Il ne dira ni son âge, ni son nom. Derrière sa moustache brune, Borussia, la dernière recrue du label Ed Banger, affiche un sourire franc et communicatif. Après avoir sorti l’EP Sour Stroke en avril 2016, il était revenu avec Kinda Love en janvier. L’un de ses morceaux inédit, « Muffin », paraît ce vendredi sur Ed Rec 100, la nouvelle compilation d’Ed Banger. Pour Clique, Borussia se souvient de sa passion pour les boys bands, nous raconte sa rencontre avec Ed Banger, sa passion pour les jeux vidéos – et la raison pour laquelle il n’aime pas GTA -, la culture club, Jul, et ses tutos en live nommés « Boruswag ». Tout un programme.
Qui es-tu ?
Je suis Borussia, dj et producteur.
Comment définirais-tu ton style musical ?
Je fais de la House-ghetto-ingénue, ça passe ?
Depuis combien de temps es-tu sur le label Ed Banger ?
J’ai connu Pedro Winter et Boston Bun il y a 2-3 ans, mais mon premier EP est sorti il y a un an.
Comment s’est passée la rencontre ?
J’avais envoyé des morceaux à Boston Bun. J’envoyais mes morceaux sur Facebook à plein de Djs que j’aimais bien. Il a kiffé « Sour Stroke », il l’a joué sur une mixtape et quelques semaines après il m’a invité à jouer au Badaboum (un club parisien, NDLR). C’est là que j’ai rencontré Pedro. On a dîné tous ensemble et Pedro m’a reparlé de « Sour Stroke » qu’il avait entendu parce que Piu Piu, la copine de l’époque de Boston Bun, l’avait joué à une soirée. Et il m’a envoyé un mail quelques semaines plus tard pour me proposer de sortir le truc. Ce qui est cool, c’est que ça s’est fait ultra naturellement.
Avant ça qu’est-ce que tu faisais ?
Je faisais de la musique. J’ai fait des études de philo après le bac parce que je voulais faire du cinéma. Mais j’ai dû arrêter parce que j’ai une maladie un peu relou. Pas un truc grave, mais suffisamment chiant pour devoir arrêter ses études. Au même moment, j’ai découvert la musique de club, les boîtes de nuit, etc. J’ai toujours voulu faire un truc artistique : le cinéma d’abord, puis la musique. C’était au moment où sont arrivés les logiciels et les séquenceurs accessibles à tout le monde. Je me suis rendu compte que c’était une façon beaucoup plus immédiate de s’exprimer artistiquement.
Borussia et un chat présent durant l’interview
Aujourd’hui, depuis combien de temps fais-tu de la musique ?
On est en 2017. Borussia, ça a commencé fin 2010, quand je suis arrivé à Paris.
Tu sais que les joueurs de l’équipe de foot de Dortmund ont choisi leur nom dans un bar où ils buvaient des bières qui s’appelaient « Borussia » ? Ça leur a plu, alors ils ont choisi d’appeler leur club comme ça.
Exactement. Je l’ai su après, c’est ce qui m’a convaincu de prendre ce nom. En fait, j’avais trouvé des bretelles du club Borussia Dortmund dans une fripe et je m’étais dit : « Putain des bretelles, ça ferait un super costume de scène et il y aurait déjà mon blaze dessus ». Je suis allé vérifier plus tard et effectivement les joueurs avaient décidé de s’appeler comme ça un peu par hasard parce que c’était le nom de la bière locale. J’aime bien cet esprit « on s’en fout », alors j’ai définitivement adopté ce nom.
Logo du club de football Borussia Dortmund
Tu suis le foot ?
Pas du tout, mais j’ai remarqué que le Borussia Dortmund était de plus en plus balèze depuis quelques années. Régulièrement, des gens qui se trompent de pages et likent « Borussia » parce qu’ils sont fans du club de foot. Donc, que je le veuille ou pas, sur les réseaux sociaux, j’ai toujours des notifications du Borussia Dortmund et les résultats du club.
