Il y a des gens qui s'intéressent à l'arithmétique, aux sports de glisse ou à l'élevage caprin en milieu urbain. Chacun son truc. Moi, ce qui me passionne, ce sont les personnes qui ont des hobbies ou des activités indéfinissables et qui, entre eux, forment sans le savoir des gangs entiers de surexcités qui, s'ils s'organisaient mieux, pourraient passer de sous-culture à "minorité" et peut-être, alors, espérer, un jour, avoir un parti politique qui les représente.
En attendant ce jour de gloire, ils demeurent encore trop confidentiels, c'est pourquoi j'espère, très sincèrement, que cette chronique les aidera un peu à augmenter leur puissance d'exister et donnera envie à l'Académie de leur trouver enfin un nom !
Le jour où je me suis achetée cette jupe, … :
… je me suis aussi achetée cette « gabardine » :
En rentrant chez moi, j’ai immédiatement sorti ce foulard :
Je me suis regardée dans le miroir et c’est alors que je me suis dit :
» MON DIEU ÇA Y EST, JE SUIS TOMBÉE DANS L’ENGRENAGE DU VIOLET! «
(Mais dans ma tête, et sans spécialement crier.).
C’est un comportement vestimentaire qui m’interpelle depuis un petit moment.
On en a tous vu des dizaines de fois, non ? On connait tous quelqu’un qui s’habille tout le temps en violet. Faites le test, et demandez à la personne qui se tient près de vous :
« Si je te dis, une femme qui s’habille en violet tu penses à…? »
C’est quelque chose de plutôt féminin, bien que quelques hommes y succombent également : de leur côté ça commence par une cravate…. des chaussettes qu’on associe à une cravate… une veste qui serait mieux si elle était plus… violette, un pantalon qui mériterait d’être un peu plus MAUVE ! Et enfin, une chemise blanche… Non j’déconne : VIOLETTE LA CHEMISE ! (Fushia à la rigueur).
« Le violet appelle le violet ». Plus que n’importe quelle autre couleur.
Sortir un pull violet, une jupe violette, c’est un parti pris, c’est une vraie décision, c’est dire : « Je fais partie des gens qui aiment le violet. » Et croyez-moi, ils sont peu. Sur un panel de 10 personnes choisies en fonction de leur rapidité à me répondre sur Facebook, seulement 3 affirment aimer le violet et sur ces 3, seulement 2 en portent… parfois.
Le violet est mal aimé.
Enfant déchu du rouge et du bleu, il n’est ni chaud, ni froid.
Et bien qu’il rappelle quelques-unes des plus jolies fleurs de ce monde, il ne fait pas DU TOUT l’unanimité.
Dans la culture occidentale, sa symbolique exprime aussi bien la noblesse que la jalousie, la fourberie que la tristesse. Large éventail des sentiments. Au XVIème siècle il est la couleur officielle du deuil (d’où la tristesse…) et bien plus tôt, aux alentours de 1200, le Pape Innocent II en fait la couleur insigne de la pénitence (d’où la fourberie, beh oui forcément, le pénitent est fourbe, c’est bien connu.)…
Pour ma part le violet me fera toujours penser à la tenue de Lavinia dans Princesse Sarah, à la couleur des cheveux de Tristan dans Lucille, amour et rock ‘n roll, à cette photo prise en classe de CE2 où, clairement, j’assume mon appartenance au club, au premier épisode d’Ally McBeal, aux tenues Pimp de Snoop et enfin, plus sérieusement, à cette peinture de Francis Bacon, qui comme par hasard représente ce même Pape qui, au XIIIème siècle, avait une opinion bien arrêtée et de grands projets pour la couleur violette.
Il y a quelques jours, j’étais dans le métro, assise devant une de ces « femmes violettes ». Elle avait sorti le grand jeu : capeline, blaser, collier de perles, jupe et mocassins : violets. Seul le chemisier était rose et aussi son sac n’était pas violet… mais son parapluie si, la perfide !Nous étions assise l’une en face de l’autre dans les nouveaux métros de la ligne 2 où deux bancs se font face. Arrêté à la station Jaurès, un miracle se produisit : une autre « femme violette » entra dans la rame. Il n’y avait plus de place et elle dû rester debout. Avant que les portes ne se ferment, elle sortit un gant de cuir violet, l’enfila et attrapa vigoureusement la barre du wagon en regardant droit devant elle. J’avais l’impression d’être dans un grand film de suspens, quelque chose allait se passer ! Une tension profonde comme dans un giallo… mais violet. Bon. La femme n°2 restait droite.
Violette n°1 dévisageait à présent n°2 de haut en bas. Elle la fusillait littéralement du regard, dégoûtée, et si elle-même n’avait pas été habillée en total look violet, on aurait pu croire, qu’elle se disait intérieurement :
« Ma pauvre fille, tu dois avoir des soucis pour être monomaniaque à ce point. Quelle idée, non mais regarde-toi, de quoi t’as l’air ?! Les gens n’ont vraiment pas idée… Qu’est-ce que ça peut-être con une bonne-femme quand même… »
Scène absurde pour le reste des passagers, car oui, je n’étais pas la seule à regarder le film.
