L’histoire du jeune Théo, viol(ent)é jeudi dernier à Aulnay-sous-Bois par quatre policiers a été filmée par un vidéaste amateur mais aussi des caméras de surveillance. Son réflexe de se placer devant les caméras de surveillance en dit long sur la relation entre vidéo et violences policières. Enquête.
Lundi 6 février, les journalistes de BFM TV se sont procurés l’enregistrement audio de Théo qui expliquait à ses avocats sa version des faits. Dans son récit, le jeune homme expliquait ainsi s’être volontairement éloigné du premier lieu de l’interpellation pour aller se placer devant des caméras de surveillance.
Policiers accusés de viol à Aulnay : un témoin… par leparisien
L’action de survie de Théo d’aller se placer à l’endroit des caméras de surveillance (malgré sa position de victime) soulève une question :
La vidéo est-elle devenue l’unique rempart (a posteriori) face aux violences policières ?
Dans les années 90, une pratique s’est installée progressivement aux États-Unis : le Copwatch, soit l’enregistrement volontaire par un témoin ou par le ou la concerné(e) d’un contrôle de police ou d’une interpellation. Mis en place pour réagir aux violences policières à caractère raciste, le Copwatch a deux objectifs principaux : le premier, éviter tout débordement avec l’effet dissuasif de la caméra. Le second : apporter des preuves d’une éventuelle violence. Des preuves vidéo qui apporteront un contrepoids face au témoignage des policiers. Et avec l’explosion des réseaux sociaux et des plateformes de partage vidéo ces dernières années, une vidéo de quelques secondes peut avoir plus d’impact que n’importe quel discours.
« On tente d’expliquer l’utilité des caméras, ou de noter les références des caméras de surveillance dans les lieux publics. On essaie de former les gens à filmer dans ces conditions, tout en assurant leur sécurité » explique Youssouf, membre du collectif Ferguson in Paris (sensible à la question du rapport entre citoyens et police), présent ces derniers jours à Aulnay-sous-Bois.
Cette scène filmée à Aulnay-sous-Bois dans la nuit du 6 au 7 février montre un policier faisant une injonction plus que musclée d’éteindre son téléphone
« Quand on filme un policier, il y a un réel danger qu’on prenne ton téléphone où qu’on le casse tout simplement, voire pire. Il faut aussi expliquer le droit. Même s’il y a une réelle nécessité de son téléphone, il ne faut pas oublier la peur de l’uniforme qui touche beaucoup de gens » – Youssouf, Ferguson in Paris.
Ce rapport tendu entre policiers et vidéo n’est d’ailleurs pas uniquement visible en banlieue ou dans les quartiers dits sensibles. Lors des manifestations contre la Loi Travail au printemps dernier à Paris, nombreux ont été ceux qui se sont vus confisquer voire détruire leur appareil. Cette méfiance des forces de l’ordre face aux vidéastes, journalistes ou non, Gaspard Glanz, le fondateur du média indépendant Taranis News, la vit au quotidien. « La vidéo peut changer la donne, c’est la seule preuve qui vaut. Elle vaudra toujours plus que le récit d’un témoin ou qu’une photo (que l’on pourra disqualifier). Quand il n’y a pas de vidéo, tu ne peux tout simplement pas prouver qu’il y a violence policière.
« Avec l’affaire de Théo, c’est encore pire : il a fait exprès de se mettre dans le champ des caméras de surveillance. On est arrivés à un point où les jeunes connaissent le champ des caméras de surveillance et font l’effort de s’y rendre dès qu’ils font face aux policiers » – Gaspard Glanz.
Pour autant, d’un point de vue légal, Julie Jacob, avocate au barreau de Paris et spécialisée dans le droit à l’image, rappelle que ces vidéos enregistrées par des badauds sont autorisées par la loi :
« On a parfaitement le droit de filmer des policiers dans la rue pour illustrer un reportage, pour informer le public sous réserve de ne pas porter atteinte à la vie privée de ces derniers. Seul les groupements rattachés notamment à la lutte anti-terroriste peuvent arguer un droit à l’anonymat. Ce n’est pas le cas pour les policiers d’Aulnay, par exemple. »
Dans de nombreuses vidéos amateur qui filment des interventions pouvant faire l’objet d’une contestation, les injonctions d’agents d’arrêter l’enregistrement sont nombreuses, et non justifiées. La multiplication des diffusions en direct proposées par Periscope/Twitter, Facebook Live et maintenant Instagram constitue par ailleurs un réel enjeu quant au comportement des policiers, visible instantanément sur Internet.
