que quand on voit ce film, on a l’impression que c’est réservé juste à une fac de banlieue alors que ça pourrait arriver partout. Moi j’ai l’impression que, certes, il y a les problèmes de la banlieue, mais la ruralité, la province, les jeunes partout en fait sont concernés par ça.
Stéphane : Oui, mais carrément en vrai, depuis que l’on a commencé la tournée, dans toutes les villes, il y a eu des jeunes qui nous ont dit, comment on fait pour créer un concours de prises de paroles, on l’explique, ça peut-être “Eloquentia” ça peut ne pas être “Eloquentia”, mais faites-le, et qui vont se lancer dans l’organisation.

Mouloud : Alors là, on est dans une fac, et moi quand je venais à la fac, j’ai pas fait mes devoirs. Mais par contre, je vous ai demandé de préparer un devoir : c’est qu’il y a une question qui m’obsède, c’est que dans quelques jours, on va élire un ou une présidente et que la plupart de mes potes, dont moi, disent tous la même phrase, “Ouais voter, mais pour qui ?” On ne sait pas pour qui voter, on ne comprend pas et la plupart de mes autres potes disent “Moi je ne vais pas aller voter, ça me saoule !” Donc je vous ai demandé qu’on organise un concours d’éloquence, ici dans le Gros Journal sur le thème : “Voter contre s’abstenir”. Le concours d’éloquence du Gros Journal, c’est maintenant.

Mouloud : Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Ouanissa Bachraoui : Je suis Ouanissa Bachraoui.

Mouloud : Et vous défendez ?
Ouanissa Bachraoui : Et je défends le vote.

Mouloud : Et vous ?
Kiss Sainte-Rose : Je suis Kiss Sainte-Rose et je défends l’abstention.

Mouloud : Qui commence ?
Kiss Sainte-Rose : C’est moi.

Mouloud : Allez.

Kiss Sainte-Rose : Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, trêve de plaisanterie. Nous sommes le premier parti de France. Et si l’abstention était un vote ?
Moi abstentionniste, je vote contre cette pensée qui dit que l’engagement politique ne se résume qu’à se présenter dans les urnes.
Moi, abstentionniste, je vote contre la séduction politique à l’approche des élections. On nous cajole, on nous séduit, on nous charme et on nous pose un lapin ! Si ce n’est la carotte elle-même. La différence entre un oiseau et un homme politique, c’est que de temps en temps, l’oiseau s’arrête de voler.
Moi, abstentionniste, je vote contre ces représentants qui ne représentent guère que leurs propres intérêts. On nous voit comme des voix et nos propos sont enterrés. Moi, abstentionniste, je vote contre cette politique de l’argent qui oublie trop souvent les gens !
Moi, abstentionniste, je vote contre la non-reconnaissance du vote blanc. Résultat, se déplacer dans les urnes pour exprimer son désaveu ne vaut pas plus qu’un vote nul ? Ridicule ! Et c’est quand même moins démocratique.
Moi, abstentionniste, je vote contre cette politique qui ne nous laisse pas le choix. Je suis antillais, fier de l’être et je connais assez mon histoire pour savoir que forcer quelqu’un à faire quelque chose, ça finit rarement en soirée zouk ! Et c’est quand même moins démocratique. J’ai des mots faciles, mais j’ai aussi des mots pratiques. Là, il n’y a rien à comprendre, c’est juste pour la rime.
Moi, abstentionniste, je vote contre cette politique complètement déconnectée de la réalité. Parce qu’en réalité, leur réalité n’est pas notre réalité. Certains n’arrivent même pas à épargner avec 200 000 euros par an. Certains ne connaissent même pas le prix d’un ticket de métro. Si j’étais mis en examen, vous pensez qu’on me laisserait le micro ?
Moi, abstentionniste, je vote contre cette politique qui ne cesse de nous décevoir. J’oppose une fin de non-recevoir ! Moi, abstentionniste, je vote pour l’espoir. L’espoir d’un retour du pouvoir au peuple. L’espoir que quelqu’un me donne envie d’aller voter autrement que par l’abstention. L’espoir, qu’enfin, les choses changent. L’espoir que ce message ne soit pas ignoré. Parce que j’aime la France. Donc oui, moi, abstentionniste, je vote, sans pour autant mettre un bulletin dans l’urne. Mais je vote. Il faut juste comprendre que lorsqu’on n’a rien à y gagner, il n’y a aucune importance à vouloir participer.

Mouloud : On vient d’entendre l’abstentionniste.

Ouanissa Bachraoui : Michel Denisot disait plutôt sur ce plateau :”voter c’est gratuit, ne pas voter peut coûter cher.” Kiss, la France tu l’aimes, mais moi je l’aime plus que toi. Tu l’embrasses certainement, tu l’enlaces également, mais tu es prêt à la laisser périr dans ses tourments. Tu ne souhaites pas voter, car tu ne te reconnais pas dans leurs programmes, car tu ne t’identifies pas à ces hommes et cette femme que je ne nommerai pas. Mais ils ne me représentent pas non plus. Entre ceux qui fixent le prix du pain au chocolat, ou chocolatine à quelques centimes – 15 pour être précise – et ceux qui estiment le prix du ticket de métro à quatre euros, je me sens autant manipulée et rabaissée que toi par ce que j’entends à la télévision et par ce que je lis dans le métro. Mais ne pas voter, Kiss, c’est choisir l’extrême, ne pas voter, Kiss, c’est laisser s’imposer un climat de haine. Selon ton vote, ou ton abstention, tes amis pourront pratiquer leur religion ou non. Ils pourront exprimer leurs pensées, ou non. Diffuser leur art, ou non. Accéder à certaines fonctions, ou non. Jouir de leurs droits les plus basiques, ou non. Bref, tes amis pourront exister dignement, ou avoir une place fictive au sein de notre société. Nous sommes français lorsque Griezmann, ou “Grizou” comme j’aime à l’appeler, marque un but. Nous sommes encore français lorsqu’il s’agit de dégainer sa carte verte, communément appelée carte vitale, pour bénéficier de soins. Nous sommes aussi français dans la tragédie Kiss, mais nous sommes tristes, inquiets et en colère dans la tragédie. Alors, évitons celle qui se profile et qui ne cesse de gangrener le corps de notre République. Corps dont nous sommes la tête, les jambes, mais surtout le coeur. Battons à l’unisson, battons-nous ensemble et unissons nos forces parce que toi, plus lui, plus elle, plus tous ceux qui le veulent feront l’avenir de demain. Être français, tel est notre destin, et ce n’est pas une fatalité. Être français, c’est connaître hier et pouvoir maîtriser demain. Aujourd’hui, le jour de gloire s’éloigne, mais le jour de honte semble se rapprocher. Alors aux urnes citoyens, je ne vous demanderai pas de former vos bataillons, mais de prendre garde, car nous risquons d’entendre dans nos campagnes mugir des féroces soldats. Mais qu’ils soient tous prévenus, contre toutes les formes de tyrannie, notre carte d’électeur, elle, est élevée. En 2017, soyons ensemble, mobilisons-nous et votons.

Mouloud : Je crois que je vais aller voter, j’ai été convaincu là. Kiss, je ne vais pas m’abstenir. On va aller voter, on va prendre notre carte d’électeur et on va aller sauver la France parce que je pense que la dernière personne à pouvoir les sauver, c’est tous les Français avec leurs cartes d’électeurs. Merci beaucoup d’avoir regardé le Gros Journal, le film “À voix haute” sort en salle cette semaine. On se retrouve demain à la même heure, sur Canal +, allez voter et à demain.

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