Blogueuse, activiste afroféministe et écrivaine, Mrs Roots œuvre pour plus de représentation dans le paysage littéraire français. Rencontre.
Qui es-tu ?
Mrs Roots : Je suis une blogueuse afroféministe, j’écris depuis quatre ans sur mon blog et sur d’autres plateformes.
Afroféministe, qu’est-ce que cela signifie ?
L’afroféminisme est un mouvement de lutte qui se focalise sur les différentes oppressions systémiques que subissent les femmes afrodescendantes. L’afroféminisme dénonce le classisme, le racisme et le sexisme mais aussi d’autres oppressions systémiques comme par exemple la LGBTphobie, l’islamophobie ou le validisme (l’oppression des personnes en situation de handicap mental ou physique, NDLR). Il faut préciser que les afroféministes ne forment pas un bloc uniforme, mais que nous revendiquons communément la diversité des femmes et des oppressions auxquelles elles doivent faire face.
Est-ce qu’il y a des moyens de luttes spécifiques à l’afroféminisme ?
Ce n’est pas vraiment différent des autres moyens de lutte habituels (manifestations, réunions), mais je pense qu’avec les réseaux sociaux, l’afroféminisme a permis une vraie transmission sur l’histoire des femmes noires en Europe – et ailleurs – qui a été complètement effacée dans l’Histoire. À partir de mobilisations sur les réseaux sociaux, beaucoup d’afroféministes ont produit des textes, des articles, des vidéos, des documentaires, des campagnes, puis créé des collectifs à l’échelle locale.
Un exemple de documentaire : « OUVRIR LA VOIX », un long métrage documentaire d’Amandine Gay à voir sur YouTube.
Cette extension du cyberactivisme a parfois permis la création d’espaces non-mixtes destinés aux femmes noires et aux problématiques qu’elles rencontrent. Par exemple, avec l’atelier Femmes Noires et Travail que j’ai co-organisé, nous avons consacré une journée à une trentaine de femmes noires et aux discriminations qu’elles subissaient au travail, avec des intervenantes pouvant leur fournir des moyens de résistance (que ce soit d’un point de vue psychologique, légal ou de management).
Comment es-tu devenue afroféministe ? Ça s’est fait naturellement ou tu as eu un déclic soudain ?
Je m’y suis intéressée après avoir passé une année à l’étranger. À l’étranger, on ne me demandait pas « d’où je venais réellement ». Dire que j’étais française suffisait, et je n’avais pas à me justifier. En revenant en France, j’ai commencé à lire plusieurs auteurs noirs et ça a été le déclic : comment se fait-il qu’aujourd’hui j’ai plus de chances de trouver un personnage qui me ressemble dans le roman d’une afro-américaine que dans mon propre pays ? De là, j’ai ouvert mon blog parce que la littérature était ce que j’aimais. Je voulais m’en servir pour montrer les tenants et aboutissants politiques et sociaux de notre société, à travers mes lectures. Avec les réseaux sociaux, j’ai commencé à lire tout ce que je trouvais sur le racisme, le sexisme et j’ai découvert l’afroféminisme avec le blog de Ms Dreydful. J’ai pris mon sac à dos et je suis allée rencontrer certaines d’entre elles. C’était une période vraiment géniale, de pouvoir échanger sur nos expériences et de voir les rouages qu’il y avait derrière. De comprendre.
Qui t’a influencé dans ton afroféminisme ?
Il y a les femmes esclaves des Antilles et les mouvements militants qui en ont découlé. Il y aussi eu des Reines d’Afrique de l’Ouest et des écrivaines.
Toni Morrison (romancière afro-américaine, lauréate du Prix Pulitzer en 1988 et du prix Nobel de littérature en 1993. Elle est à ce jour la huitième femme et le seul auteur afro-américain à avoir reçu cette distinction, NDLR), d’abord, a joué un grand rôle dans mon parcours : elle m’a permis de me voir dans ses romans et de comprendre qu’il y avait un vrai problème de représentation dans la littérature française.
D’autres m’ont permis de comprendre les différentes facettes de la diaspora. Josette Spartacus, Léonora Miano, Mariama Bâ, Alondra Nelson entre autres. Et puis les femmes de ma famille, tout simplement. Je pense vraiment qu’il faut concevoir l’afroféminisme en France comme le bassin de plusieurs influences, de plusieurs communautés afrodescendantes qui n’ont pas forcément laissé des essais académiques derrière elles, mais des témoignages, des légendes, des récits oraux…
Comment te sens-tu en France actuellement, en tant que femme noire ?
Je suis plus apaisée qu’avant, surtout depuis que je sais que je ne suis pas le problème (rires). En comprenant les rouages d’un racisme et d’un sexisme systémiques, en découvrant l’existence de la « misogynoir » (misogynie qui touche spécifiquement les femmes noires, NDLR) et les moyens de lutte que l’afroféminisme offre ou voit naître, j’ai appris à me faire confiance en tant que personne, et à comprendre les conséquences de ces systèmes sur les femmes comme moi. Par contre, le climat ici est de plus en plus lourd et nauséabond, et c’est psychologiquement difficile à supporter. Par exemple, quand on voit comment la famille d’Adama Traoré est traitée, on sait pertinemment que ça pourrait être nos proches, et qu’il y a une constante impunité devant les brutalités policières… C’est vraiment dur de rester optimiste.
Si tu avais un conseil à donner aux jeunes femmes noires qui vivent en France, quel serait-il ?
De toutes les manifestations, ateliers ou encore conférences auxquels j’ai assisté, j’ai toujours été marquée par ce besoin de parler, quel que soit l’âge des femmes noires. Les mères, les jeunes filles, les femmes plus âgées ont ce besoin de parler, et je crois qu’il y a cette nécessité de libérer cette parole dans un espace où elles se sentent en sécurité. Je ne sais pas si c’est un conseil, mais ce serait qu’elles se fassent confiance : si elles veulent créer des espaces, même le temps d’un après-midi, avec d’autres femmes noires, il faut qu’elles se fassent confiance. Oui, on va les regarder de travers, oui, on va leur parler de « communautarisme », oui, on va leur dire « vous faites du bruit », mais ce sera peu de choses comparé à l’énergie, la joie et le sentiment de ne pas être seule qui en ressortira. C’est dur de s’émanciper du regard des gens car les femmes noires en groupe dérangent, mais ça en vaut vraiment la peine. Ça nous permet de tenir.
Ton rêve pour l’avenir ?
Idéalement, j’aimerais vraiment que la condition de nos communautés s’améliore, mais comme je l’ai dit, c’est assez incertain, d’autant plus avec les élections présidentielles de 2017. Après, d’un point de vue personnel, je l’ai touché un peu : j’ai un roman et un livre pour enfants qui sortiront courant 2017. Et contribuer à plus de représentation dans un domaine qui me passionne, c’était vraiment mon rêve. Après, j’ai encore plein de projets en tête, on verra la suite !
Au printemps 2017, Mrs Roots publiera son premier roman aux éditions Synapse et son premier livre pour enfants chez Bilibok.
Propos recueillis par Abdelkader Kherfouche.
Photographie © Franck Aubry.