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Société

2016, ANNÉE DE LA MERGUEZ

Quoi de plus fédérateur ?

Est-ce la clé de leur succès ? Les merguez sont à la fois mystérieuses et accessibles. Allez voir l’un de leurs fabricants, il vous parlera souvent de son « ingrédient secret », mieux gardé que celui du Coca-Cola. D’un autre côté, peu chères, simples à manger, piquantes sans trop l’être, et surtout grasses – on s’en rend compte lorsque l’huile inonde le grill, avant de couler sur les doigts – elles plaisent à tout le monde, ou presque.

À tel point que Saïd, protagoniste du film La Haine, sorti en 1995, ne peut leur résister. Merguez à peine volée en main, il détale sur le toit de l’immeuble de cité où son ami a installé un barbecue de fortune. Quelques francs pour une saucisse, c’est déjà trop cher pour lui.

Cette scène est aussi culte que fictionnelle, bien qu’il semble qu’elle en ait inspiré quelques-uns (lire : au Mureaux, « La merguez connection démantelée« ). Mais ce qu’elle montre est bien réel : la merguez est un aliment populaire, une nourriture d’extérieur, liée à la rue. On la sait venue du Nord de l’Afrique – sans pouvoir dire vraiment d’où, car plusieurs pays se la disputent toujours. En France, on la dit arrivée dans les années 50, en même temps que la première vague d’immigrés venus d’outre-Méditerranée.

Cela dit, on en retrouve déjà une faible trace plus tôt, sous l’Occupation. Pendant la Seconde Guerre Mondiale à Paris, raconte Jean Laloum, chercheur au CNRS, une femme venue d’Oran en Algérie se mêlait aux marchands ambulants de légumes, de gâteaux et d’épices. À l’heure de l’apéro, vers la rue des Rosiers, elle vendait des merguez aux Juifs originaires d’Afrique du Nord.

En plus d’un demi-siècle, la merguez est devenue un symbole. Pas partagé par tous, évidemment. Il y a dix ans, Pascal Combemale l’utilisait comme exemple dans le magazine Alternatives Économiques pour souligner la diversité culturelle des Français. Quand « les uns se régalent avec un sandwich merguez-frites, écrivait-il, les autres savourent du ragoût de chevreau ».

Tout de même, elle s’est très largement répandue – et en premier lieu dans le couscous (ce qui ne manque pas d’en faire hurler certains). Elle a envahi les stades, les meetings politiques de gauche… Dans le jargon policier, elle désigne une voiture volée que l’on a voulu camoufler – donnant parfois lieu à des titres de presse magiques, comme celui-ci, tiré du Parisien : « Arrêtés au volant d’une merguez ».

Avant tout, la merguez représente le temps de l’unité, du loisir, celui de la famille et des amis. Le soleil décuple son succès : alliée du barbecue et des rassemblements en plein air, elle est devenue, très vite, indissociable du beau temps et de ses lointaines cousines, les chipolatas (les vendeurs ambulants ou les bouchers ressentent cet effet « été » à tel point qu’ils doivent parfois diversifier leur activité l’hiver). La merguez, c’est les vacances, le week-end, les kermesses… Le Club Med, pour certains :

« Couscous party, merguez boulettes ». Cyril Wajnberg et ses « Méditerranénnes », interprètent « Couscous Party », en 1988.

À Strasbourg, la maison 100% alsacienne Pierre Schmidt voudrait concurrencer l’institution de la ville, la « Merguez Azoulay », et se vante de détenir la recette de la véritable « merguez traditionnelle ». À Paris, des jeunes organisent des soirées ouvertes à tous, sans prétention. N’importe qui peut venir y danser sur de la musique orientale revisitée. Ils les ont baptisées « Guezmer » (merguez, en verlan).

Ce ne sont quelques exemple en vrac. Mais si différents les uns des autres, ils montrent à quel point cette petite saucisse dispose d’un capital sympathie semble-t-il inépuisable… voire quelque fois gênant. Entre Cyril et les Méditerranéennes et Cheb l’Agneau, petit mouton animé qui ne veut pas qu’on le « transforme en merguez », on vous laisse déterminer le gagnant :


« Je suis bon qu’à donner de la laine, si tu m’bouffes t’auras mauvaise haleine » 

Comment expliquer cette affection collective pour la merguez ? Peut-être parce que c’est une denrée réconfortante, agréable, facile à s’approprier. Elle vient de partout comme de nulle part, appelle la convivialité.

Personne n’est vraiment d’accord sur son origine, ni sur sa composition (à nos risques et périls, attention aux fournisseurs), mais tout le monde a décidé de l’aimer comme elle est. Et c’est précisément de ce sentiment-là dont nous avons besoin, en cette année qui débute. Pour nous, 2016 sera donc l’année de la merguez. C’est vrai, au premier abord, elle pique. Mais finalement, rien n’est plus doux.

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