Au moins 21 morts, dont deux assaillants, le bilan de la prise d’otages de vendredi dans un hôtel de luxe de Bamako, au Mali, par un groupe djihadiste lié à Al-Qaida a fait le tour des chaînes d’information toute la journée de vendredi, une semaine après les attentats de Paris.
Loin des effets d’annonce et des simples faits, des questions de fond se posent.
Cela faisait plusieurs mois que le Mali était sous la menace d’attaques djihadistes. La dernière à Bamako remontait à mars dernier, lorsqu’une fusillade dans un bar avait tué cinq personnes, dont un Français. « Malheureusement, oui, c’était prévisible, nous constations une accélération des attaques au Mali dans le centre et le sud du pays, et plusieurs attentats avaient été déjoués cet été. Mais les services de sécurité, conscients des menaces, ne savaient pas qui allait frapper, ni comment » témoigne Marie Rodet, maître de conférences à l’École d’Études Orientales et Africaines de Londres (SOAS).
Après un premier attentat dans la région de Mopti (Centre-Nord du pays) en août, la crainte qu’il s’agisse d’un « entraînement » pour une attaque plus large s’est répandue. « Suite à cela, plusieurs zones ont été définies comme risquées, dont l’hôtel Radisson Blu de Bamako », témoigne Mouhammadou Touré, journaliste malien.
« C’est avant tout une attaque de ce groupe contre la communauté internationale et l’État malien, pour signaler leur présence au Mali et rappeler qu’ils sont toujours actifs », estime l’historienne, spécialiste du pays. La prise d’otage a eu lieu près de trois ans après l’intervention française de janvier 2013, qui avait mis fin à l’occupation du Nord du pays par des groupes indépendantistes et djihadistes. En août 2014, l’Opération Barkhane, menée par l’armée française, a pris le relais et maintient des troupes au Mali et au Tchad pour sécuriser la région.
Le groupe islamiste qui a revendiqué l’attentat de vendredi, Al-Mourabitoune, est un allié régional d’Al-Qaida. « Son chef, Mokhtar Belmokhtar est introuvable. Sa mort a déjà été plusieurs fois annoncée en Libye, mais reste à confirmer », affirme Marie Rodet, tandis que le ministre français de la Défense, Jean Yves Le Drian estime qu’il est « sans doute à l’origine » de l’attentat.
Ce groupe se financerait par « le narcotrafic, le trafic d’armes, de cigarettes et les filières d’immigration illégale, avec en plus le commerce juteux des otages », estime la chercheuse.
Si l’intervention française dans le Nord du pays a permis, selon elle, « d’empêcher les groupes rebelles de marcher sur Bamako en 2013 », un effet pervers pourrait être celui d’avoir déplacé le front au Sud, et d’y avoir « activé des cellules djihadistes dormantes ».
Ce groupe est loin d’être le seul à menacer la sécurité du Mali, et les affiliations et revendications religieuses sont à prendre avec précautions. « Nous avons affaire à des structures fluides, mouvantes qui connaissent des scissions, des recompositions et des alliances différentes. Notons que tous ne sont pas islamistes, et que certains se revendiquent d’Al Qaida ou de l’État Islamique surtout pour des questions de notoriété médiatique. Mais ce sont souvent des dynamiques locales qui les motivent », analyse-t-elle.
La chute du régime libyen de Mouammar Kadhafi fin 2011 a permis la prolifération d’armes et de mercenaires dans le Nord du Mali, renforçant des groupes rebelles présents et mettant le feu aux poudres. Mais selon Marie Rodet, les aspects économiques de la question sont négligés :
« Il ne faut pas se contenter de voir le Mali coupé en deux avec un Nord délaissé et un Sud bien équipé. Des populations sont également marginalisées dans le centre et au Sud, et de nombreux Maliens ne bénéficient pas de la croissance économique, malgré des indicateurs économiques plutôt positifs cette année. Il y a une dégradation de la situation, une conséquence directe des plans d’ajustement structurels amorcés à partir des années 1980, qui ont mené à de nombreuses privatisations depuis les années 1990. Le Mali est malheureusement un terreau fertile pour des groupes armés, qui jouent sur la frustration des populations, des jeunes en particulier et leur proposent des possibilités financières sans précédent dans un contexte de crise économique endémique. »
En mai dernier, des accords de paix entre le gouvernement malien et divers groupes rebelles étaient censés réunifier un pays qui perd fréquemment le contrôle de certaines villes du Nord, comme Kidal, dans le Nord du pays, contrôlée par une milice de l’ethnie touarègue, majoritaire dans la cité.
« Il était question de donner plus de représentativité aux minorités en échange du retour des militaires et des forces régaliennes du Mali, mais il y a eu des dysfonctionnements, dont un clash assez mémorable entre l’armée et les rebelles à Kidal en mai dernier. L’accord avait une force symbolique avant tout, mais son cadre était assez souple. Aujourd’hui, il y a des endroits au Mali où l’État est totalement absent. Mais sans accord politique, il n’y aura pas de retour de la paix », insiste Marie Rodet, qui regrette que « les solutions actuelles insistent essentiellement sur le volet sécuritaire. »
Si l’événement a eu un écho particulier une semaine après les attaques de Paris, il n’a pas bouleversé la quiétude ni la vie bouillonnante de la capitale selon Mouhammadou Touré :
« L’hôtel est sur la rive gauche de Bamako, le quartier du pouvoir. Sur l’autre rive, là où vit « le bas-peuple », certains habitants n’ont appris la nouvelle que le lendemain. On n’observait pas de déploiement sécuritaire particulier, et les mêmes agents de police géraient la circulation dans tous les quartiers, à part celui du Radisson. C’est presque comme s’il n’y avait pas eu d’attentats. »
« Il semble encore tôt pour le dire », tempère le journaliste. « Un député de l’opposition a plutôt insisté sur l’importance de se coordonner avec les partenaires régionaux pour régler le problème ». Finaliste de la dernière présidentielle, Soumaïla Cissé a préféré saluer l’action des forces maliennes pour libérer l’hôtel, alors que l’état d’urgence a été déclaré quelques heures à peine après l’attaque.
Riche d’un patrimoine historique exceptionnel issu de l’Empire Songhai, vieux de 12 siècles, ou encore de l’Empire du Mali, le pays a des difficultés à entretenir son héritage culturel et à le préserver de l’agitation politique, explique Marie Rodet :
« On a beaucoup parlé des manuscrits et des mausolées détruits à Tombouctou lors de l’invasion du Nord en 2012-2013, et il y a eu des projets quand la paix est revenue pour reconstruire ces édifices. Énormément d’argent a été injecté dans ce genre de projet, même bien avant la crise malienne, et ça continue maintenant. Mais ces sites ne représentent pas l’ensemble du patrimoine, ils ont attiré l’attention des donateurs, et beaucoup de financements, même si on ne sait pas toujours où va l’argent. Il reste quelques projets culturels dans le reste du pays, mais ce n’est plus une priorité, et l’État malien n’a pas les moyens d’entretenir le patrimoine culturel, tangible ou intangible, malgré l’aide de l’Unesco. »
Tables d’astronomie de Tombouctou
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