Plus que quelques semaines avant la sortie de son album, "Opening". En attendant le 6 avril, Clique a rencontré Superpoze à deux pas de son studio, à Paris.
Qui es-tu ?
Je suis Gabriel, j’ai 22 ans, je suis compositeur-producteur. Je fais de la musique électronique par la méthode, parce que j’utilise un ordinateur, des machines, des outils virtuels. Mais cette musique électronique est influencée par le tempo et les rythmiques du hip hop, surtout dans mes premiers EPs. En fait, je fais une musique électronique qui n’est pas une musique de club, même si on peut danser dessus. Je pense que c’est la meilleure définition.
Comme tu le dis, tu ne penses pas à la transposition de ta musique en club. À quoi tu penses alors, quand tu composes ?
Aux mélodies et aux harmonies. Je pense au plaisir esthétique – à ce qui fait que lorsque tu entends un enchaînement d’accords, certaines mélodies ou certains tempos, ça te renvoie à des images, à des choses qui te touchent.
Quand je sais qu’un morceau à moi me plaît vraiment, il y a ce que j’appelle l’effet boomerang
Quand tu fais de la musique, quand tu crées quelque chose, ce quelque chose t’appartient. Et au bout d’un moment, ta musique t’apporte une sensation en tant que public, tu te la prends en tant que spectateur. D’un coup, ça me fait « HA! ». (il fait un grand geste). Tiens, on devrait faire un petit gif, on le mettra. Ça me revient, ça part, et hop ça ressort. Je me recoiffe pour mon gif ! (rires)
Bon, là on en rigole, mais ça me permet de savoir quand j’ai fini un morceau. Si tu arrives à te le donner à toi-même, c’est que tu peux le donner aux gens.
Tu faisais quoi avant ?
J’habitais à Caen, en Normandie. J’ai appris à faire de la musique tout petit, au Conservatoire. J’ai fait sept ans de percussions là-bas, et de la batterie dans des groupes de rock. D’ailleurs j’avais un groupe avec Théo (Fakear, NDLR). Et puis j’écrivais un peu de rap.
À l’époque, je n’écoutais que du rap, du rap français. J’étais fan de Fabe de la Scred Connexion.
Avant j’écoutais plutôt du punk, et en arrivant au lycée, j’ai découvert le rap avec des potes. Des fans de rap conscient, type « le savoir est une arme ». Le rappeur étudiant en philo, tu vois le profil ? (rires). Bref, j’ai commencé à enregistrer des morceaux seulement instrumentaux, et j’ai appelé le projet « Superpoze » un peu plus tard.
Ça veut dire quoi d’ailleurs, Superpoze?
On en revient au hip hop, qui était très important pour moi à une époque, mais qu’on retrouve moins dans mon album : c’est la culture du blaze, du nom qui claque. J’ai lu ce mot dans un livre, je l’ai trouvé graphique et sonore. Aujourd’hui, j’aimerais bien composer sous mon vrai nom, mais c’est peut-être une passade.
Ça fait peut-être plus « musique d’adulte » ?
C’est ça, ça fait peut-être « musique d’adulte », compositeur. Lidée me plaît.
Le premier morceau de toi que j’ai entendu, c’est « The Iceland Sound », il y a trois ans. Tu peux me raconter son histoire ?
J’ai fait ce morceau très rapidement, en quelques heures, pour un ami qui partait en Islande à ce moment-là. C’était la bande son de son voyage, je lui ai donné avant qu’il parte. C’était une sorte de cadeau, son « son d’Islande ».
Tous les premiers morceaux que j’ai faits sont destinés à des gens, qui ne le savent pas forcément d’ailleurs
Après ça s’est dissipé, mais au tout début c’était ça.
Et ensuite ?
J’ai mis des premiers morceaux sur Internet et j’ai sorti un premier vrai EP. J’ai fait des concerts. La salle de Caen, le Cargö, m’a aidé, ça a aussi fonctionné par bouche-à-oreille. J’ai fait deux EP et un morceau avec des remix chez Kitsuné.
Maintenant, c’est au tour de l’album, Opening. J’ai commencé à le composer au début de l’année dernière, il va sortir le 6 avril sur mon label, Combien Mille Records. Entre temps, j’ai fait une tournée en Amérique et en Asie.
