Leur handicap est devenu une revendication et leur rap un hymne à la paix. À l’âge de 17 ans, Namel Norris et Ricardo Velasquez ont chacun pris une balle perdue à New York, au coeur du Bronx. Depuis, ils ont formé un groupe de rap : 4 Wheel City (4 wheel : 4 roues, allusion à leurs fauteuils roulants), au sein duquel ils prônent la non-violence. “Tu te crois dur, tu penses que t’es aussi mauvais que moi, continue et tu finiras assis comme moi” (en version française) a clamé le duo à la Maison-Blanche il y a peu. Clique les a rencontrés.
4 Wheel City, « Welcome To Reality », l’un de leurs clips qui met en garde contre l’usage des armes.
Qui êtes-vous, Namel Norris et Ricardo Velasquez ?
Namel « Tap Waterz » Norris : Je suis un survivant, un diamant brut. Je fais partie du groupe 4 Wheel City. Je me définis comme une voix, un rappeur du nom de Tap Waterz qui utilise son talent pour essayer de changer le regard du monde envers toutes les personnes qui, comme moi, sont en fauteuil roulant.
Ricardo « Rick Fire » Velasquez : Je suis producteur, réalisateur et le beatmaker de 4 Wheel City. Je suis aussi papa. Je me définis comme un gars simple. J’essaie de tirer le meilleur d’une situation dans laquelle je n’ai pas demandé à être. Comme producteur, j’aime aussi donner aux autres la possibilité de briller sur mon son. À travers la musique, les clips et toute autre forme d’art visuel, les gens peuvent réaliser leurs rêves. J’aime participer à cet accomplissement.
Vous avez tous deux été victimes d’un accident, quelle est votre histoire ?
NN : J’ai pris une balle perdue quand j’avais 17 ans. Mon cousin s’amusait avec une arme. On avait l’habitude de jouer avec dans les rues. Il pensait que le pistolet était calé sur la sécurité à ce moment-là. Mais la balle est sortie. Le résultat a été une paralysie de la poitrine. Je suis maintenant confiné dans un fauteuil roulant à vie.
RV : Je rentrais chez moi après une soirée étudiante un soir et j’ai entendu des détonations dans le quartier. Les coups de feu retentissaient de partout. Une balle m’a frappé dans le dos. J’ai été paralysé de la poitrine aussi.
Aujourd’hui encore je ne sais pas qui m’a tiré dessus. J’étais juste un passant. C’est insensé, tout comme pour Tap (Namel Norris, NDLR).
Vous vous êtes rencontrés grâce à la mère de Norris, comment avez-vous commencé à produire du hip-hop ?
NN : On a commencé le premier jour où l’on s’est rencontré, en 1999. La première fois où je suis allé chez Rick il m’a fait écouter quelques beats sur lesquels il travaillait. Je les ai emmenés chez moi et j’ai commencé à écrire quelques rimes. J’essayais de trouver mon identité en tant qu’artiste. Je n’avais jamais écrit une seule ligne à l’époque. Rick aussi apprenait, il faisait ses premiers sons. On a développé notre talent côte à côte, en travaillant ensemble. Avec les années on a développé notre propre style et notre message pour 4 Wheel City. Tout est arrivé de manière naturelle et inattendue, mais pour nous, c’est juste le destin.
Les 4 Wheel City aux Nations Unies à l’occasion du 26ème anniversaire de la parade en l’honneur de la loi en faveur des Américains handicapés.
Votre devise est « guns down, four’s up » (baissez les armes, quatre doigts en l’air, en version française), comment est-elle venue ?
En juin dernier, pendant le mois de prévention contre la violence armée aux Etats-Unis. Nous faisions alors notre « Welcome to Reality tour » (Bienvenue dans la Réalité, en version française, NDLR) dans les écoles. Dans chacune d’entre elles nous parlions aux jeunes, on leur expliquait ce que signifiait être responsable et les risques liés à l’usage des armes. Notre devise est en fait une variation à partir du signe des quatre doigts en l’air. C’est un geste que l’on pratique depuis des années.
Les 4 Wheel City lors d’une manifestation pour les droits des personnes handicapées à New York.© 4 Wheel City.
Ces quatre doigts représentent quatre principes : inspirer, éduquer, défendre et divertir. « Baissez les armes, quatre doigts en l’air » revêt la même signification, en plus de rappeler que chaque fois qu’on lève les doigts, on prend le temps de penser à ce qu’ils signifient. Tout ce temps-là est gagné sur le temps pris à sortir une arme.
Votre objectif est de vous adresser d’abord aux plus jeunes ?
Nous étions tous les deux des adolescents quand on nous a tiré dessus. Donc nous aurons toujours cette connexion avec la jeunesse. Ils peuvent s’identifier à nous car c’est à leur âge que nous avons été paralysés. Mais nous nous adressons au monde comme une seule et même communauté. Tout le monde devrait être inspiré par notre histoire.
4 Wheel City, « Grip Push ».« You think you’re rough, you think you tough, you think you’re bad as me… Keep it up and you’ll be sitting down like me / Mr can’t think, read or write, Mr one to carry guns ’cause you can’t fight… You living life the wrong way / I ain’t trying to play, trying to open up your eyes before you end up in jail or paralyzed. » (« Tu te crois dur, tu penses que t’es aussi mauvais que moi… Continue et tu finiras assis comme moi / Tu peux pas penser, ni lire ou écrire, alors tu portes une arme tout ça parce que tu peux pas te battre… Tu prends un mauvais chemin / Je n’essaie pas de jouer, j’essaie de t’ouvrir les yeux avant que tu finisses en prison ou paralysé.«
Quels retours avez-vous eus à ce sujet ?
