Unequal Scenes, survol de la ville de Strand et du township de Nomzamo, où vivent 60 000 habitants.
Ou quand les ségrégations spatiales l’emportent encore sur le vivre-ensemble. À l’aide d’un drone, l’anthropologue Johnny Miller photographie Johannesburg, Cap Town ou encore Durban et propose une autre perspective sur les inégalités persistantes de la société sud-africaine. Vues du ciel, les frontières entre townships délabrés et grandes propriétés apparaissent plus distinctes. Ces images, partagées des millions de fois, sont exposées à Johannesburg depuis le 10 août. Clique s’est entretenu avec lui.
Le photographe Johnny Miller, portrait tiré de son compte Facebook.
Vous êtes anthropologue mais vos photos sont saisissantes. Font-elles parties de votre travail de recherche ou sont-elles à voir comme une oeuvre d’art?
Je les appréhende comme de l’art engagé. Mon intention était de provoquer un dialogue et susciter des idées pour répondre aux problématiques véhiculées dans les photos. Je les vois plus comme de l’art « journalistique » que comme de l’art « anthropologique ».
Des townships à quelques mètres du trou n°6 du parcours de golf de Papwa Sewgolum.
Ça a fonctionné?
Oui, en partie. Il y a eu un vrai dialogue qui a pris forme autour des photos, lorsqu’elles ont été imprimées ou publiées. Mais ça a marché aussi d’un point de vue plus personnel. J’ai vu des gens avoir des conversations au sujet des inégalités dans toute l’Afrique du Sud et au-delà, et ces conversations étaient suscitées par mes photos.
Chacune de vos photos est accompagnée d’un texte explicatif. Les photos seules ne suffisent pas?
Bien sûr que si. Elles sont plus que suffisantes à transmettre le message. C’est la raison pour laquelle elles ont été partagées des millions de fois. Mais je pense aussi qu’on ne m’aurait pas autant pris au sérieux si je n’avais pas écrit ce texte pour les accompagner. J’ai voulu montrer que je comprenais la complexité de cette question, mais aussi que je poursuivais un but bien précis. Que ce n’était pas un simple « coup de chance. »
« En Afrique du Sud, les riches se situent en haut de l’échelle, non seulement financièrement mais aussi géographiquement », écrit Johnny Miller. Ici, les cabanes de Morningside, quartier huppé de la banlieue de Durban, côtoient les grandes propriétés du haut de la colline. L’une d’entre elles appartient au Président Jacob Zuma. À côté, des milliers de personnes sont exposées aux pluies torrentielles ou à la menace permanente d’un incendie.
Quel a été l’impact de vos photos?
Je sais, parce que beaucoup me l’ont dit, que les gens sont reconnaissants. Faire ces images remet sur le devant de la scène un problème qui n’a jamais été résolu et que nous connaissons tous. Je pense que les gens ont été choqués par cette nouvelle perspective.
Des kilomètres de routes, de rivières et de « buffer zones », ces espaces vides conçus comme frontière, comme celui qui sépare le township de Masiphulele et les propriétés proches du lac Michelle.
Vous avez été contacté par un urbaniste et par des responsables du logement, sur quoi cela a-t-il débouché?
Un dialogue a été amorcé. Des personnes venues de partout discutent non seulement des images, mais du contexte des inégalités en Afrique du Sud. Elles nourrissent l’imagerie collective et la pensée globale sur l’inégalité. De plus en plus de personnes s’en soucient aujourd’hui et contribuent à nourrir les recherches. Les gens s’arrêtent et se disent « ça suffit ». L’accès à l’information, la compréhension par les citoyens de cette pauvreté avec laquelle les gens vivent, amènent de plus en plus de gens à se révolter et à travailler pour chercher des solutions à ces problèmes.
Le quartier chic de Sandton à Johannesburg, capitale économique de l’Afrique du Sud, face au township d’Alexandra, dans lequel Nelson Mandela a vécu pendant un an en 1941.
Le township d’Alexandra.
Pensez-vous que l’art peut changer les choses?
Bien sûr. J’ai donné des interviews à des gouvernements, des étudiants, des professionnels des médias. Ces personnes sont celles qui peuvent réellement et profondément changer les choses. Et oui, elles écoutent, elles sont influencées, par l’art et par les photos. Les hommes décident et construisent leurs choix sur les données qui leur sont disponibles. Je pense que ces photos viendront s’ajouter à ces données, et qu’ils pourront les prendre en compte.
Photographie à la Une : Vusimuzi / Mooifontein Cemetery © Johnny Miller / www.unequalscenes.com