(Article mis en ligne le 28 septembre 2015)
Ça se passe un dimanche soir, pas vraiment glauque, juste un peu plat. Deuxième partie de soirée, on zappe de chaîne en chaîne et on atterrit mollement sur France 2. Soudain, Laurent Delahousse apparaît dans « Un jour, un destin ». Celui d’hier était consacré à Rachida Dati et baptisé « Rachida Dati, les secrets d’une ambition ». La trame du documentaire consacré à l’ex-ministre de la Justice est simple. « De son enfance de Cosette à Chalon-sur-Saône aux ors de la République » comme pourrait le titrer un magazine qu’on lit chez le coiffeur.
– Cliquez ici pour voir « Un jour, un destin » du 27/09 : Rachida Dati, Les secrets d’une ambition –
Des journalistes sont sollicités dans le documentaire pour distiller confidences, vacheries et analyses, même si ce dernier terme est dans le cas présent un abus de langage. Parmi le panel, on retrouve Christophe Barbier et son écharpe rouge, spécialiste en tout et en rien, accessoirement directeur de la rédaction de l’Express, hebdo spécialisé en immobilier, en mal de dos et parfois en danger du communautarisme musulman, que plus personne ne lit, même pas chez le coiffeur.
Au détour d’une « analyse » profonde et pertinente, l’éditorialiste, consultant perpétuel pour cette émission, qualifie Rachida Dati, dans le plus grand des calmes, de « beurette ». Le mot infâmant est lâché.
Voilà l’ex-ministre, maire du VIIème arrondissement ravalée au rang de créature exotique et docile. Ce mot renferme tout le mépris possible, que sa terminaison en –ette ne parvient à adoucir. Le terme est apparu dans les années 80, après la Marche pour l’Egalité et contre le racisme de 83, elle aussi éthnicisée et passée à la postérité sous le terme « Marche des Beurs». Grâce à ce coup de colère, pour la première fois, la France réalise qu’une partie de sa population, originaire du Maghreb, existe. La figure du mâle maghrébin fait toujours peur. L’Arabe a muté en « Beur », un dérivé du verlan d’Arabe « rebeu ». Son pendant féminin, la « beurette » bénéficie quant à elle du tendre regard de celui qui la qualifie ainsi.
La jeune fille représente ainsi celle qui est intégrable, « pas comme les autres », inoffensive en somme. Mieux, le destin déchirant de la « beurette », considérée comme un pauvre animal à secourir, à mi-chemin entre Bambi et un chaton mignon, émeut.
Pire, la « beurette » titille la fibre héroïque de ceux qui estiment qu’ils doivent la sauver des griffes de sa méchante famille et culture pour l’émanciper.
Son consentement étant facultatif. Ce mécanisme paternaliste se retrouve chez la génération SOS Racisme, celle qui veut éradiquer la méchanceté à coup de sandwichs aux merguez, de potes et de concerts. Pour eux, encore aujourd’hui, il reste tolérable d’employer ce terme sexiste car il reste affectueux et leur rappelle le temps lointain où ils épinglaient des mains jaunes au revers de leurs blousons.
Le mot avait plus ou moins disparu de la circulation avant de faire son retour dans la bouche des premiers concernés, pour disqualifier et insulter les filles aux mœurs jugées trop légères, à l’amour démesuré du maquillage et autres artifices cosmétiques. Les filles de téléréalité comme Nabilla et Ayem ou Zahia, l’escort girl, en sont devenues les représentantes raillées, bimbos orientales sans cerveaux.
Nabilla
Des blagues circulent sur les réseaux sociaux, où on les compare à des oranges, rapport à la couleur de leur teint carotte obtenu à coup d’UV cancérigènes ou de poudre Terracotta. On leur reproche leur hommage permanent à la scoliose vu leur tendance à exagérer leur cambrure sur tous leurs selfies. On moque leurs extensions capillaires, leurs lissages brésiliens et leurs lentilles colorées, pieds de nez à la génétique.
On rira de leur physique exhibé dans les bars à chicha au milieu de deux volutes de tabac aromatisé à la pomme ou au caramel. Ces concours de blagues douteuses et puériles finiront en « sujets les plus discutés sur Twitter », sans même que les « blagueurs » ne réalisent la violence de leur « humour ».
Zahia
Des rappeurs mettent aussi en scène cette figure contestée dans leurs chansons. 40 000 gang et Booba le confessent dans « Vrai » : « J’vais à la chicha qu’pour les beurettes, J’vais à la chicha que pour les beurettes », ou Rohff qui scande dans « Déterminé », « Nous on a le beurre, l’argent du beurre et toutes les beurettes ».
Le rappeur El Matador a décidé d’apporter sa contribution au jeu de massacre verbal et a réussi l’exploit de concentrer sexisme, racisme et bêtise en quelques couplets dans une chanson subtilement baptisée « Les Beurettes aiment » :
« Beurette aime les rappeurs et les footballeurs. Elle aime le métissage, mélange de couleurs. Beurette est maghrébine, mais les UV lui donnent un teint orangé. Traite-la de « biatch », ça ne va pas la déranger. Elle veut un fils qui ressemble à Booba. Destinations préférées : Marrakech ou Dubaï. Elle change de prénom, elle a honte du sien. Elle se trouve un joli pseudonyme. Un blaze d’actrice porno ; ça sonne un peu plus clean… »
Pour sa part, le magazine « The Economist » relevait dans un article sur le business du porno, paru le 26 septembre, que le terme de catégorie pornographique le plus recherché en France sur le site Pornhub était « beurette ». Preuve que l’exotisme oriental de ces filles originaires du Maghreb fait fantasmer. Y compris à leur corps défendant.
Bref, pour toutes ces raisons, ne m’appelez plus jamais « beurette ».