Je n’attendais qu’une chose, que n°2 voit à son tour n°1. Pour ce faire, je me levai et proposai ma place… Elle n’eut pas le temps de s’assoir complètement que son regard accrochait déjà la capeline lui faisant face.
Qu’est-ce qui cloche chez vous les filles ? Vous devriez être contentes de croiser une de vos semblables ! Qu’est-ce que c’est que cette compétition ? Allez-vous nier que vous êtes identiques, que si ça se trouve vous êtes soeurs séparées à la naissance ?!!
Les deux ont continué de se mitrailler du regard, puis ont fait mine d’être intéressées par autre chose et elles ne se sont plus calculées jusqu’à ce que je descende et que je les abandonne à leur déni flagrant…
La sous-culture du violet serait donc un truc perso ?
« Si je te dis, une femme qui s’habille en violet tu penses à…? »
« À ma copine Mirna, me répondit mon amie Béné. Ça lui arrive de temps en temps. »
Je pris donc contact avec Mirna afin d’en savoir un peu plus.
Mirna travaille dans une très grosse agence d’événementiel à Paris. La trentaine, elle est très belle, très « bien foutue » et quand je l’ai rencontrée, c’est vrai, elle était habillée en violet, collants y compris.
Dans la foulée, j’ai contacté Hélène Vié, que l’on a déjà pu voir à la télé. Chef d’entreprise toulousaine, elle affiche clairement son amour pour le violet dans sa vie de tous les jours comme dans son business : lamaisondelaviolette.com, c’est dire.
Je leur ai posé les mêmes questions afin de comparer deux extrêmes. Et vous le verrez, s’il existe un club du purple love, dans ce club, il n’y a aucune règle….
Vous habillez-vous tous les jours en violet, si oui depuis quand ?
Mirna : Non. (Du coup, elle ne développe pas)
Hélène : Oui, depuis 25 ans je m’habille tous les jours en violet ou avec beaucoup de tons de violet. (Voilà ! Nous y sommes !)
Vous rappelez-vous de la première pièce violette que vous ayez achetée ?
M : Non, pas exactement, mais la plus osée : des bottes montantes Repetto, que j’ai toujours et depuis 9 ans !
H : Oui, c’était un sac à main, j’ai commencé par des accessoires : bijou, foulards, car je ne trouvais pas de vêtements violets à la mode. Puis tee shirt, shorts. Mais mon premier joli habit était un magnifique tailleur parme que j’ai acheté en févier 1994, pour mon premier voyage professionnel à Lisbonne.
Que vous inspire cette couleur ?
M : C’est le juste milieu. Le parfait mélange entre le bleu et le rouge (deux autres couleurs que j’aime bien) : donc ça m’inspire l’équilibre « Féminité, mais pas trop ». (Intéressant…)
H : Douceur, beaucoup de joie et bien-être. J’ai besoin de cette couleur, sans doute aussi parce qu’elle représente ma liberté de créer, de voyager.
Est-ce qu’il vous arrive de mélanger certaines pièces violettes de votre garde-robe avec d’autres couleurs ?
M : Yes : bleu, rouge, jaune, rose/fushia, vert et aussi noir, gros marron… (Toutes les couleurs en gros, donc.).
H : Oui, j’adore marier le violet avec le blanc, le rose vif, et l’orange. (C’est déjà plus cohérent.).
Quel vêtement avez-vous le plus en violet ?
M : Robes, hauts, chaussures.
H : Chemisiers et manteaux.
Avez-vous l’impression que le violet appelle le violet ?
M : Après réflexion, je pense que oui. (Ouf.).
H : Ah oui, en principe je ne résiste pas à l’achat d’un accessoire ou d’un vêtement violet, c’est plus fort que moi. (Je le savais !).
Avez-vous l’impression d’appartenir à un clan particulier de femmes qui aiment le violet ?
M : Non, pas particulièrement. (Je n’y crois pas une seule seconde, mais soit.).
H : Oui, tout à fait. Lorsque je croise une personne en violet, la discussion est enclenchée.
Trouvez-vous facilement du violet dans les magasins ?
M : Pas toujours, plutôt dans les magasins de second hand, ou dans des pays anglophones ou scandinaves.
H : Depuis quelques années, c’est plus facile ; le violet n’est plus la couleur du demi deuil et celle portée par les personnes âgées ; je ne suis plus ridicule ! Les jeunes portent du violet, se maquillent en violet… (J’espère qu’on parle juste de fard à paupières…).
Est-ce que quelqu’un dans votre famille s’habille également/souvent en violet ?
M : Pas spécialement, ma mère peut en mettre parfois, mais par touches.
