Youness Bourimech est entrepreneur et investisseur, notamment dans le bâtiment et dans la restauration, mais il est surtout très fier de son engagement en faveur de la banlieue parisienne. Clique est allé à la rencontre de cet autodidacte.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Youness Bourimech. J’ai 36 ans, je suis un entrepreneur de Bondy en Seine-Saint-Denis et j’oeuvre pour ma banlieue. Je fais partie de la deuxième génération d’immigrés : mes parents sont venus du Maroc dans les années 70.
Comment tout ça a démarré ? Peux-tu nous raconter ton parcours et ton ascension ?
J’ai démarré il y a plus de 15 ans avec une entreprise de nettoyage que j’ai créée avec mon père et ma soeur. De là tout est allé très vite. Poussé par ma famille, en l’occurence mon père, j’ai lancé des entreprises les unes après les autres. Je n’ai pas toujours été gagnant, mais je suis là aujourd’hui.
Où es-tu justement ?
Mon domaine de prédilection, c’est le bâtiment. J’ai une pépinière d’entreprises à Villiers-le-Bel où je construis 10 000 mètres carrés de bureaux – je les vends à partir de 30 mètres carrés. Je suis aussi propriétaire d’un restaurant d’affaires, l’Atelier, à Bondy.
J’ai démarré à 21 ans avec ma première entreprise, ça fait 15 ans que je travaille dur. 15 ans d’entrepreneuriat, c’est beaucoup…
Bref, je préfère parler de la richesse que je peux créer dans les quartiers et de l’exemple que je peux donner à d’autres jeunes, ça les motive. Je veux qu’ils se disent : « Pourquoi il y arrive ? On va essayer nous aussi ». D’ailleurs, c’est ce qu’il se passe : j’ai aidé à la création de plus d’une centaine de sociétés. Quand je vois du potentiel chez certaines personnes, je les aide. J’en ai recommandé certains dans de grandes entreprises, ou je les ai carrément aidés à créer leur propre affaire.
Comment ça se passe alors, avec ceux que tu remarques ?
Je teste la personne. Il faut qu’elle vienne manger chez moi, qu’elle voie mes enfants. Il faut instaurer une relation presque familiale. De là, je la conseille, voire l’accompagne dans son projet. Mais tout le monde n’a pas forcément cette chance. Je travaille aussi avec des personnes très bonnes dans ce qu’elles font mais qui au bout d’un moment stagnent. Ces personnes-là montent avec moi, puis je les envoie ailleurs pour que leur ascension continue. Et généralement quand je recommande quelqu’un auprès de grandes entreprises, même certaines du CAC 40, c’est que la personne est vraiment sérieuse.
Comment as-tu rencontré ces grands patrons du CAC 40 ?
Par le réseau grâce mon expérience. Ce qu’il faut savoir aussi, c’est qu’institutionellement je suis le vice-président des entrepreneurs de Seine-Saint-Denis. Je suis en relation directe avec le Conseil général qui me laisse créer des événements quand j’en ai l’occasion. J’arrive à attirer du monde ici. Par, exemple pour la COP 21, j’ai été choisi comme intervenant et je suis passé dans le New-York Times.
Quel était le but de cet entretien ?
J’expliquais en quelque sorte la banlieue à ce grand média américain. Je leur ai raconté mon ressenti depuis les événements du 13 novembre 2015. On a aussi parlé racisme. Pour moi, à part entendre beaucoup plus de sirènes de voitures de police, les choses n’ont pas changé.
En ce qui concerne le racisme je passe outre, ça m’est égal. Il n’y a pas si longtemps que ça on m’a dit : « C’est dommage que tu t’appelles Youness ».
Pour quelle raison?
C’était pour une affaire. Mais bon c’est comme ça, c’est la vie. J’aurais peut-être dû changer de prénom pour l’avoir. C’était en pleine période d’attentats, j’en ai fait les frais, comme pas mal d’autres, je pense, à leur échelle.
Donc dans ton quotidien tu aides tous ces jeunes?
