Qui êtes-vous ?
Simon : On est le duo de musique Paradis, on s’appelle Simon et Pierre. On s’est rencontré il y a 5 ans maintenant, dans une fête.
Pierre : On a juste parlé de musique. On n’était pas tout à fait d’accord sur tout, mais je pense qu’on était d’accord sur les choses importantes. Et on a décidé de faire de la musique très vite.
Qu’est-ce qui vous a mis d’accord ?
Simon : La soul. Il y a de la musique qui nous parle individuellement, d’autres morceaux qui nous rapprochent. C’est ceux-là qui nous intéressent.
Pierre : C’est quelque chose dans le son, la production, ça peut être n’importe quoi… Une espèce d’univers, d’accords, de choix de mots qui fonctionnent. Ce truc qui fait qu’un morceau d’Erykah Badu peut provoquer la même émotion qu’un morceau de techno allemande.
Simon : Ce qu’il y a d’important pour nous, c’est le contraste, ce côté qui va un peu plus loin.
Pierre : Des paroles légères et de la musique très triste, ou des paroles tristes et des harmonies plus heureuses.
Vous avez un exemple ?
Simon : Il y en a tellement. Je dirais « Successful », de Drake. Quand on s’est rencontré, quelqu’un a mis ce morceau-là dans une voiture. Il y a un coté très sombre, et en même temps…
Pierre : Dans l’album qu’on est en train de faire, il y a des choses qui s’en rapprochent je trouve, pas dans la manière de chanter, mais musicalement, dans l’intention.
Vous ne composez qu’en français. Est-ce que vous revendiquez un héritage particulier vis-à-vis de la langue française ?
Simon : Pas particulièrement. À vrai dire, on a essayé de chanter en anglais, au début. Mais c’était beaucoup plus simple, beaucoup plus naturel dans notre langue. La voix, c’est la piste la plus compliquée d’un morceau. C’est tellement subtil, l’accent, la maîtrise… Chanter quand on ne maîtrise pas les intonations, c’est trop complexe.
Pierre : On a essayé l’anglais parce que les groupes qui nous influencent à la base ne sont pas tous des groupes français. Mais quand ce n’est pas une langue que tu parles tous les jours, avec tes amis, que tu parles quand tu es énervé ou triste, quand tu es heureux, une langue qui vit avec toi… Ça ne sonne pas comme il faut. C’est une histoire de sincérité, en fait. Je nous vois mal chanter dans une langue qui ne traverse pas toutes les émotions qu’on essaye de retranscrire dans la musique.
Pierre : On a l’ambition de faire quelque chose qui sonne en français avec nos valeurs, nos références, qui elles sont souvent anglo-saxonnes. La soul, le blues, la disco, la house… Ce sont des musiques, des sons qui sont venus se greffer sur la langue, sur l’anglais. Prendre exactement la même musique et la faire en français… Il y a quelque chose qui ne colle pas.
Vous vous êtes rencontrés lors d’une fête, ça, vous le dites dans chaque interview. Mais à part ça, on en sait très peu sur vous.
Simon : Ah, c’est pas vraiment notre truc (rires). (C’est d’ailleurs pourquoi nous ne verrons pas leurs visages sur les photographies, NDLR)
Pierre : Ce qu’on peut dire, c’est qu’on fait de la chanson française, mais que tous les deux on a grandi à l’étranger.
Simon : Avant d’habiter à Paris, j’ai passé beaucoup de temps en Argentine et au Portugal.
Pierre : Moi j’ai habité en Angleterre presque toute ma vie. Ça veut peut-être dire quelque chose aussi. On nous a fait remarquer que c’était intéressant qu’on fasse de la chanson en français, alors qu’on a des patrimoines qui ne le sont pas.
Simon : Je ressens comme une distance avec la langue, quand on habite à l’étranger, on regarde le français de loin. Et quand on revient en France, on est émerveillé. En tout cas, le français, j’ai toujours trouvé ça super beau dans la musique.
Vous venez de sortir un nouvel EP, Couleurs Primaires. Est-ce que vous pouvez me retracer l’histoire de votre groupe jusqu’ici ?
Pierre : On s’est rencontré il y a à-peu-près 5 ans. On a fait de la musique pendant 6 mois je pense, où on a un peu tâtonné. Il y a un premier morceau dont on était content qui est sorti après par la suite, « Je m’ennuie », qu’on a envoyé à quelques personnes, dont un américain, Tim Sweeney. Il a une radio qui s’appelle Beats In Space, à New-York.
Il nous a répondu très vite – c’est même la première personne qui nous a répondu. Il nous a dit : « J’ai envie de commencer un label, ce serait super le faire avec votre musique ». On s’est vu à Paris, on lui a fait écouter un morceau. Il nous a dit de continuer dans ce sens et de chanter plus en français aussi, parce qu’au départ on mettait seulement de tout petits bouts de voix. En 2011, on sort notre premier maxi, sur lequel il y a « La ballade de Jim ». En mai 2012 un second, avec « Hémisphère ». À partir de là, on s’est lancé dans un projet d’album qui touche à sa fin en ce moment. Depuis un an, on a monté notre propre studio, dans le nord de Paris.