Les gens sont réceptifs à notre message. Quand nous avons commencé, peu de rappeurs faisaient de la prévention contre les armes. Nous avons dû faire beaucoup pour être acceptés dans un environnement où déclamer des messages anti-violence n’était pas tellement la chose à faire.
Vous avez beaucoup produit, quel titre a le plus de sens à vos yeux ?
« The Movement » (voir ci-dessous, NLDR) : notre morceau qui revendique une meilleure accessibilité et plus de droits pour les personnes handicapées. Nous avons tellement d’amour pour ce titre parce que c’est celui qui nous a inscrit sur la carte du Hip-hop il y a dix ans. La première fois que nous l’avons interprété, c’était à une collecte de fonds pour un organisme dont nous faisons partie, l’Association Nationale pour les Blessés de la Moelle Epinière.
4 Wheel City, « The Movement ». Avec, en exergue, une citation du président Obama : « Il y a 25 ans, la loi en faveur des Américains handicapés a été signée. Une loi historique qui interdit la discrimination envers les personnes handicapées. »
Notre public a adoré. C’est à cet instant que nous avons su que nous pouvions faire quelque chose. Nous continuons à l’interpréter aujourd’hui en première partie de concerts et elle plaît toujours autant. Les gens l’adorent ! Nous en avons fait un tout nouveau clip l’année dernière pour le 25ème anniversaire de la loi en faveur des Américains handicapés. Le clip a été diffusé sur Revolt TV, la chaîne de Puff Daddy. Nous en sommes extrêmement fiers car nous avons réussi à mettre sur le devant de la scène Hip-hop les problématiques liées au handicap. Nous ne serions pas là aujourd’hui s’il n’y avait pas eu ce morceau. Et il continue à nous ouvrir des portes.
« La vie des personnes handicapées compte » (en version française. Variation sur le slogan Black Lives Matter).© 4 Wheel City.
Quel a été votre plus grand challenge ?
Surmonter au quotidien les barrières liées à notre handicap. Réussir à être un artiste, à engager le public et les labels à nous faire confiance sur le long terme, tout en étant dans un fauteuil.
Nous ne sommes pas juste une bonne histoire à raconter, nous avons du talent. Nous avons déjà notre public et notre marché, nous avons une marque et une cause. Il n’y a aucune raison que nous ne soyons pas produits. Nous avons été reçus à la Maison Blanche. Avec notre travail, la culture Hip-hop est allée plus loin. Nous ne demandons pas la charité mais un simple coup de main, comme nous l’avons sollicité dans notre morceau « Mainstream ».
Vous ne vous sentez pas acceptés par la sphère du hip-hop aux Etats-Unis ?
Non, nous pensons que la communauté Hip-hop n’est pas encore prête à accueillir quelqu’un qui rappe depuis son fauteuil roulant. Nous devons mener de front deux batailles mais nous continuerons à produire pour nous hisser le plus haut possible. Ils se rattraperont plus tard.
Vous avez pourtant collaboré avec Snoop Dogg, comment cela s’est passé ?
Nous avons eu la chance de nous asseoir avec lui et de partager notre histoire. Nous voulions qu’il enregistre un morceau à destination de la jeunesse. On ne s’y attendait pas, mais il s’est tout de suite mis à rapper, et ça a donné ça :
4 Wheel City ft. Snoop Dogg, « The G-Mix ». « Ce n’est pas qu’un morceau, c’est un mouvement ! Je suis avec le mouvement, nous sommes en train de faire quelque chose d’important », a clamé Snoop Dogg à propos de sa collaboration avec le groupe.
Ce morceau encourage les jeunes à rester scolarisés et à être responsable. Snoop Dogg a immédiatement approuvé notre message. Il a repris pour nous son titre « Gin & Juice » des années 90. C’est important pour les plus jeunes de voir qu’un artiste majeur aime et soutient notre mouvement.
De quoi rêvez-vous en ce moment ?
D’être considérés comme un groupe de rap à part entière. Ce n’est pas parce que nous défendons une cause que nous devons être marginalisés. Même si nous restons une petite étincelle dans la culture Hip-hop qui dénonce les stéréotypes dont sont victimes les personnes handicapées.
Que va-t-il arriver au pays avec Donald Trump au pouvoir ?
Il a offensé et divisé le pays de bien des manières. Nous continuerons à militer contre lui à travers nos morceaux et à alimenter la torche allumée par Barack Obama quand il est devenu le premier président noir des Etats-Unis.
Quels sont vos derniers projets ?
Notre dernière mixtape, God Bless America. On y dénonce les injustices en cours aux Etats-Unis.
Les 4 Wheel City présentent leur nouvelle mixtape dans une école d’Harlem à New York.
On aborde des thèmes comme les violences policières, le racisme, Donald Trump, l’héritage du président Obama ou encore la culture Hip-hop. Mais par-delà les frontières, nous souhaitons encourager toute personne à avoir sa propre voix, à avoir un rêve et à travailler dur pour le réaliser. Chacun doit pouvoir devenir ce qu’il veut être.
God Bless America, la nouvelle mixtape de 4 Wheel City.
Notre mixtape contient 13 titres, en référence aux 13 États sur lesquels notre pays s’est construit, aux 13 rayures du drapeau américain et au 13ème amendement de la Constitution qui abolit l’esclavage et la servitude involontaire.
Photographie à la Une : Namel « Tapwaterz » Norris et Ricardo « Rickfire » Velasquez à la Maison Blanche, © 4 Wheel City.