Le 9 septembre dernier, Quiksilver, la marque culte des sports de glisse, a déposé le bilan. Parmi ses marques, DC Shoes, fabricant légendaire de chaussures de skate. La faillite de cette compagnie américaine serait-elle révélatrice de l'état actuel de la culture skate ?
Apparu à la fin des années 50, le skateboard a su influencer la musique et la mode, s’imposer dans nos rues et notre culture, d’est en ouest, et de manière transgénérationnelle. Aujourd’hui, l’industrie mondiale du skate est entre les mains de multinationales telles que Nike ou Redbull. Toute ? Non ! Car à New York et en Europe, des collectifs d’irréductibles skaters résistent encore et toujours à l’envahisseur venu de la côte ouest.
Jeu vidéo « Tony Hawk Pro Skater 5 », saisie d’écran.
En Californie, Tony Hawk, sacré neuf fois champion du monde de skateboard aux X Games, a laissé des traces. Le skater y est propret, il a le cheveu long et la peau cuivrée. Nike SB, la ligne skatewear du géant américain, a fait des ravages avec son onéreuse compétition, la Street League, et laissé un espace aseptisé. La culture skate originellement antisystème et rebelle est trahie. Seule la performance compte, sous le soleil de Cali ; le skateboard est lobotomisé.
Compétition de skateboard Redbull Hart Lines
À l’Ouest, donc, rien de nouveau. Les grandes marques de skate qui hantaient la cour du collège sont ringardisées et en faillite. DC Shoes, la filiale de baskets de skate de Quiksilver, a déposé le bilan. Seuls Nike, Adidas, Converse et Van’s ont réussi à garder un pied dans chaque bloc avec la niche des chaussures, simples et fédératrices. Le renouveau se fait à l’Est. Aujourd’hui, dans le marché du skatewear, ce sont les petits soldats de New York et d’Europe qui percent. Les collectifs de skate s’y approprient l’espace urbain et sa grisaille et choisissent méticuleusement leurs tricks : ils ne veulent pas de performance vide de sens. Ces jeunes ont le crane rasé, le visage cerné, l’air maladif ; adieu le bronzage de la West Coast, ici tout est gris. Les deux pieds sur leur board, ils écrivent un manifeste pour la rebellion contre cette société de masse et ses codes. Retour à l’essence même du skate.
Vidéo Paramount du collectif londonien Palace
C’est un retour au skate primitif que l’on cherche à l’Est, au-delà même du normcore que proposent des marques comme Palace, Öctagon ou Bronze. Les vidéos sont gratuites, en noir et blanc ou encore filmées à la VHS et complètement imprégnées de la culture Tumblr. Il est fini le temps des DVD de skateshop ou du Tony Hawk sur PlayStation. En Europe et à New York, on ne vend pas tant un produit qu’une identité visuelle.
Vidéo Surveyör du collectif français Öctagon
Avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs, la culture skate a repris du poil de la bête en se renouvelant considérablement après une période d’essoufflement dans les années 2000. Le rap a retrouvé sa place dans ce milieu, après que Blink 182 et autres Avril Lavigne ont substitué les rappeurs East et West Coast des années 90. Et vice-versa, si bien que l’on est aujourd’hui spectateurs des péripéties d’un Lil Wayne à roulettes.
Lil Wayne, via « Huh Magazine »
Le skate est redevenu sexy, hype et protagoniste de crossovers dans de nombreux milieux. Ainsi, le streetwear haut de gamme s’en inspire et donne naissance à d’improbables collaborations. Le géant américain Van’s tend aujourd’hui la main à la jeune maison russe Gosha Rubchinskiy, et Nike fait dans le mécénat en sponsorisant des skaters prometteurs. Mais alors assiste-t-on à la mort prochaine du skate made in California ? Finalement non, car un bloc n’existerait pas sans l’autre. Plus l’Ouest misera sur la performance, plus l’Est axera sa créativité aux antipodes de celle-ci. Et c’est indéniablement une dynamique essentielle pour que le renouvellement dans le milieu du skate existe et que cette culture soit pérenne.
Photographie à la Une © Maxime Verret