Ce soir dans le Gros Journal, Mouloud Achour reçoit Ary Abittan en plein cœur de Sarcelles, au pied de l’immeuble où il a grandi. L’acteur et humoriste nous raconte son enfance dans le quartier, ses premières expéditions à Paris et ses débuts comme vendeur de clémentines. Il est de retour sur scène avec un nouveau spectacle, My story, qu’il jouera à la Cigale à Paris, du 28 février au 4 mars.
Mouloud Achour : Comment ça va, Ary Abittan ?
Ary Abittan : Ça va super bien, je suis très heureux.
C’est quoi, ce bâtiment ?
Ce bâtiment… J’ai passé toute mon enfance et mon adolescence ici à Sarcelles, et quand on est à Sarcelles on a envie de faire un truc, on a envie de crier SARCELLES !
Il y a des gens qui ont répondu, j’ai entendu un “ouais” !
Ouais, il y a toujours un mec…
Un mec dormait dans sa chambre, il s’est levé, il a fait : “ouais !”
Il y a toujours un keum qui répond « ouais ».
Tu faisais quoi de tes journées ici, avant ?
Ici, c’était le lieu pour se charrier ! C’était le sport national. On vivait tous ensemble, évidemment c’était extrêmement multiculturel, comme c’est maintenant. Toutes les religions se mélangeaient et on vivait tous ensemble, à se charrier. Tout était permis ! Il n’y avait aucun problème. Il ne fallait qu’une seule chose : que ce soit drôle.
Tu es l’icône de la ville : quand on est arrivés ici, les gens ne te prenaient même plus en photo, ils disaient “ah, y a Ary” ! Ils étaient contents, normal. Mais il y a eu aussi Ministère A.M.E.R…
Il y a d’abord eu la pochette de Ministère A.M.E.R. où ils étaient à Sarcelles. C’était la première fois que je voyais Sarcelles représenté, c’était magnifique.
Je te vois plus écouter du Aznavour que du rap !
J’ai écouté Ministère A.M.E.R, j’ai écouté NTM, mais derrière j’ai écouté “Mais d’aventure en aventure, de train en train, de port en port” (de Serge Lama, NDLR), j’aime ça ! C’est la nostalgie. Mais Ministère A.M.E.R, c’est aussi la nostalgie. La nostalgie, c’est le bonheur d’être triste en fait….
C’est beau, j’ai envie de te galoche.
SARCELLES !
— Ouais !! —
Il y a eu Ministère A.M.E.R, mais aussi DSK à Sarcelles…
Il y a eu DSK oui, mais pas qu’à Sarcelles, il y a eu DSK à New York aussi… c’est comme Martine !
Est-ce que, quand il y a eu New York, des gens se sont dit : “c’est un mec de Sarcelles” ?
Non, c’est une bonne question, je suis fier de Sarcelles et je suis fier de dire : “j’ai habité à Sarcelles”. Tout le monde connaît Sarcelles ; même quand tu vas à New York et que tu parles de Sarcelles, les francophones connaissent. Peut-être pas pour les bonnes raisons – mais encore une fois ce ne sont que des préjugés – mais Sarcelles, c’est connu.
À quoi ressemblait un shabbat à Sarcelles ?
Ça commençait le mercredi – il faut savoir que le shabbat commence le vendredi soir. Mais le mercredi matin, on allait déjà au marché de Sarcelles, là où j’ai commencé ma vie. Je vendais des clémentines et je criais toute la journée de 7h à 19h : « allons-y dans la clémentine allons-y, 10 balles le kilo, À la goûte ! À la goûte ! À la goûte ! »
Ça veut dire quoi « delek, delek, delek » ?
« À la goûte » ! Ça veut dire que tu peux le ter-goû, tu peux le goûter ! C’est-à-dire que tu disais « À la goûte ! 10 balles le kilo. À la goûte ! À la goûte ! À la goûte ! » jusqu’à ce qu’on te dise « Je vais vous prendre 45 kg par contre est-ce que vous pouvez fermer votre gueule s’il vous plaît ? On n’en peut plus, c’est insupportable ! »
On vivait tous ensemble et on était exactement… On était tous égaux mais vraiment égaux, dans le vrai sens du terme.
On voulait une seule chose, on voulait sortir de là, et surtout aller à Paris.
La première fois que tu vois Paris, tu arrives où ? Gare du Nord ?
Pour moi c’est Gare du Nord, et de la Gare du Nord je ne savais pas prendre le métro, donc on marchait. On descendait le boulevard Magenta, on allait à République, puis de République jusqu’aux Grands Magasins, jusqu’au boulevard Haussmann, jusqu’aux Champs-Elysées, et on marchait. C’était notre journée.
Et ça finissait au Virgin des Champs ?
Et ça finissait au Virgin des Champs… Ça finissait…
Crêpe ?
Alors la crêpe, c’était à la Gare du Nord. 1 Franc, on en mangeait 9 ! Neuf crêpes au sucre. Il y avait un supplément sucre, c’est à dire que la crêpe était livrée avec des analyses, quoi !
C’est ici que tu as créé tes personnages ?
Oui, les personnages que j’ai pu faire sur scène sont des personnages que j’ai vus, des personnages qui m’ont fait peur… Y’avait le camé qui était là, à-côté… Ces gens m’ont fait peur, mais j’ai pu extérioriser en les “faisant” sur scène.
Où est né “Michel Varuk” (un personnage de dramaturge de théâtre imaginé par Ary Abittan, NDLR) ?