Quel genre de musique écoutais-tu plus jeune ?
Il y a eu plusieurs phases. La première, c’est quand les boys bands sont arrivés. L’album des 2Be3, c’est le premier album que j’ai vraiment écouté. J’étais un gros fan des 2Be3, Worlds Apart, Backstreet Boys. On avait même monté un boys band dans notre école.
« Partir un jour », 2 Be 3, 1997
Tu jouais d’un instrument ?
Rien du tout. C’était un boys band donc comme les vrais boys bands, on ne savait pas chanter. On s’amusait juste à danser et à faire des covers des 2Be3. On s’appelait les 6Boys et on faisait des chorégraphies dans toutes les fêtes des écoles primaires du coin. Ensuite il y a eu le rap français : Mc Solaar, NTM, IAM à l’époque de l’école du micro d’argent. Puis j’ai eu ma période rock avec Muse, Radiohead et les Red Hot Chili Peppers au collège et au lycée. En dernier, la techno et la house. C’était Bob Sinclar, David Guetta, on allait en club et c’était de la dance, on adorait. Ou de l’eurodance, comme « I Like to Move it », enfin tous les gros producteurs qu’on appelait « electro house ». Maintenant on dit EDM (Electro Dance Musique, NDLR) pour tout. C’est à partir de là que j’ai enchaîné avec de la musique de club de plus en plus pointue. Finalement, c’est plus tard que j’ai découvert les musiques dont je m’inspire vraiment maintenant. À savoir l’italo-disco, la new wave, le post-punk et la musique electro-pop des années 80.
Borussia à 13 ans pendant sa « période Lil Bow Wow »
© agentborussia, compte Instagram.
Quels sont tes exemples d’artistes italo-disco ?
Il y avait le producteur du groupe Goblin, qui faisait les BO des films de Dario Argento. Eux, ce sont mes héros. Ces mecs ont notamment produit les albums de Vivien Vee que j’aime beaucoup. En pop-synthé c’est Jacno, c’est exactement ce pour quoi on adore la France et on la déteste. C’est un truc hyper chic, simple et hyper sophistiqué.
« Give me a Break », Vivien Vee, 1979
« Main dans la main », Eli et Jacno, 1980
Il y a aussi Cabaret Voltaire chez les Anglais. Et Andreas Dorau, un producteur allemand de pop électronique des années 80 dont on ne parle pas beaucoup. Je l’adore, c’est un de mes héros, il a fait énormément de trucs dont personne n’a jamais parlé mais qui sont super. S’il y a un mec à citer, c’est lui.
Girls in Love, Andreas Dorau, 1997
Maintenant Ed Banger c’est un peu ton boys band à toi ? On a l’impression que vous êtes un peu une famille. (Voir les coups de cœur d’Ed Banger sur Clique sur ce lien).
Oui, c’est une famille. Je m’en suis rendu compte quand on faisait une interview l’autre jour, c’est vraiment une colo et Pedro c’est le directeur qui gueule quand il y en a un qui s’en va, qui met trop de temps à se pointer dans le van etc. Mais oui, il y a une bonne ambiance alors que ce sont des mecs que je ne connais pas forcément énormément. J’ai fait quelques dates avec Para One et Boston Bun, mais avec Cassius et So Me on se voit très rarement. Mais quand on se voit, l’ambiance est là. On s’entend bien, c’est cool, on sent qu’on fait partie de la même team et ça fait plaisir.
J’ai vu que tu as fait un film qui s’appelle « L’amour en pièce jointe », on peut le voir quelque part ?
On ne peut pas le voir c’est juste un scénario. Je suis fan absolu de cinéma, je voulais faire une école de cinéma, et des films de genre. J’aime autant les films d’horreur que les comédies romantiques en fait. Ce sont des genres qui sont régis par des codes finalement pas si éloignés les uns des autres.
