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« La revendication de la laïcité, c’est l’autre nom de l’islamophobie », Emmanuel Todd

Après les événements qui ont frappé Charlie Hebdo, Clique a ouvert le site à des milliers de dessins qui ont été publiés. L’écrivain James Frey et Matthieu Longatte ont également publié des tribunes. Quelques mois plus tard un livre défraye la chronique : « Qui est Charlie ? », d’Emmanuel Todd. Les émissions de radios, la presse et les plateaux se sont enflammés. Nous avons laissé passer l’orage et voulu dépassionner le débat en laissant le temps à Emmanuel Todd, historien et sociologue, de s’exprimer sur son livre.

Il clarifie tout d’abord sa position sur Charlie Hebdo :

« J’ai fini par avouer qu’en fait j’aimais beaucoup Bernard Maris, que je connaissais. Ça a été l’horreur ». « Pour moi, Charlie Hebdo c’était Reiser, j’étais un fan absolu ». 

« Les gens de Charlie Hebdo, j’aime pas en parler, je n’en parle pas du tout dans le livre. Ce qui m’intéresse, c’est l’attitude des Français vis-à-vis de Charlie Hebdo ». 

Il ajoute :

« Une partie de l’horreur, c’est que parmi les gens qui ont été tuées il y avait pas mal de personnes âgées un peu décalées. Charlie Hebdo, c’était déjà quelque chose du passé ».

S’il se souvient avec tendresse des jeunes années de l’hebdomadaire, qu’il lisait à l’époque, ses mots sur ce qu’il  était devenu, ces dernières années, sont durs :

« C’était un journal islamophobe, sans talent, au milieu d’une société engluée dans une crise économique, dans une perte de sens religieux »

Mouloud lui rappelle l’interview de Jamel Debbouze, dont il parle dans l’introduction de son livre, où le journaliste met mal à l’aise Jamel, venu parler de son ressenti face aux événements. « Je l’ai vécue comme un moment de fraternité humaine ». Et puis, du point de vue de de la sociologie ou de la dynamique culturelle :

« En tant que français, Jamel Debbouze est beaucoup plus important qu’Alain Finkielkraut »

« J’ai eu un moment de souffrance par empathie. J’ai eu le sentiment que ce que la France faisait aux gens d’origine musulmane en France était vraiment dégueulasse ».

À propos de l’esprit Charlie, Emmanuel Todd parle d’un « flash totalitaire ». Qu’est-ce que cela signifie ?

« C’était un moment où on ne pouvait plus parler ».  « J’ai eu des problèmes… Dans le studio de Patrick Cohen, j’ai vu l’esprit du 11 janvier, et l’esprit du 11 janvier pour des mecs comme moi c’est « ferme ta gueule » ».

« L’esprit totalitaire, c’est d’exiger des gens qu’ils soient autre chose que ce qu’ils sont », précise-t-il. « Moi, ça m’a rendu fou ».

« On est tous dans des situations où les médias manipulent », poursuit-il; « Pour moi la dernière tentative de manipulation à laquelle j’ai dû résister, c’est un type de Des Paroles et des Actes qui voulait me faire venir sur France 2 pour parler avec Caroline Fourest de la laïcité… dont tout le monde se contrefout ».

« J’ai ressenti ça comme une tentative de manipulation de l’opinion, au-delà de moi-même. Forcer France 2, un organe d’Etat, à mettre au coeur du débat la laïcité, la question sur l’Islam, c’est de la manipulation. (…) C’est la même chose que de mettre à la télévision des imams qui ne parlent pas français pour faire comme si les français musulmans c’était ça. Alors qu’on sait tous que c’est pas ça, dans notre vie quotidienne ».

Il s’explique :

« La revendication de la laïcité, c’est l’autre nom de l’islamophobie ». « Pour moi le type qui me dit il faut défendre d’abord la laïcité dans le contexte actuel, me dit simplement ‘je suis islamophobe’ « .

Mouloud : « Et on n’a pas le droit d’être laïque et de ne pas être islamophobe ? »

« La France est laïque, tout le pays est incroyant. Pourquoi exiger quelque chose qui existe déjà ? … On ne devrait pas parler de laïcité ».

« Je parle de laïcisme radical », précise-t-il, « qui a un statut religieux. C’est une nouvelle religion, celle des gens qui ne savent pas qu’ils ont une religion. Pour moi ce sont des fanatiques religieux qui mettent toutes les minorités en danger ».

Mouloud : « Est-ce qu’Alain Finkelraut a sa place à l’Académie Française ? »

« Dans la mesure où c’est une bande de vieux gratteux, tout à fait oui »

Il évoque les procédures d’auto-recrutement de l’Académie, son positionnement politique très à droite.. La moyenne d’âge de 78 ans… « J’ai calculé ».

« Ils ont pris quelqu’un qui est très à droite et prématurément vieilli sur le plan intellectuel »

À tel point que pour Emmanuel Todd, la suppression de l’Académie Française « serait peut-être une bonne idée »

« Pour la plupart c’est des gros nuls. Qu’on les garde et qu’on les foute dans un HLM de banlieue, pour qu’ils aillent éructer ».

Mouloud lui demande sa définition de l’islamophobie.

« Les islamophobes, ce sont les gens obsédés par l’Islam ».

L’islamophobie, c’est « créer une catégorie qui n’existe pas », omettre que « Les musulmans sont de toute sorte de nationalité, de plusieurs couleurs, ils appartiennent à toute sorte de milieux sociaux ». Il pointe aussi un deuxième élément : « la surestimation numérique ».