Michel Varuk est né un petit peu plus tard, quand j’ai commencé le théâtre. Moi je n’ai jamais pris vraiment de cours de théâtre. Quand je rencontrais des gens qui en faisaient, ils me parlaient d’anecdotes de théâtre, ils avaient toujours une voix “comme ça”, tu vois…(Ary prend une voix grave et théâtrale) “À l’époque je jouais avec Jean-Yves Bastule, Dimitri Denflant, Eric Ocagnon, Licien Macha, Charlie Blotodeau…” Et moi je faisais genre que je connaissais ces gars-là (je ne les ai jamais connus…), des anecdotes où il fallait rire… Je savais que c’était la fin de l’anecdote parce qu’il te disait “… et c’était FORMIDABLE !”. Je rigolais, mais je ne savais pas ce que ça voulait dire…
Dans ton nouveau spectacle, c’est la première fois que tu racontes ça ?
Ce spectacle, c’est exactement ce que je fais depuis 40 ans : avec toi hors-antenne, avec mes copains… C’est à dire que je parle de moi, je parle de ma vie, de mon divorce, de mon mariage, des mes enfants, de mon célibat, de tout ça… Et j’ai l’impression que plus c’est personnel, plus c’est universel. C’est pour ça qu’aujourd’hui ce spectacle s’appelle My Story : je me raconte, et je suis très content et fier de ce spectacle.
Mais tu te racontes sans te la raconter ?
De toutes les façons je ne peux pas me la raconter !
Parce qu’il y a toujours un mec qui va dire “ouais !”
C’est exactement ça ! Il va dire “Qu’est-ce que tu racontes, ouais…”
Quand est-ce que tu t’es dit “il faut que je fasse quelque chose de ma vie, il faut que je travaille ?”
Nous, les mecs, on veut tout faire comme notre père – ou rien faire comme notre père. Et à un moment de ma vie, j’ai voulu faire comme mon père. Mon père était chauffeur de taxi ; donc j’ai voulu faire chauffeur de taxi. J’ai été chauffeur de taxi à l’âge de 20 ans, j’ai été un des plus jeunes chauffeurs de taxi de France.
Et l’une des premières fois où tu es apparu à la télévision, c’était pour dénoncer un crime contre un taxi ?
Exactement : c’était à l’époque de Vincennes et de la place de la Nation. Un de nos collègues à l’époque s’était fait assassiner…
Amadou Diallo.
Exactement.
La première embrouille que tu as faite à des gens dans un taxi, c’était de mettre des cassettes de tes sketchs pour faire croire aux clients qu’ils écoutaient Rire & Chansons ?
Exactement, je l’enregistrais chez ma mère, on entendait mon père qui regardait Motus. Il y avait le sketch, et tu entendais “Mo-mo-motus !”. Parce qu’on parlait très très fort à la maison…
Mais tu parles aussi très très fort !
Je vais t’expliquer pourquoi je parle fort : parce que tout ce qu’on est, tout ce qu’on devient, ça vient de la famille… Comment te dire ? Mon reup’, le volume de la télé il était à 289, sur la tête de ma mère ! Claire Chazal, j’avais l’impression qu’elle présentait le journal dans mon lit, comme ça, dans mon oreille ! Tout était fort chez nous, on s’aimait fort, on s’embrouillait fort et on parlait très très fort…
Tu as rencontré Medi Sadoun sur le film « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? », qui a encore fait un carton à la télévision…
Une amie m’a dit : “c’est la première fois en 10 ans que j’ai regardé la télé avec mes parents, avec mes soeurs, avec mes cousins”. Ce film a réuni tous les français, ce film nous dit que la France n’est pas raciste, ce film nous dit une seule chose : c’est qu’on aspire tous à la même chose. À vivre, ensemble et en paix, c’est tout. Maintenant, il y a des gens qui font l’autre travail, le travail de la peur pour diviser, pour le pouvoir, pour mille choses. Nous, ici, toi et moi à Sarcelles, et avec ce film, on sait que c’est faux. On veut tous vivre ensemble, en paix, en bonne santé et rire ensemble, voilà.
Question très très bête…
J’adore, c’est les meilleures.
Est-ce que tu te souviens de ta première bagarre ici ?
C’était les moments d’angoisse, les bagarres. Mais il fallait se battre parce que de toute manière, tu pouvais courir, t’arrivais toujours au même endroit. Il n’y a pas d’échappatoire ici, donc j’essayais toujours d’éviter les bagarres, justement avec l’humour. “Ok très bien on va se bagarrer, ok très bien on va se battre. Ok tu veux la ston-ba ? On va se battre. Mais avant de se battre, je vais faire une roulade”. Le mec se dit : “Il est fou celui-là, qu’est-ce qu’il raconte ?” “Tu veux te battre ? Ok je fais une roulade”, et je faisais une roulade. Il se disait “Vas-y il est complètement niqué” et j’évitais la bagarre comme ça.
Est-ce qu’il y a déjà eu une meuf ici ? Vraie question.
Vraie question, parce qu’il n’y en a pas eu ici. C’est la vérité, il n’y en a pas eu ! Tu sais quoi ? Il y en a eu une seule, et je me suis marié avec. C’est la première fois de ma vie que je dis ça et je le dis ici dans le Gros Journal, avec Mouloud Achour. C’est la vérité, et j’ai fait mes trois enfants ici, à Sarcelles.
Ary, c’est un kif d’être avec toi ici à Sarcelles. On embrasse ta maman qui nous regarde en scred là-haut.
Salut maman ! Salut le cousin ! Salut Tata parce qu’il y a Tata aussi qui est là-bas. Oui je te dis, il y a tout le monde ici.
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Interview de Ary Abittan version longue – Le… par legrosjournal