Un retraité de Copenhague, un lad de Manchester, un cholo de East LA, un rasta londonien et un preppy boy Tokyoïte entrent dans un magasin de chaussures.
Cela pourrait être le début d’une mauvaise blague si tous ces hommes ne partageaient une certaine idée du confort, celui de leurs pieds en tout cas.
Ne leur parlez pas de derby ou de richelieu à bout fleuri, ils ne jurent que par les comfort shoes et ont tous la même inclinaison pour les semelles intercalaires souples, les coutures intérieures caoutchoutées ou les formes haricot, assurant un maximum d’espace aux orteils.
Loin de nos designer sneakers et de nos mocassins italiens, existe un autre système solaire dont les planètes se nomment Jacoform, Hearth shoes, Mephisto ou Kickers.
À Los Angeles, les gangbangers, qui passent beaucoup de temps dans la rue, ont compris depuis longtemps « que celui qui veut aller loin ménage sa monture ». Les 26 os du pied sont mis à rude épreuve sur le macadam de Compton, mais les comfort shoes de qualité sont chères. La lutte des classes ne s’est pas arrêtée aux portes du bien-être, mais heureusement la providence ne laisse personne de côté. Pour un Evil E (DJ de Ice T) qui peut s’offrir une paire de Bally les winos et slippers permettent à chacun d’avoir les doigts de pied en éventail, quelle que soit sa condition.
Snoop lui-même, toujours proche de l’homme de la rue, ne dédaigne jamais étrenner une petite paire de slippers aux couleurs des Crips.
En Angleterre, les comfort shoes ont accompagnées l’éclosion du reggae anglais, roots avec Aswad ou Steel Pulse mais aussi digital, en chaussant Smiley Culture, Tippa Irie et le Saxon sound system. Là, Jacoform, Mephisto, Clarks et Bally ont laissé leurs empreintes dans tous les dance halls dignes de ce nom.
Par capillarité, les lads blancs du quartier ont vite pris le pli en ajoutant à leur garde robe Kickers et Birkenstock, Mike Skinner/The Street et Liam Gallagher en étant les porte-étendards.
Les preppy japonais eux ont tout pigés très vite, comme toujours en matière de style. Dès le début des années 90, il n’était pas rare d’en croiser à Paris, chaussés de drôles de souliers en forme de haricots rouge.
Et nous rigolions à leur passage, béotiens que nous étions, croyant tout savoir de l’existence, campés dans nos adidas Forum.
L’expérience de la vie justement, il nous manquait ça. Quand le poids du regard des autres n’est plus qu’un lointain souvenir et que tous les verrous cheap de l’orgueil ont sautés, ce moment où le confort devient le seul étalon de mesure indispensable. C’est grâce à cela que les retraités à la cool confient leurs extrémités éprouvées aux bons soins des marques susnommées.
Et vous dans tout ça ? Quoi que vous en pensiez, ne hochez pas la tête d’incrédulité, peut-être n’avez vous pas été loin de devenir un Monsieur Jourdain du pied léger, si d’aventure vous avez déjà porté une wallabee ou une desert trek de chez Clarks.
Ces deux modèles, prisés des rastas anglais, sont la porte d’entrée pour aller à la découverte du confort des semelles soft-air.
Une anecdote pour finir ; un jour sur la ligne 3 du métro parisien, alors que j’étais tranquillement plongé dans un cahier saumon du Figaro trouvé sur une banquette, un homme d’église chaussé de Mephisto est venu s’asseoir face à moi. Après avoir louché quelques instants sur ses tatanes, je lui ai demandé si il n’y avait pas un conflit d’intérêt eu égard à sa fonction.
Il m’a répondu l’œil malin :
Ah, bien au contraire, de cette façon je mets le diable à mes pieds.
Rrrrrrrrroulement de tambour.
POST-SCRIPTUM STYLE DE L’AUTEUR :
Pour éblouir tous les invités à un mariage, je ne saurais trop vous conseiller cette petite paire de Jacoform, en crème bien évidemment et à associer à du lin si possible.