Musicien reconnu, Ibrahim Maalouf parcourt le monde pour jouer ses créations. Alors qu'il se rendait mardi à Londres pour un concert, il a été arrêté en raison d'un signalement "Interpol Positif". Il nous raconte en exclusivité pour Clique.
Que s’est-il passé lors de votre départ pour Londres ?
J’ai été retenu par la police à la Gare du Nord. Il était indiqué sur leur ordinateur que mon passeport était signalé « Interpol positif ». Ils me l’ont confisqué et m’ont interrogé. J’ai raté deux trains supplémentaires, et annulé toute la journée de promotion que je devais faire à Londres. Puis, j’ai été relâché. J’avais ma carte d’identité sur moi, j’ai donc pu monter dans un train. Une fois assis, j’ai été rejoint par trois agents de la Douane qui m’ont demandé de descendre.
J’ai refusé et nous avons eu une explication musclée car je n’avais rien à me reprocher. En fait, ils avaient mal pris le fait qu’un article du Parisien, publié quelques minutes plus tôt, relate ma mésaventure en disant que la douane m’avait arrêté, sur la base de ce que j’avais raconté sur mon compte Facebook personnel. Ils m’ont accusé, devant tout les passagers, de « diffamation ».
Le pire, c’est que sur mon post Facebook je n’avais absolument pas écrit le mot « douane ». Je n’y ai mentionné que la police. Le journaliste du Parisien s’est trompé. A la suite de cet échange musclé, j’ai menacé les agents de police, qui avaient demandé à la sécurité de venir me sortir du train, d’en parler à la presse de manière beaucoup plus étendue, pour une imprécision dont je n’étais même pas responsable ! Ils se sont calmés, et une minute avant que le train ne démarre, ils m’ont laissé partir… J’ai pu arriver juste à l’heure pour le concert qui s’est très bien passé !
Quelles justifications vous ont été données ?
La police n’avait aucune idée de la raison pour laquelle j’avais été fiché par Interpol. Pour eux, c’est juste mon passeport qui n’était plus utilisable et par conséquent je ne peux plus l’utiliser pour voyager.
Je pense qu’il y a, depuis la promulgation de l’état d’urgence, des procédés qui doivent dépasser les surveillances habituelles. Et là, je ne suis qu’un dommage collatéral insignifiant…
Comment l’avez-vous vécu, puis interprété ?
Je l’ai vécu simplement au début, sans aucun souci. Je comprends l’ambiance actuelle et le sentiment de peur qui nous habite tous d’ailleurs, qui peut – et c’est légitime- mener à une forme de paranoïa. Si la police ne fait rien on dit « mais que font-ils pour nous protéger ? » mais s’ils font quelque chose, on leur reproche d’être trop sévères. Je ne leur reproche rien. En revanche, je reproche à Interpol, (car j’en suis intimement convaincu) de faire un peu de zèle, et de s’engouffrer sur des terrains qui n’ont pas grand sens. Par exemple, mon profil, pour le coup, est assez clair, toute ma vie est sur internet, ni mes téléphones ni mes ordinateurs ne sont protégés. Donc, s’ils veulent savoir où je suis, quand, ce que je fais… ils peuvent le faire car je n’ai rien à cacher. Pourquoi invalider mon passeport en prétendant qu’il est inutilisable depuis 2012, alors que je l’utilise sans problème depuis tout ce temps ? J’ai traversé quarante pays avec, j’ai obtenu six visas pour la Chine, la Corée du Sud, le Brésil, les Etats-Unis … Et jamais personne ne m’a dit que mon passeport était invalide. Seul Interpol est capable de faire cela. L’autre chose que je déplore dans cette histoire c’est le comportement de la douane. Elle perd son temps à regarder ce qui est publié sur Facebook pour venir faire sortir un passager d’un train qui n’a rien demandé, juste sur la base d’une rumeur. Ils ont, à mon avis, bien d’autres choses à faire. Ils ont voulu jouer les cow-boys, et ça, dans une période où justement on doit tous rester vigilants, c’était déplacé de leur part.
Ils ont dépassé les limites en me traitant comme un terroriste potentiel devant tout un wagon juste parce qu’un journaliste a écrit par erreur qu’ils m’avaient arrêté.
