Conçu pour aller au-delà des évidences et des idées reçues sur les femmes de l’Égypte post-révolution, Woomanhood est un web-documentaire qui mêle interactivité, entretiens, et volonté didactique.
Elles ont pris le temps de chercher leurs mots, de trouver du sens aux définitions et d’éviter les raccourcis. Quinze Égyptiennes ont accepté de se placer devant la caméra de Florie Bavard, la réalisatrice et productrice de Womanhood : an egyptian kaleidoscop, pour parler de leur réalité, cinq ans après la révolution.
« Les femmes que j’ai interrogées en ont marre d’être représentées dans des formats stéreotypés avec comme seuls avatars l’odalisque lascive, la victime menacée ou la rebelle moderne qui utilise Facebook. Mon but était de sortir de ces trois références là », détaille l’étudiante à l’EHESS (École des Hautes Études en Science Sociale).
Chaque femme a réagit face caméra à propos d’un mot en livrant sa propre définition et sa réalité en Egypte.
L’Égypte a vu grandir Florie entre ses 7 et 10 ans. Presque quinze ans plus tard, la jeune femme a choisi ce pays comme terrain pour son mémoire de recherche qui portait sur les écritures autobiographiques de femmes en Egypte des années 1920 à nos jours. « La question principale était de savoir ce que voulait dire d’écrire le Je au féminin et porter ces écrits sur la sphère publique. Dans le cadre de ce mémoire j’ai réalisé une enquête de terrain où j’ai rencontré beaucoup d’auteurs et de blogueuses »
« J’ai perçu un ras le bol de la part de ces femmes à propos du traitement médiatique, notamment occidental, qu’elles subissent » .
C’est lors de la rédaction de son mémoire que naît chez elle l’idée de réaliser un web-documentaire. Plutôt que réaliser des portraits d’Egyptiennes, Florie décide alors de garder la même méthodologie académique que celle de son mémoire.
Pas de questions ni d’angles prédéfinis : la réalisatrice commence toujours avec par une conversation banale avec elles pour glisser progressivement vers un entretien plus profond. Au cours de ces discussions intenses, longues, décousues parfois, des mots reviennent et retiennent l’attention de la jeune chercheuse qui décide de les lister. Un abécédaire commence alors à prendre forme, créé de toute pièce par ces femmes qui se questionnent à voix haute sur la portée de mots simples comme : révolution, corps, activisme ou challenge.
Après avoir rendu son mémoire de recherche en 2013, Florie prend le pari de mettre en image cet abécédaire. Entre 2014 et 2015 elle réalise plusieurs aller-retours en Egypte et commence à filmer ces discussions.
« Je ne voulais pas faire du storytelling en présentant de simples portraits et faire dans le pathos. Je ne voulais pas non plus de récits de vie tire-larmes. Ce sont des visions du monde des perspectives, des regards portés sur des mots précis ».
« Il y a une intimité qui se crée lorsque l’on n’est pas dans l’anticipation de ce que l’on va dire et que la caméra se fait oublier. D’ailleurs les interviews qui fonctionnent le mieux sont celles où je ne m’embête pas avec la lumière, où je garde de la spontanéité » détaille Florie, qui se destine à l’anthropologie visuelle ( science spécialisée dans l’étude de la relation de l’homme à la production et à la réception des images).
15 femmes, 75 mots, 7 heures d’interview – Womanhood est un projet médiatique ambitieux qui ne conçoit pas la quantité comme une limite mais comme une preuve de la diversité des regards de ces femmes sur l’évolution de leur société.
« Avec ce projet, on n’a pas la prétention d’avoir une sélection exhaustive et révélatrice de ce que penserait la femme égyptienne. Pour nous le singulier ne veut rien dire ».
Rendre à la complexité égyptienne ses lettres de noblesse : c’est l’ambition du projet Womanhood. Dans une sphère médiatique mondialisée où les 140 caractères sont devenus l’alpha et l’omega de la réflexion, Florie Bavard et son équipe tentent d’allier au format du web-documentaire la rigueur universitaire.
« Ce format me permet de garder une méthodologie anthropologique tout en permettant de rendre mon travail accessible au plus grand nombre face à un monde académique qui reste parfois un peu trop dans l’entre-soi. »
« J’aimerais continuer à faire de l’anthropologie visuelle, c’est une discipline qui m’intéresse. Elle s’inscrit dans la quête pour trouver de nouveaux médias pour rendre compte de la voix des gens », argumente celle qui refuse de choisir entre la recherche et le documentaire.
En quelques mois une quinzaine de personnes se sont unies autour de Florie pour rendre possible Womanhood, avec notamment la graphiste Anaïs Bourdet (à l’origine de Paye Ta Shneck) et Benjamin Daugeron, qui s’est improvisé producteur. «L’équipe est constamment dispersée aux quatre coins du monde. L’UX Designer est à Lisbonne, la graphiste a travaillé depuis l’Argentine, et moi-même j’habitais à Istanbul pendant une partie de la conception. Nous avons formé une équipe moderne, métissée et technologiquement reliée» expose fièrement la réalisatrice de 25 ans qui n’oublie pas les longues heures de débat et les éternels aller-retours d’informations au sujet des moindres détails.
Mais la jeune femme considère que le plus dure est derrière elle. En Égypte, filmer en toute indépendance n’a pas été facilité par des autorités en proie à la paranoïa en ce qui concerne l’engagement politique de certaines de ces femmes dans lesquelles on retrouve notamment l’auteur engagée Nawal El Saadawi, pionnière dans la dénonciation de l’excision. Loin de jouer les « Indiana Jones des temps modernes », selon ses termes, Florie Bavard s’avoue tout de même heureuse d’avoir réussi à mener cette aventure jusqu’au bout.
« Quand je vois qu’il y a un écho autour de ce projet et qu’il y a autre chose que de la généralité simplificatrice qui est demandée cela me redonne un peu confiance. Je sens qu’il y a un besoin naissant d’écouter avant de tenter d’analyser. »
Ne manque plus qu’une seule étape au projet Woomanhood pour éclore : le sous-titrage, chose qui devient très compliquée lorsqu’on se retrouve face à 7 heures d’interviews disponibles et trois langues à satisfaire : l’anglais, l’arabe et le français. Si la jeune femme n’aime pas parler d’argent, son web-documentaire en a besoin. Ainsi une structure de financement participatif a été mise en place pour pouvoir permettre à ceux qui le souhaitent de financer la dernière étape de ce projet pharaonique. On ne sait pas encore quels termes ont été choisis pour cet abécédaire égyptien et citoyen, mais une chose est sûre, un mot nous restera en tête : merci.
Image à la Une © Capture d’écran Youtube.