H : Non personne, mais ils m’achètent beaucoup d’accessoires ou de vêtements violet car ils savent que cela me fera plaisir. (Tu m’étonnes…).
Quelle couleur détestez-vous ou en quelle couleur vous ne vous habillez jamais?
M : Celle que j’aime le moins c’est l’orange – mais j’aime le corail, comme quoi les nuances…
H : Je n’aime pas le bleu ciel. Je n’en ai jamais porté.
Pas de règles, donc.
J’aimerais tellement découvrir ce qui relie ces femmes, ces hommes à travers cette couleur. J’aime bien l’idée que le violet soit, symboliquement, la couleur d’une féminité modérée, même si les lobbyistes de la théorie du genre vont me tomber dessus, je trouve ça plausible. Une couleur asexuée même peut-être ?
Ce qui est certain, c’est que, dans l’art de s’habiller, c’est une couleur qui prolifère… comme un virus. Qui commence par touches, et qui prend le pouvoir jusqu’à recouvrir la totalité du corps dans les cas extrêmes. Psoriasis textile.
Dans son livre Psychosociologie de la mode (qui ne date pas d’hier), Marc-Alain Descamps rapporte les recherches de Maurice Déribéré qui affirme, en 1951, que la couleur la plus détestée est….. le violet ; mais Descamps de souligner qu’ « on retrouve dans la couleur une application de notre mécanisme de la mode entre l’élite et à la masse. Le problème fort général est de savoir s’il y a un goût universel qui transcende les âges et les civilisations. Sinon les goûts en couleur ne seront qu’une question de mot et d’éducation de l’oeil. Le goût en matière de couleur comme partout ailleurs, correspond aux préférences de la classe dominante (…). ».
J’ai demandé à mon amie Anne-Lise Lobbé, psychologue, son point de vue ? Est-ce que s’habiller en violet signifie quelque chose ? Est-ce que c’est grave ? Et si oui, peut-on s’en sortir ?
De ce qu’elle savait, il n’existait pas de pathologie directement liée au violet ou au fait de s’habiller toujours de la même façon, à part peut-être le fait d’être un peu obsessionnel, ou de vouloir se rassurer à travers l’uniforme.
Récemment, j’ai vu une femme passer devant moi alors que je buvais un petit verre en terrasse. Tout en rouge. De la tête aux pieds :
Chapeau + manteau + pull + jupe + collants + chaussures = du même rouge – ce qui était encore plus troublant, car aucune nuances, aucun relief…, et alors je me suis dit : « Est-ce là la même pathologie esthétique que mes purple lovers ? « , et je n’ai pas eu le même sentiment…
Ma vérité :
Les femmes violettes forment pour moi un véritable clan, qu’elles le veuillent ou non. Elles veulent être féminines et choisissent une couleur qui rappellent les fleurs, les bonbons, les fruits rouges : une cousine du rose en moins girly, en plus madame. Rapidement, elles sont prises dans un engrenage de l’association de coloris et se retrouvent très facilement habillées dans des tons de pourpre à bleu en passant par parme, bordeaux ainsi que tous les lavés de blanc : lila, mauve etc. Parce que « ça va ensemble ». Et parce que si l’on mélange du violet avec du vert et du jaune, on a vite fait de ressembler à ce petit gars :
La créatrice de mode Bérangère Claire a bien voulu nous donner quelques conseils pratiques pour palier au total look violet et assumer de ne porter qu’une pièce par-ci par-là.
Bérangère Claire : « Quand c’est un violet vif, je pense qu’il faut l’accorder avec 2 autres couleurs et pas seulement une, par exemple noir/violet ça ne fonctionne pas. Je trouve que c’est assez joli avec le bordeaux et le camel.
Voici quelques pièces violettes que je porterais volontiers :
-Un sweat-shirt vintage ou gros pull mohair portés avec un jeans bleu foncé.
-Une robe fluide en soie avec des sandales.
-Des accessoires : chaussettes, bonnet, écharpe dans une laine bien moelleuse.
Le violet est pour moi une couleur très délicate, elle ne supporte pas les supports cheap ou les pièces trop compliquées. Elle convient à un style assez particulier qui ne correspond pas trop au mien. C’est drôle qu’il y ait des personnes totalement inconditionnelles du violet, beaucoup plus qu’avec d’autres couleurs. Il doit forcement y a voir une signification un peu mystique derrière. »
JE NE TE LE FAIS PAS DIRE BÉRANGÈRE !
J’ai cependant comme l’impression que le secret ne sera pas percé aujourd’hui et que le total look violet restera un des grands mystères de la mode et de ce monde.
En attendant je vous invite à prendre en photo les hommes et femmes violettes que vous rencontrez (avec leur accord, bien-sûr) et à engager la conversation avec eux. Si vous pouvez m’aider à creuser, j’avoue que je ne suis pas contre.