Des policiers frappent très violemment un ado de 16 ans malgré ses cris de douleur, hier soir à Poitiers, cité de Bel-Air. Ça devient grave. pic.twitter.com/dMnCWM0OrS
— Salem (@Ibn_Sayyid) 5 février 2017
« Les injonctions qui peuvent être faites par des policiers pour arrêter un enregistrement vidéo sont totalement illicites, puisque la liberté d’information prévaut »– Julie Jacob, avocate au barreau de Paris.
Au-delà des témoins en direct, on observe désormais la disparition d’un tabou quant à la dénonciation personnelle de violences de la part des victimes. Maxen, jeune lycéen du Raincy (Île-de-France) s’était fait passer à tabac par un policier le 22 janvier dernier « pour un tchip ». En postant son selfie avec un visage tuméfié et marqué par les coups portés par un policier, le jeune Maxen avait provoqué l’émoi sur Twitter. Interrogé par Street Press, le jeune homme détaillait notamment le caractère raciste de son agression : « Jackie Chan, il fait le chaud », lui aurait dit le policier à l’origine du coup de poing et de l’étranglement. Une enquête interne a été ouverte pour faire la lumière sur cette affaire.
@PoliceNationale voila mon oeil mtn sa a empiré (c dla creme c pour sa sa brille) pic.twitter.com/i8rdCwQ7NO
— yams (@MaxenHng) 21 janvier 2017
L’avocate Julie Jacob rappelle aussi que ces vidéos enregistrées par des témoins sont tout à fait recevables au sein d’une instance pénale. En décembre dernier, lors du procès de Bagui et Youssouf (les frères d’Adama Traoré, décédé dans des circonstances floues suite à une interpellation de la gendarmerie) pour heurts avec les forces de l’ordre, des vidéos Facebook Live postées par des témoins avaient été utilisées par l’instruction. Des enregistrements provenant des caméras portées par les policiers avaient aussi été visionnées dans le cadre de l’enquête.
De l’autre côté de l’objectif, la police nationale réfléchit depuis 2013 à s’approprier la vidéo comme une arme de justification et de preuve dans les cas compliqués. Depuis 2013, une expérimentation de « caméras-piétons » a été engagée au sein des services de police. Plus d’un millier de caméras ont ainsi été distribuées au sein des commissariats français, notamment dans les zones de sécurité prioritaire pour permettre aux policiers de filmer leurs interventions. La loi du 3 juin 2015 (accentuant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme) a ainsi permis une généralisation de l’équipement.
« Je suis totalement pour ces caméras, elles révèleraient complètement l’attitude du policier, mais il faudrait qu’elles filment en permanence, pas que le policier puisse couper la caméra et faire ce qu’il veut » – Gaspard Glanz.
À Aulnay-sous-Bois, les caméras de surveillance étaient aux premières loges et ont probablement enregistré toute l’interpellation de Théo. Des images qui n’ont pas été diffusées publiquement mais qui ont peut-être été visionnées par le maire d’Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza (LR), qui a d’ailleurs très rapidement pris position en soutenant la famille de la victime sur un post Facebook publié le weekend dernier.
Youssouf, militant spécialisé dans la question policière, pose la question de la sincérité de ces gestes, et se demande si l’enregistrement des caméras de surveillance n’est pas à l’origine des nombreuses prises de parole de la part de politiques, d’habitude très silencieux sur le sujet. « Est-ce que c’est la vidéo ? Est-ce que c’est le parcours exemplaire de ce jeune de la Rose des Vents ? »
La vidéo ainsi que les réseaux sociaux deviennent ainsi progressivement des acteurs à part entière dans les rapports musclés avec les forces de l’ordre. Entre matraque et téléphone portable, pas dit que la balance de la justice retrouve un équilibre déjà plus que fragile.
Photographie à la Une © Le Parisien.