Chacun doit faire son travail consciencieusement, mais là, cela s’appelle de l’abus de pouvoir. J’aurais pu porter plainte si jamais ils m’avaient fait sortir du train de force. J’aurais été contraint d’annuler mon concert, il aurait fallu rembourser deux mille personnes, dédommager les organisateurs du festival et ça représente beaucoup d’argent. Heureusement, ils ont eu la présence d’esprit de réaliser l’absurdité de la situation et m’ont laissé partir. Des agents moins « intelligents », auraient pu dépasser les bornes, et là ça se serait beaucoup moins bien passé…
Qu’est-ce que cela signifie d’être signalé Interpol positif ?
Je me suis renseigné. Cela veut dire simplement qu’on vous met des bâtons dans les roues lors de vos déplacements. Un terroriste fiché positif par Interpol sera automatiquement appréhendé à la frontière. Je l’ai appris à ce moment là. Je n’ai pas de temps à perdre avec ça. Je ne souhaitais pas en parler à la presse, ni même à des avocats. Mais exceptionnellement, je vous en parle parce que je trouve qu’il faut assurer notre sécurité mais sans abus. Et c’est bien que la police comme la douane, soient au courant qu’on les surveille aussi, et qu’ils doivent être vigilants.
Juridiquement qu’est-ce que cela implique pour vous d’être fiché ?
Je n’en ai aucune idée. Je pense simplement que je risque régulièrement d’être interrogé. Je répondrai. Tant que ça reste courtois, il n’y a pas de soucis. Ce qui m’embête c’est que je vais devoir partir deux heures plus tôt à chaque fois, par crainte d’être interrogé et retenu… Je ne peux pas manquer mes concerts à chaque fois qu’un agent de police, ou un douanier fait du zèle…
Quelles instructions vous ont été données quand on vous a « relâché » ?Aucune. On m’a juste confisqué mon passeport en me disant qu’il est désormais inutilisable. Je dois donc en refaire un autre… Et j’espère que ça ne va pas être une galère… À une époque pas si lointaine, renouveler son passeport ça voulait dire produire un document de preuve de nationalité française. Et ils n’acceptaient pas la carte d’identité. C’est une administration compliquée, et pourtant, je suis un Français comme un autre.
Pensez-vous que ce soit des précautions nécessaires aux vues des circonstances ?
Oui, bien sûr. Aucun doute là dessus. Surveiller oui. Empêcher les gens bien et normaux de faire leur travail, non. Là c’est de ça dont il s’agit.
Ce genre de situations vous arrivent-elles souvent ?
Cela m’arrive beaucoup trop souvent. Mais en France, c’est la première fois. Au Liban, aux Etats-Unis, en Belgique, en Israël etc… ça m’est arrivé à de multiples reprises. En France, je suis très souvent contrôlé dans la rue, dans les métros… Un jour, je me suis même fait arrêter dans le taxi, par un « commando » de CRS, en mode « car jacking ». Lorsque je leur ai demandé pourquoi ils s’étaient comportés ainsi, ils m’ont dit que je ressemblais à quelqu’un qu’ils recherchaient…
Qu’est-ce que cela raconte de l’atmosphère ambiante actuelle selon vous ?
Je trouve que c’est triste d’en arriver là, mais certainement nécessaire. J’ai reçu de nombreux messages de soutien. Plus de trois cents mails, et messages Facebook en moins de deux ou trois heures. Tout le monde a été très émouvant. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’une bonne moitié des messages me demandaient de ne pas trop en parler pour ne pas créer de psychose, pour ne pas affoler tout le monde et pour ne pas passer pour un « martyr » du système. Et l’autre moitié m’encourageait à en parler allègrement.
Certains messages étaient très touchants, notamment ceux qui me disaient « Ibrahim, s’il te plaît, parle car, toi, on t’écoutera. Nous, on en parle tout le temps mais tout le monde s’en fout. Toi, tu es connu, si tu le dis, les gens vont prendre conscience de ces situations. Raconte-leur ce qu’on subit tous les jours. Si tu ne le fais pas ça veut dire que tu nous laisses tomber. »
Pas simple de faire le bon choix. J’ai donc décidé de vous répondre parce que Clique, ce sont mes amis. Mais je ne veux pas non plus, en effet, donner l’impression de profiter de ce qui s’est passé pour faire parler de moi et de ma musique. Les différents articles que j’ai vu du Parisien, du JDD, du Courrier de l’Atlas etc… je ne leur ai pas demandé d’en parler. Ce sont eux qui ont eu envie de relayer ce qu’ils avaient entendu. J’ai refusé toutes les autres interviews à ce sujet et je vais essayer de ne plus trop en parler.