Évidemment, quand je peux, je le fais. C’est ce qui m’a permis de rencontrer Jacques Attali. PlaNet Finance s’est installé à Bondy Nord. C’est la fondation que Jacques Attali a créé. Elle aide les personnes exclues du système bancaire à développer leur activité de manière autonome. Désormais, dès qu’un jeune me sollicite, je le redirige là-bas. Mounir, le responsable, s’occupe d’aider tout ce monde à créer sa boîte. Ils sont suivis, on les aide à monter des business plans par exemple. C’est le taux de chômage en banlieue qui me pousse à faire ça, surtout celui des jeunes. Avec la misère sociale qu’on a dans les quartiers, quand tu crées de la richesse, ça en fait encore rêver certains.
Jacques Attali est d’une grande importance pour moi. Je l’appelle dès que j’ai besoin d’un conseil. Il me recadre et me calme ; je le considère comme un sage.
Avoir Jacques Attali à mes côtés, c’est comme avoir 10 livres à ma disposition pour toujours en apprendre plus. On entretient de très bonnes relations.
Et quel style de musique un entrepreneur comme toi écoute?
Beaucoup de rap. J’écoute ça partout, même à la maison avec mes enfants. C’est un peu notre musique. Alpha 5.20 ça me motive avant une réunion par exemple. J’aime beaucoup Rim-K, NTM, IAM, on fait partie de tout ça. En ce moment j’écoute pas mal MHD et Lacrim. D’ailleurs il faudrait qu’il soit libéré au plus vite. Il nous manque, il commence à faire beau, un petit RIPRO 3 ça ferait du bien. Quand quelqu’un réussit il faut le soutenir. S’il en arrive là, c’est juste le travail. Il n’y a que ca de vrai pour s’en sortir. On manque de ça.
Retrouvez notre entretien avec Lacrim
Peux-tu expliquer ce que tu veux dire par « on manque de ça »?
Je parle des personnes issues de l’immigration. À la télé, on ne voit que des mecs qui brûlent des voitures alors que ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup de gens comme moi, ils sont juste cachés.
En banlieue, il y a aussi des médecins ou des ingénieurs. Selon certains, si tu n’as pas fait un braquage ou autre chose de négatif, tu es inintéressant.
Ta trajectoire te plaît ? C’est ce que tu voulais ?
Complètement, quand je me lève je suis heureux. Ici, je me sens utile. Ma réussite, c’est les autres. Si ça ne va pas je pense à ceux que j’ai pu aider dans leur réussite, et ça va continuer.
La Seine-Saint-Denis c’est le futur, plus particulièrement à Bondy. On est à 7 kilomètres de l’aéroport de Roissy et de Paris, tout en étant sur le foncier le moins cher d’Île-de-France. J’ai fait mes calculs : l’avenir est bien là.
Qu’est-ce qui est le plus important pour toi ?
La famille, la confiance, le respect et les valeurs. C’est ce qu’on retrouve dans le sport. Le sport est aussi très important dans ma vie. On est tous les mêmes sur un terrain, on apprend à être collectif : j’essaye d’appliquer ça à mon quotidien.
Mon bonheur dans la vie c’est d’arriver dans mes sociétés et de dire bonjour à tout le monde le matin. En faisant ça, je rends tout ce que m’a donné la banlieue.
Mes sociétés, c’est un peu mon laboratoire : en grandissant, j’ai remarqué ce qu’il manquait aux quartiers et c’est ce que j’essaye de faire avec mes différent projets.
Dès que je vois des créneaux qui ne sont pas représentés, je les crée et ça fait de l’emploi. Mon restaurant d’affaires, l’Atelier, c’est un accomplissement.
Ton dernier projet en date?
Je fais partie des cinq portraits du prochain livre de Sébastien Poulet-Goffard, cinq témoignages de cinq entrepreneurs de banlieue. L’ouvrage s’intitule « Réservoir de talents, le 93 des entrepreneurs » et sort à la fin du mois aux éditions Ateliers Henry Dougier. Dans ce livre, je raconte tout. C’est aussi un moyen de montrer une image des banlieues que les média ne relaient pas.
La banlieue ce n’est pas des terroristes et des voitures qui brûlent. Ce livre raconte le contraire : ce sont des gens qui créent de l’emploi.