Aux États-Unis comme en France, la presse quotidienne régionale fait face depuis quelques années à une sévère baisse de son chiffre d’affaires. Le lectorat devenu plus volatile ainsi que la chute vertigineuse des revenus publicitaires de la presse papier, sont à l’origine de nombreuses restructurations au sein des grands quotidiens régionaux américains. Ces journaux, essentiels dans la diffusion de l’information locale, sont aussi et surtout les premiers acteurs de l’investigation en ce qui concerne la politique des cinquante États fédérés. Un travail de fond sur lequel s’appuient les médias nationaux, comme le Late Show « Last Week Tonight… », présenté par John Oliver.
Ce week-end, le Britannique est ainsi revenu pendant une vingtaine de minutes sur ce phénomène de crise qui touche de plus en plus les journaux locaux américains, qui en plus de devoir supprimer des postes, doivent faire face à de nouvelles logiques, depuis l’intronisation de l’ère digitale. Le référencement, le nombre de vues et de partages font désormais partie de l’arbitrage éditorial pour nombre de rédactions de ces journaux locaux, acquis par des capitaines d’industrie, plus sensibles à la rentabilité de leurs filiales qu’à la richesse éditoriale de leurs titres.
La démonstration de John Oliver insiste sur l’importance de ces journalistes de terrain dont les informations sont reprises partout, et gratuitement sur les réseaux sociaux. Ces informations précieuses coutent chères et ne peuvent être sans cesse distribuées gratuitement.
« Depuis des années, les journaux ferment ou font face à des restructurations, et cela nous affecte tous. Même si vous vous informez uniquement sur Facebook, Google, Twitter (…). Toutes ces plateformes ne font que reprendre le travail des journaux. Et il ne s’agit pas uniquement des sites web. Regardez comment les journaux télévisés citent les journaux papiers comme principale source. »
« Il est évident que sans les titres qu’ils citent, les journaux télévisés se limiteraient à Wolf Blitzer (présentateur américain célèbre) en train de jouer sans fin avec une boule de laine. Et il ne s’agit pas simplement de ceux qui travaillent directement dans l’information, mais cela concerne aussi les émissions stupides comme les nôtres qui s’appuient lourdement sur les journaux locaux. En fait, quand cette émission est qualifiée par erreur de journalistique, c’est une claque au visage au travail du vrai journaliste sur lequel on s’appuie. »
John Oliver revient ensuite sur le remplacement progressif des éditions papiers par le numérique et toutes les contraintes qui s’ajoutent aux journalistes, en introduisant une interview de Marty Baron, rédacteur en chef du Washington Post. Il explique ainsi que les journalistes américains doivent dorénavant assumer une disponibilité quotidienne 24/24h, écrire plusieurs articles en une journée etc. mettant de côté les enquêtes de fond.
Marty Baron, rédacteur en chef du Washington Post, sur les conditions de travail des journalistes.
Après avoir tourné en dérision l’ambition assumée du groupe et média éponyme TRONC (Tribune Online Content) – anciennement Tribune Publishing – d’utiliser l’intelligence artificielle, John Oliver présente la bande-annonce parodique du film Spotlight (basé sur l’enquête des journalistes du Boston Globe sur des actes de pédophilie commis par des prêtres catholiques en 2002). Le film s’appelle ici Stoplight et met en scène un journaliste désireux de mener une enquête risquée et lourde de conséquences, mais qui doit lutter face à une rédaction uniquement interessée par le nombre de vues des articles et les vidéos de chats.
Bande annonce du film Spotlight, qui a reçu l’Oscar du meilleur film en février dernier.
Comme souvent, John Oliver frappe fort et sonne juste. Dans une industrie au modèle économique en panne, le Britannique montre avec humour, mais non sans ironie, l’avenir incertain du journalisme contemporain.
Image à la Une © Capture d’écran Youtube.