Pour son premier film, Houda Benyamina remporte la « Caméra d’or ». En compétition dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs, son film Divines a ému les cinéphiles. Érigé comme la sensation de cette 69e édition du Festival de Cannes, le long métrage raconte l’histoire de Dounia, jeune adolescente qui veut tout faire pour réussir, quitte à entrer dans le milieu des narcotrafiquants. Lors de la remise de la cérémonie, Houda Benyamina n’a eu que faire du timing militaire de l’événement et s’est laissée guider par la passion qui l’anime. Le discours porté par sa verve unique est à la fois ému et combatif, drôle et engagé, notamment sur la place des femmes dans le cinéma français.
« En fait j’arrête pas de dire que j’en à rien à foutre de Cannes à mon producteur depuis le début. Quand j’étais en train de monter, je lui disais : je m’en fous de Cannes, je fais pas un film pour Cannes. Et aujourd’hui je suis contente d’être là, parce que c’est aussi notre place à nous. Cannes nous appartient, Cannes est à nous aussi !
1000 Visages on est là quoi ! On est là, c’est possible ! Et que ça soit une femme qui nous ait remis le prix, c’est juste une tuerie quoi ! C’est une tuerie que ce soit une femme ! Et que pour les choses changent il faut mettre beaucoup plus de femmes décisionnaires, il faut qu’il y ait beaucoup plus de femmes même dans les sélectionneurs aujourd’hui. Toutes les sélections doivent être composées de femmes ! Je voudrais dire merci, merci à Edouard Waintrop : hey Waintrop, je vais le dire : T’as du clito !
Je voudrais dire merci à mon producteur qui ne fait pas juste que chercher de l’argent, ça c’est la base, mais qui m’amène tout le reste, qui m’amène la confiance en moi, l’estime de moi-même, qui ne m’a jamais dit non, qui m’a toujours trouvé des solutions : Marc-Benoît Créancier.
Je voudrais dire merci à mes guerriers artistiques parce qu’en fait – attendez j’enlève ça, (la réalisatrice émue devant son prix, NDLR) moi je kiffe là – je n’ai pas travaillé avec des collaborateurs, j’ai travaillé avec des collaborateurs artistiques, des guerriers. Des gens qui ont tellement donné. On avait un budget grâce à Valérie Boyer qui a cru en nous : encore une femme ! Valérie Boyer : Merci !
Et je voudrais dire merci à tout le monde : Loïc Lallemand, Romain Compingt qui est avec moi depuis le début, mon scénariste, parce qu’il n’y a pas de réalisateurs sans scénariste, et la place du scénariste est à redéfinir dans le cinéma français. En tout cas vive les scénaristes ! Je voulais dire merci à Julie Darfeuil, ma scripte de ouf ! Parce que sans elle j’aurais jamais fait ce film là, j’en aurais fait un autre, mais pas celui-là. Je voudrais dire merci à tous les autres, je sais que je vous ai oublié : Sarah Mescoff, ma pote, ma maquilleuse, tout le monde, tous mes collaborateurs, je sais que vous êtes derrière l’écran.
Je vous ai mené la vie dure pendant le tournage, mais vraiment dure. Je leur ai pas fait de cadeaux. Pas un seul cadeau. J’ai été d’une dureté , on m’appelait « le dragon ». Je leur disais toute la journée : « sortez vous les doigts du … Que si vous êtes fatigués, moi j’ai fait les ménages dans les avions avec ma mère quand j’étais plus jeune » J’ai fait des boulots chiants, on a pas le droit d’être fatigué quand on fait du cinéma, parce qu’on fait un métier d’amour.
Je voudrais dire merci à Majdouline Idrissi ma muse, qui est une grande star au Maroc et qui a participé à mon film gratuitement quoi ! En plus c’est une big star, c’est comme si j’avais … je sais pas moi, DiCaprio tu vois ! Et elle venait gratuit quoi, gratuit, dans un camp de Roms à Calais à galérer. Merci ma Majdouline. Il faut dire merci à Jisca Kalvanda. Kalvanda, Kalvanda putain de merde, à Déborah Lukumuena, et à ma petite soeur ! Et elle est pas là parce qu’elle a du réseau. Elle est là parce qu’elle a mérité. Et franchement elle l’a mérité, elle l’a cherché avec les dents ce rôle. Merci Oulaya ! Franchement je voulais pas la prendre au début, elle avait fait dix ans de danse classique et tout. Je lui ai dit : écoute, moi mon personnage c’est un personnage rugueux, c’est un personnage dur. Et j’ai été encore plus dure avec elle, mais vraiment, je ne lui ai pas fait de cadeaux. Et franchement là je suis trop heureuse. Je voudrais dire merci à tous ceux à qui je n’ai pas dit merci. Hé Waintrop ! Waintrop !
Ah j’oubliais, Mama ! Y’a ma mère qui est là ! Y’a ma mère ! Mama fais-moi un youyou (dit-elle en arabe, avant d’enchaîner un youyou avec force, NDLR). J’oublie pas mon mari, qu’a toujours été là et qui m’a supportée. Il me supporte lui, il est pas avec moi, il me supporte. Je voudrais dire merci à mon petit garçon Jassim. Je lui ai dit : tu fais une prière pour que j’aie la caméra d’or et je te ramène ton sylo 3D, je vais te le ramener ton stylo 3D Jassim ! Et Adim. Mes fils, j’ai sacrifié deux ans de ma vie où je les voyais très peu, même si je les ai allaités pendant deux ans quand même faut pas l’oublier.
Merci, merci, vraiment merci, merci, Cannes est à nous (en levant le poing, NDLR) ! À nous les femmes ! »