Annabelle, Crystal, Angelina et Thais forment le Gucci Gang. Nées en 2000, ces parisiennes se sont connues sur les bancs de l'école et à 15 ans, elles regroupent à elles seules plus de 30 000 abonnés sur Instagram. Angelina fut la premiere repérée par l'agence WM Models et a entraîné avec elle sa bande. Leur premier film-entretien "Gucci Gang", réalisé par Alexandre Silberstein, laisse la voix à cette jeune génération parfois nostalgique, à la fois perplexe et lucide. Clique leur donne la parole.
Pourquoi le nom Gucci Gang ?
Thais : Il y avait une fille de notre classe dont la mère avait comme mail « guccibella », on a toutes mis ça dans notre description Instagram et c’est resté. Nos amis nous appellent comme ça « le gucci arrive », et si il y en a une qui manque ça donne « le gucci moins Crystal », ou « le gucci moins Angelina ».
Comment est venue l’idée du film Gucci Gang ?
Annabelle : C’est une idée d’Alexandre Silberstein, sa mère a un site de mode 1nstant.fr, il voulait faire un shooting d’Angelina et quand il a vu qu’elle faisait partie d’une bande il a voulu en faire un film. On s’est laissées guider.
« Gucci Gang », un documentaire d’Alexandre Silberstein
Crystal : C’est assez gênant, j’ai parlé comme si je m’adressais à mes copines. On pensait pas qu’on allait parler de nous, quand on a vu qu’on était dans l’Officiel on n’a pas compris ce qui se passait.
C’est quoi une bande ?
Thais : Une bande c’est comme une deuxième famille, une famille qu’on se crée.
Vous décrivez les années qui précèdent votre naissance (2000) comme un âge d’or, y croyez-vous vraiment ?
Angelina : Je pense qu’il faut évoluer avec son temps et rendre ce qu’on a en
meilleur. Peut-être qu’avec la mode c’était mieux avant, y’avait des mouvements, je trouve que c’était plus trash.
Annabelle : Aujourd’hui c’est peut-être plus ouvert au niveau musique. On s’inspire de ce qu’il y a eu avant mais à notre façon, avec notre temps. En mode c’est la même chose.
Thais : Quand tu l’as pas vécu, tu gardes que le meilleur de ce qu’il y a eu. Je pense que c’est propre à chaque génération de dire « c’était mieux avant ».
Pensez-vous être un mélange de styles ? un mélange d’époques ?
Angelina : On mélange plein de cultures différentes, c’est lié à internet. Je pense
que depuis deux ans, à Paris, il y a quelque chose de nouveau, quelque chose de plus excitant que d’habitude
.
Thais : On a l’impression que la jeunesse parisienne s’est réveillée, les jeunes font plus de choses. C’est vachement les réseaux sociaux qui ont libéré ça, on peut directement montrer ce qu’on fait.
Vous vous présentez à travers Instagram. Est-ce qu’aujourd’hui ça compte d’avoir beaucoup de followers?
Annabelle : Non c’est juste que les gens nous repèrent via Instagram.
Angelina : Tout ce que je fais c’est grâce à Instagram, je travaille grâce à cette
plateforme. Les gens qui s’intéressent un peu à notre délire c’est seulement à travers les réseaux sociaux. C’est un business maintenant.
Thais : On n’a pas des physiques de mannequins, et c’est avec les réseaux sociaux qu’on peut exister autrement.
Est-ce que cela pose parfois problème ?
Angelina : Le problème c’est qu’on te voit comme une fille qui n’a rien de plus que son profil, y’a beaucoup de moments où t’es pas bien. A cause d’Instagram, les gens se font beaucoup d’idées, de vies qui ne sont pas réelles. Ça entraîne pas mal de haine de la part des gens. Alors qu’en vrai, Insta, c’est pas si sérieux.
Ressentez-vous un décalage avec les autres jeunes de votre âge?
Annabelle : Tu reviens à la réalité quand t’es en cours et que tu dois réviser ton contrôle d’SVT. Mais même si je sens le décalage, ça m’empêche pas de bien m’entendre avec les gens de mon âge.
Crystal : Je suis en troisième dans un collège privé catholique où y’a vraiment que des petits et je me sens complètement en décalage.
Je suis la seule renoi, on me demande de couper mes cheveux parce qu’ils trouvent ça un peu provoc’.
C’est quoi pour vous être original ?
Angelina : S’en foutre des autres, ne pas suivre le mouvement parce que c’est ce qu’il faut faire. L’originalité c’est une façon de penser, voir les choses différemment.
Thais : Pour moi c’est assumer ce qu’on est, ce qu’on pense.
Vous parlez beaucoup des films de Jacques Demy, ça représente quoi pour vous ?
Angelina : Avec Thais, depuis qu’on est petites, Peau d’Âne est notre film préféré. J’aime beaucoup Catherine Deneuve. Les films de Demy tu les regardes souvent avec ta famille quand t’es petite, c’est quelque chose que j’ai partagé avec mes sœurs. Il y a un romantisme, quelque chose de touchant. L’image est colorée, je les aime parce que c’est beau.
La bande-annonce de Peau d’Âne de Jacques Demy (1970)
Thais : Aucun détail n’est passé à la trappe, les costumes sont beaux. Il y a un esthétisme qui te marque, même si on trouve ça niais il faut l’accepter et c’est à ce moment-là que l’on comprend ses films.