Dans votre façon de composer et d’écrire, il y a clairement un petit côté 80s, je me trompe ?
Pierre : C’est sûr qu’il y a un phrasé qu’on retrouve dans les années 80 en tout cas, qu’on peut retrouver dans Daho, à la rigueur. Ça nous parle assez dans la simplicité du choix des mots, dans le fait aussi que ces groupes étaient très influencés comme nous par la musique qui se faisait partout dans le monde. Daho, en plus d’être un excellent compositeur, est quelqu’un qui sait être ouvert, qui a su s’approprier toute la musique qu’il aime, de la musique électronique à la musique plus rock. Sur son best of, il y a un titre, « Ideal », qui est un morceau de drum’n’bass. Je pense qu’on est dans cette ouverture d’esprit.
En-dessous de vos vidéos, les commentaires vous remercient pour votre musique « apaisante ». Pourtant, au niveau de la production, il y a un côté club. C’est quelques chose que vous recherchez?
Simon : Oui, c’est le contraste dont on parlait tout à l’heure. C’est quelque chose que l’on cherche à retrouver dans nos morceaux.
Pierre : Dans notre façon de les concevoir, mais aussi de les écouter. On passe des mois et des mois sur chaque morceau. S’ils sont trop agressifs, si on écoute ça tous les jours, 8 heures par jour, pendant trois semaines, on ne peut pas travailler dessus.
Simon : L’idée, c’est avant tout qu’on puisse les écouter chez soi, que ça puisse suivre quelqu’un tous les jours. Si on décompose un peu les instrumentales, ça peut être très club oui. Mais nos morceaux au départ, on a du mal à les jouer en club.
Justement, on travaille en ce moment sur le live, et on a envie d’essayer de donner une dimension plus club, plus énergique à notre musique. Pour l’instant, on n’en a jamais fait, on commence le mois prochain. Toute la complexité, c’est de sortir de ce qu’on a fait très méticuleusement devant un ordinateur, avec des machines, et d’en faire quelque chose quelque chose de plus spontané.
À ce propos, comment on construit un album, chez Paradis ? Vous travaillez morceau par morceau ?
Simon : En tout cas, quand on tient une idée, on va jusqu’au bout. En général ça commence par soit une mélodie, les paroles viennent dans un second temps.
Pierre : C’est une approche plus musicale, plus rythmique des chansons. On travaille d’abord la ligne de chant avant de travailler le texte lui-même. On veut que chaque mot, que chaque consonne – les « Ke » les « Sse » – que tout s’inscrive harmonieusement dans le morceau. Du coup, les choix de mots importants guident les phrases, qui elles-mêmes guident le thème.
Simon : Oui, c’est presque un puzzle.
On peut donc dire que votre écriture est très orale ?
Simon : Complètement.
Notre écriture, c’est un dialogue. On écoute la musique, et quand un mot passe bien dessus, on essaye de voir comment on peut l’imbriquer avec les autres.
Pierre : Si on a une phrase qui est beaucoup mieux que la précédente, la phrase d’avant doit changer, parce qu’il faut qu’elle soit au même niveau. Ça doit être visuellement cool aussi ! On aime bien que ce soit joli à regarder, que les mots soient beaux. Quand on écrit un texte, au début on feuillette des trucs, on écrit juste les mots que l’on trouve beaux.
Vous privilégiez la recherche esthétique ?
Pierre : Complètement. Bon, progressivement, on se rend compte que c’est aussi l’occasion de dire des choses, qu’il y ait un sens qui dépasse peut-être les sentiments, même si c’est encore très imagé, parce c’est quelque chose qui nous plaît beaucoup, quand c’est à la limite du compréhensible, parfois (rires).
On veut que ce soit très imagé, mais en même temps très simple, très identifiable. Que Simon ne chante pas d’une manière qui soit déconnectée de la réalité, de la façon dont les gens parlent entre eux aujourd’hui, à notre âge.
Ça va, vos chansons ce n’est pas non plus « Salut je l’ai péchoooo » – pour caricaturer.
Pierre : Non, mais on a quand même casé un « t’inquiète » ! cherche-le. Il ponctue une phrase, il est hyper rythmique. Ce « t’in/quiè/te », c’est comme un fil de batterie.
Simon : On aime l’idée d’utiliser la voix comme un instrument.
Pierre : Oui. Dans tous nos morceaux, il y a de la rythmique issue de la voix. C’est des « Hhh » (il aspire) ou des « Kk », ou même des trucs qui sont complètement trafiqués. C’est trop cool, tous ces petits sons. Il y a des bruits blancs, ça fait ‘hshshshs ».Tous ces trucs-là, c’est de la super matière.
Tout ça a l’air très millimétré. Quand est-ce que vous vous arrêtez de travailler ?
Pierre : Ben quand on kiffe !
Simon : Ça prend du temps, mais il y a un moment où l’on finit par se dire « Ça y est, on arrive à l’écouter.
Pierre : En fait, c’est quand il n’y a plus rien qui nous gêne.