Qu’est-ce que l’on retrouve systématiquement dans les films d’horreur alors ?
Le fait qu’il n’y ait pas de fin. On ne sait jamais vraiment si le méchant est mort. Il y a plein de règles comme ça. S’il y a un monstre, est-ce qu’on le montre ou est-ce que ça ne fait pas plus peur de le laisser hors champ ? Alien, c’est mon film préféré. Ce qui est super bien foutu dans ce film c’est qu’on ne voit jamais l’alien de pied, il est soit hors champ, soit dans l’ombre, soit on en voit juste la tête.
Alien, Ridley Scott (1979)
Tu as aussi créé un jeu vidéo avec ton frère ? On peut y jouer ?
Non, non plus, on peut y jouer sur le PC de mon frère si on l’appelle gentiment. Mais pareil je suis fasciné par les jeux vidéos. Quand j’étais petit j’aimais déjà beaucoup ça, et plus je grandis plus ça m’intéresse. Tous les deux jours, je fais des lives jeux vidéos sur Twitch, un site pour streamer des parties de jeux vidéos. Je m’en sers pour jouer mais surtout pour réfléchir aux musiques qui vont bien avec les jeux. Je prends un jeu et j’essaie de réfléchir aux musiques qui vont bien avec en faisant des playlists. Je joue au jeu en direct et il y a la trackID (le nom des morceaux) qui s’affiche en même temps sur le flux. Le fait d’être en live pour moi c’est le futur d’Internet.
Regarder une vidéo en direct de AgentBorussia sur www.twitch.tv
Quel est ton jeu vidéo préféré ?
Dark Souls. Je pense que c’est le jeu le plus important des dix dernières années parce qu’il remet les joueurs au cœur du jeu. C’est un chef d’œuvre de systèmes de bagarre et de level design (conception de l’aire de jeu, NDLR). Ce que je n’aime pas, c’est les jeux comme Uncharted ou GTA qui sont en fait des films : de très bons films et de très bons scénarios dans lesquels il y a des « poches » de gameplay. Ce sont des jeux qui ont été pensés pour que ce soit ok si un mec qui tient une manette veut jouer seulement de temps en temps. Mais au final ce ne sont pas vraiment des jeux vidéos.
Dark Soul, c’est la narration propre au jeu vidéo, celle qui se détache du cinéma comme n’arrivent pas à le faire des grosses productions comme GTA.
C’est une histoire super abstraite que tu comprends en te baladant dans les décors du jeu. Ça s’appelle la narration environnementale.
Pour faire de la musique tu utilises des machines ou des logiciels ?
Je n’utilise pas de machines. J’utilise mon ordinateur et beaucoup de samples. Le sampling c’est vieux, mais c’est encore le futur de la musique. Il y a encore beaucoup à faire avec l’échantillonnage. Et je milite pour ça : je fais des lives Facebook où je fais de la musique uniquement avec des samples et avec le moins de matière possible. Je veux que les jeunes qui sont dans la musique ne se disent pas que les synthés ça coûte trop cher et qu’ils comprennent que si on est dégourdi, on peut faire de la bonne musique simple et très belle avec rien.
Épisode 1 de la série Boruswag Tv
Ces vidéos tuto s’appellent « les boruswags » !
Oui, quand je faisais des émissions sur la radio Rinse France on m‘avait appelé comme ça, j’avais trouvé ça marrant. Donc au moment de commencer à faire mes lives, j’ai opté pour ce nom.
Quand tu fais ça, tu veux montrer que c’est simple de faire de la musique ?
Pas tellement que c’est simple, mais que la musique, elle, peut être pertinente quand elle est simple. Pour moi la musique doit être fun, simple et radicale. C’est tout ce pour quoi je milite et c’est ce que j’essaie de faire. L’italo-disco c’est hyper simple.
Je n’aime pas l’ironie en musique en fait.