C’est quoi votre version du romantisme à 15 ans en 2016 ?
Angelina : On n’a pas vécu assez de choses, on n’a pas assez de recul. Je trouve beau de ne pas avoir peur d’aimer, c’est ce qui est difficile dans notre génération. C’est démodé d’aimer vraiment et de le dire.
Thais : c’est dur de savoir si on a déjà aimé quelqu’un, on est trop jeunes pour savoir.
Quelle est votre définition de « la réussite » ?
Annabelle : Se sentir bien dans sa peau et s’apprécier.
Angelina : Faire ce que je veux dans la vie, ne pas être bloqué dans un métier qui ne me plait pas.
Crystal : Je sais même pas quelle filière faire, quel lycée choisir.
Vous répétez que vous ne « faites pas grand chose », dans ce cas pourquoi pensez-vous attirer l’attention ?
Angelina : Je pense que les gens sont étonnés. Avec Thaïs on se disait que si on avait pas 15 ans, on aurait pas cette attention.
Thais : Avec les réseaux sociaux, on grandit beaucoup plus vite, ça fait flipper les gens et ça les intrigue. J’ai compris qu’il n’y avait pas d’âge pour se parler, tant que les personnes sont ouvertes d’esprit ça traverse toutes les frontières.
Vous êtes fans des 90’s. Quelle invention vous aurait manqué si vous aviez 15 ans durant cette période ?
Toutes : Le smartphone.
Annabelle : On a une deuxième vie par rapport à ça, je ne dirais pas qu’on est surconnectées mais on a vraiment fait notre truc sur les réseaux. À cette époque, si on n’avait pas eu nos smartphones on n’aurait eu aucune visibilité.
Qu’est-ce que le style représente d’une personne d’après vous ?
Angelina : Son caractère, ce qu’il veut montrer de lui.
Annabelle : Ce qu’il pense de la mode en général. Même les artistes ont des stylistes, ils sont là pour préserver leur personnalité.
Thais : Même si vestimentairement tu t’en fous totalement, c’est déjà montrer un peu de ta personnalité.
Avez-vous une icône style d’aujourd’hui ?
Crystal : Rihanna.
Angelina : C’est clairement une bad bitch, mais y’a que Rihanna qui peut s’habiller en Rihanna. Si je m’habille comme elle je vais me faire insulter dans la rue.
On vous considère comme très jeunes, pourtant à vôtre âge on vous demande déjà de prendre des décisions importantes dans votre scolarité, qu’en pensez- vous ?
Thais : On a un système qui pose problème parce qu’en troisième on doit choisir un lycée général ou professionnel, en seconde générale on nous demande de choisir, de faire un tri entre 3 filières bien distinctes. C’est des décisions qui peuvent nous suivre toute notre vie, pour peu que l’on se soit trompé il peut y avoir un immense regret. J’ai la chance d’avoir trouvé un lycée d’art qui me correspond, mais encore une fois, j’ai dû le chercher, dans mon orientation personne ne m’en avait parlé. Là aussi il y a une faille, le conseiller d’orientation. Aussi, j’ai la chance d’avoir des parents qui me poussent à faire ce que j’aime.
Y’a un problème d’ambition, entre nous on se dit « ouais bah plus tard j’vais galérer, comme un peu tout le monde ».
Annabelle : On ne peut pas vraiment choisir ce qu’on apprend, on est noté sans avoir les même capacités, on nous met dans des cases. On a peu d’options. C’est pas assez ouvert.
J’aurais aimé qu’on me parle de l’avenir depuis toujours, là tu vas à l’école tranquillement, t’arrives en troisième on te dit « maintenant tu choisis ». À ce moment-là on a 13 ans.
Angelina : On a la chance d’avoir un petit aperçu sur l’art, le cinéma, la musique, mais d’autres n’ont pas cette chance et seraient surement intéressés. On nous parle même pas du fait que ça existe de faire un lycée d’art, que ça existe d’aller dans un lycée technologique et que c’est pas la honte. Même si aujourd’hui on dit que l’accès à la culture est démocratisé, c’est pas totalement vrai. Il y a encore trop de lacunes dans l’éducation des arts, certains lycées ont des options, d’autres non, pour moi ça ne devrait pas être facultatif.
Quels sont les projets du Gucci Gang ?
Crystal : La campagne Gucci c’est notre rêve. Gucci Gang campagne Gucci.
Thais : Ce serait drôle, réussir à faire un truc qui partait vraiment de rien, parce que c’est ça. Surtout que cette marque vit une renaissance depuis deux saisons et qu’avant elle était un peu has been. Au départ c’était une vraie blague.
Dans le film, vous dîtes être fans de Booba.
Angelina : Il a évolué avec son public, il est capable de faire zouker avec Validée et à côté faire 4G. Il savait dès le début qu’il allait percer. C’est un malin. J’ai kiffé qu’il fasse une collaboration avec Christine and The Queens, et pourtant les gens comprennent pas. Il montre qu’il méprise pas les autres, qu’il peut toucher à tout. Et puis il est drôle, la manière dont il parle à ses enfants sur Instagram, c’est génial.
Annabelle : Si on le rencontrait on lui dirait I love you.
Propos recueillis par Najwa Harfouch