L’islamophobie est un concept central maintenant, mais c’est surtout un symptôme de crise religieuse et économique

Autre problème, selon Emmanuel Todd : la perception de la réalité des journalistes, qui voient l’Islam à travers u miroir déformant, et en parlent selon les mêmes modalités.

« Il y a un élément sociologique délirant dans ces attitudes.  On est dans univers simple sur le plan des faits. On a eu 3,5 – 4 millions de personnes dans les rues pour le droit de caricaturer Mahomet. Et des gens vous disent « Comment, ça, un problème avec l’islam ? Où est-ce que vous avez vu ça ? ». … Que dirait un psychiatre ?

Parmi les titres qui l’ont choqué récemment, il y a la Une de Marianne.

« Marianne c’est un cas particulier de naufrage. Ils sont en train de passer de la gauche à l’extrême droite. Il y a un élément de folie. Mais c’est aussi un journal en perdition, ça n’est même plus important ».

En perdition, mais symptomatique d’une chose :

« Ca représente des glissements. Ça, ce sont des trucs qui préfigurent le fascisme ».

Mouloud lui demande si la véhémence des titres de presse a un lien avec son état économique pour le moins désastreux. Oui, selon Emmanuel Todd :

« La fébrilité, le bellicisme de la presse, a certainement quelque chose à voir avec le fait que la profession de journaliste devient une profession à haut risque. Je tente mêmeune comparaison avec les mecs de usines de pneus en Picardie qui espèrent atteindre la retraite avant la fermeture du site. « 

Mouloud : « Est-ce qu’en écrivant ce livre vous vous êtes rendu compte que vous étiez juif ? »

« J’étais en résistance personnelle contre l’idée qu’il y avait un problème d’antisémitisme en France. L’affaire Merah m’avait troublé, l’histoire de Bruxelles m’avais mis à un niveau supérieur d’inquiétude, mais là avec l’histoire de l’hypercascher j’ai vraiment craqué. (…) C’est ce qui m’a réactivé ».

« L’une des raisons de ma méfiance vis-à-vis du « Charlisme », c’est cette priorité accordée à l’équipe de Charlie Hebdo ».

Antisémitisme en banlieue est-il réel ? Pour lui, ces trois événement suffisent à le démontrer. Mais ils ne faut pas pousser Juifs et Arabes les uns contre les autres :

« Dans une société malade, l’islamophobie et l’antisémitisme sont deux variétés de la même chose ». « Toute accentuation de l’islamophobie mènera à plus d’antisémitisme. J’en veux aux gens qui font semblant de ne pas le voir ».

Mouloud : « Ca veut dire qui pour vous aujourd’hui d’être juif en France ? »

« C’est même plus la peine d’être complètement juif pour être juif, il y a des critères externes qui ont été définis à une certaine époque… Un pays normal et sain comme la France, avec cette si vieille histoire, devrait être capable de comprendre qu’il y a mille façons d’être musulman, d’être catholique, d’être juif. Et plus ça sera confus, mieux on se portera ». 

Interlude télévision :

« Je passe mes journées à regarder des feuilletons télévisés, je regarde les sketchs des inconnus. J’ai revu tous les épisodes d’une Nounou d’enfer. Ça me parle, « une Nounou d’enfer. Mais il faut voir aussi culturellement ce que c’est ». 

On en revient à ses origines, nombreuses, et à cette « identité juive » qu’il redécouvre ces derniers temps.

« Todd c’est un nom anglais, ça veut dire renard en dialecte du nord de l’Angleterre ».  « Je suis hyper contente d’être origine bretonne mais si on est dans une France qui redécouvre le racisme sous une forme islamophobe et l’antisémitisme, etc., c’est évident que mon identité juive va prendre le dessus massivement ».

Mouloud : « Et elle vient d’où, cette islamophobie ? »

« La France actuelle et la France des années 30 ont des choses en commun. Mais tout est plus lent, il ne faut pas dramatiser ». 

Mouloud lui demande de s’exprimer sur l’une des thèses principales de son livre : le PS est subjectivement antiraciste et objectivement xénophobe.

Emmanuel Todd : « Si vraiment on voulait m’accuser de vouloir du mal à une entité collective, pour le PS j’admets la faute ». 

« Le PS se présente et se fait élire comme le défenseur des populations françaises d’origine immigrée. Des jeunes de banlieue par exemple (..). Mais la réalité c’est que c’est eux qui font les politiques économiques qui bousillent les populations d’origine immigrée ».

Mouloud : « François Hollande, 2017. A-t-il ses chances ?

Emmanuel Todd : « En tout cas, si on se retrouve en 2017 à choisir entre François Hollande, Sarkozy et marine Le Pen, on aura la certitude que le système politique est gâteux ».  « Si on arrive à refaire deux fois de suite le même choix entre les trois mêmes nuls, c’est que vraiment il y a quelque chose qui va pas ». 

Il revient, pour finir, sur les critiques de son livre :

« Je suis accusé d’être une sorte de déterministe dément qui dit que les gens sont mus par desforces invincibles, qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Pas du tout ! Je ne dis pas que la liberté humaine n’existe pas, mais que les hommes ne sont pas complètement libres. C’est un modèle qui donne une moitié de poids pour la détermination, une moitié pour la liberté humaine ».

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Photo de trey songz lors d'une interview avec Mouloud Achour

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