Ta carrière est toute jeune. Comment on trouve un public en Asie en si peu de temps ?
C’était justement une tournée pour défricher le terrain, pour aller voir. J’ai fait le Japon, la Chine, le Vietnam. Évidemment il y a les petits blogs, les connaisseurs, mais ça ne fait pas un public. Ce qui était génial, c’est que je me suis retrouvé dans des endroits où les gens ne connaissaient pas forcément ce que je fais, mais ils étaient initiés à ce genre de musique. Ils parlent cette langue.
C’est-à-dire ?
On va refaire un gif (rires). Non, je vais arrêter de chorégraphier cette interview!
Parle-nous un peu de cet album qui va bientôt sortir
Je me suis donné un temps imparti, je n’avais pas envie de passer cinq ans sur cet album. À un moment, je n’ai plus rien eu à mettre dedans, ce que j’ajoutais n’était plus cohérent. « Tu ne finis pas un album, tu l’abandonnes ». Je crois que c’est Frank Zappa qui a dit ça un jour. Celui-ci, je peux le recevoir en tant que spectateur, donc je l’abandonne comme ça.
Est-ce qu’il est inachevé pour autant ?
Non. Mais de toute façon ça n’existe pas en fait, un album achevé ou pas. Il est achevé sur disque, le fait qu’il soit enregistré le définit comme achevé. Mais ensuite je vais le jouer en live, et là ce sera perpétuellement inachevé, parce que je pourrai le jouer différemment tout le temps, en live.
Ça se construit comment un live ?
De plein de façons différentes. Là je travaille sur le nouveau d’ailleurs. C’est marrant parce qu’un producteur fonctionne à l’envers. Imagine que tu as un groupe de musique. Tu joues dans ta cave, dans ton studio… Arrive le moment où ton morceau est super. Là, tu te prends la tête pour l’enregistrer, pour le produire sur disque, pour que ça sonne comme tu as envie. Quand c’est de la musique que tu fais tout seul, tu t’enregistres avec tes machines et ensuite tu te prends la tête pour voir comment tu vas le jouer en live. Ce n’est pas logique, par rapport à ce qu’est la musique. La musique, traditionnellement, c’est d’abord du jeu.
Tu as pensé à jouer avec des musiciens ?
Je le ferai sûrement un jour. Là je joue avec des gens à côté, mais sur Superpoze, j’ai envie d’y aller tout seul.
Comment envisages-tu l’après-album ?
Déjà j’ai des choses de planifiées, des albums de collaboration (on n’en saura pas plus, NDLR). Pour le reste, on verra. Ce qui me pousse, c’est que suis un énorme fan de musique. C’est une évidence, mais je le dis : je suis fan de certains artistes. J’adore Four Tet, Mogwai, Jon Hopkins, par exemple. J’adore Bonobo.
Tu collectionnes les disques ?
Disons que j’en achète pas mal. Quelques CDs, mais surtout des vinyles. C’est bien de pouvoir fermer le laptop et écouter un disque, vraiment, sans faire autre chose.
Un vinyle, je suis obligé de le retourner au bout de deux morceaux, de m’impliquer dans l’écoute.
C’est pour ça que je suis attaché au support physique. Certains vinyles sont aussi très beaux, tout simplement. Je pense à des artworks magnifiques, comme celle de Wonder Where We Land de SBTRKT ou la pochette d’un album de John Talabot, qui ressemble à une empreinte digitale.
Tous ces gens-là ont des discographies cohérentes, ils ont fait des trucs magnifiques.
En fait voilà, ce que j’espère, c’est ça. Pouvoir sortir 3, 4, 5 albums que je pourrai ranger à côté de mes autres vinyles.
Avoir une belle discographie, en fait. C’est aussi simple que ça. J’aime bien l’idée qu’on puisse collectionner mes disques.
En attendant l’album début avril, Superpoze jouera le 7 mars au Cargö de Caen en compagnie de Gilles Peterson, Rone, Superpitcher, Fakear et Kuage dans le cadre la RedBull Music Academy (pour les musiciens intéressés par la RBMA, les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 4 mars).
Photographie © Nathanne Le Corre