Je n’aime pas Stupeflip qui fait du rap en se moquant du rap ou Die Antwoord qui fait de la house en se moquant de la house. Je trouve que ce n’est pas pertinent. Mais dans l’italo, par exemple, je trouve qu’il y a une certaine élégance à faire une musique un peu légère. La musique de club se prend parfois un peu trop au sérieux.
C’est quoi ta définition du swag ?
Le swag c’est être simple, fun et radical. C’est ce qui commande ma vie de A à Z en tout temps et en tout lieu.
Est-ce que tu as écouté le morceau de Jul qui s’appelle « Borussia » ?
Oui. Je suis un peu déçu parce qu’au début je me suis dit : « Ok, il a appelé son morceau Borussia je vais devoir changer de nom, le nom est à lui ».
Tu l’aimes bien ce morceau ?
Non pas vraiment, ce n’est pas trop mon truc.
Tu disais tout à l’heure que tu avais passé du temps en club, aujourd’hui tu y sors quand tu n’y mixes pas ?
Beaucoup moins.
Pourquoi ? Est-ce que tu penses que ça a évolué dans le mauvais sens ?
Non, pas forcément. La mode est à l’EDM d’un côté et à la techno de l’autre. Il y a quelques années c’était Ed Banger qui trustait les charts, maintenant c’est autre chose et ce sera encore autre chose après. Je ne suis pas du genre à me plaindre que quelque chose ne va pas. S’il y a un truc qui ne me va pas je vais faire la musique pour laquelle je milite plutôt que de dire qu’il faudrait que ça soit plus comme ceci ou comme cela.
Le tatouage de Borussia sur son avant-bras.
Comment a t-elle changé alors, cette scène club ?
J’ai l’impression que les prods actuelles qui se veulent underground sont influencées par la musique mainstream. Il y a quelques années c’était plutôt l’inverse. Alors je suis fasciné par NRJ hits, Fun radio et les clips de musique mainstream parce que j’adore faire les ponts entre certains sous-genres Soundcloud et ce que l’on peut entendre dans le dernier hit de Taylor Swift. Il y a quelques années, Disclosure et Diplo sont arrivés avec des trucs undergrounds et ils ont pris d’assaut la musique mainstream. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les producteurs de musique un peu plus pointus sont influencés par les gros producteurs comme Diplo et Disclosure. C’est pour ça que j’essaie de faire un truc beaucoup plus simple.
Borussia et un chat pendant l’interview
Le problème avec ça, c’est que fait trois ans qu’on se retrouve seulement avec des prods « proto-disclosure », comme j’appelle ça. Maintenant, tout est référencé 90 mais produit comme un morceau de Disclosure. Ils doivent être quatre : Disclosure, Diplo, Stromae et Cashmere Cat. Et tout le monde essaie de faire des prods comme eux, du producteur accompli à ceux qui débutent. Ok, mais il faut essayer de se sortir de ça et trouver autre chose quoi.
Quel est le morceau que tu joues le plus souvent en club ?
Ce morceau, je le joue très souvent et je n’en ai jamais parlé en interview. C’est « Secret Full Contact Event » de Phantom’s Revenge. C’est le morceau que je sors quand on est au top de la « mongolerie » à 4h du matin, quand je sens que les gens sont chauds et qu’ils veulent danser. C’est débile mais c’est la musique de club que j’aime.
« Secret Full Contact Event », The Phantom’s Revenge
Est-ce que tu es sur des projets en ce moment ?
Non, pas vraiment. Je m’essaie à un exercice auquel je suis très mauvais, à savoir le remix. Mais c’est très agréable pour tenter de nouvelles sonorités. J’ai remixé Joakim récemment. Je fais pas mal de prods pour le label Because aussi : des musiques de pubs et de documentaires… pour l’instant rien n’est sorti, mais c’est le côté producteur de musique qui doit savoir tout faire que j’aime bien là-dedans.
« Numb », Joakim, Borussia Remix
Image à la Une – Borussia © Charlotte Vautier