Assa Traoré vient de sortir son premier livre : "Lettre à Adama". Avec le concours de la journaliste Elsa Vigoureux, la sœur d'Adama Traoré raconte son frère sous un prisme intime, loin de l'image de repris de justice véhiculée par certains médias. Elle y décrit aussi le quotidien, souvent difficile, du combat des familles de victimes de violences policières.
Le 19 juillet dernier, Assa Traoré, jeune trentenaire, mère de famille et éducatrice, perdait son jeune frère Adama après une interpellation « musclée » dans la gendarmerie de Persan (Val d’Oise). Depuis cette date, la jeune femme n’a cessé de se battre au nom de son frère pour que justice et vérité soient rendues à sa famille.
Des cours de tribunaux au plateaux de télévision, la jeune femme a mis sa vie professionnelle entre parenthèses pour laver le nom d’Adama. Aujourd’hui, c’est aussi pour Bagui, l’un de ses autres frères, qu’elle se bat. Incarcéré depuis le mois de décembre pour des heurts intervenus en marge du fameux conseil municipal de Beaumont-sur-Oise, il peut compter sur sa sœur, qui ne « lâchera rien ». Pour Clique, elle revient sur les coulisses de fabrication de son ouvrage et sur les raisons qui l’ont amenée à l’écrire.
Clique : Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre ?
C’est peut-être moi qui l’ai écrit, mais ça a été un choix avec toute ma famille. Aujourd’hui, il est important de ne pas laisser écrire notre histoire, l’histoire d’Adama, par ceux qui ont voulu le criminaliser. Il était important que ce soit nous qui écrivions notre histoire,pour que l’on puisse donner notre vérité à tout le monde.
À travers ce livre, nous voulions aussi montrer toute la machination de l’État, matérialisé par ces forces de l’ordre, dans notre histoire.
Quelles raisons vous ont poussée à choisir la journaliste Elsa Vigoureux pour « Lettre à Adama » ?
On s’était déjà rencontrées lors d’interviews en marge de l’affaire d’Adama. J’ai senti que le courant passait bien entre nous. C’est une personne très ouverte et très intéressée par la question des violences policières. Elle avait un regard que j’aimais beaucoup. Sa façon de penser, de voir les choses, se rapprochait énormément de la nôtre.
Dans quelles conditions avez-vous écrit ?
Ce furent des mois de travail intense. On se voyait le matin, la journée, l’après-midi. On s’appelait même le soir jusqu’à tard pour écrire. On a écrit ce livre en un peu plus de deux mois et demi.
Dans ce livre, vous relatez beaucoup de souvenirs avec Adama, avant sa mort. Qu’est-ce que vous avez voulu raconter ?
J’ai eu énormément de souvenirs avec mon frère Adama, je n’ai pas pu tous les mettre. Aujourd’hui, on nous a enlevé ça, on n’en aura pas d’autres. On lui doit une belle histoire.
J’ai tout simplement voulu dire qu’Adama était un jeune homme comme tout le monde.
C’était un jeune garçon qui avait des amis, des parents des frères et sœurs, et qui avait surtout un bel avenir devant lui. Je voulais aussi dénoncer la manière dont sa vie s’est construite et les obstacles qu’on a pu mettre devant lui, et comment il en est arrivé là.
Le but de ce livre était de montrer la souffrance de mon frère, mais aussi la souffrance des jeunes de ces quartiers-là.
Pour quel public en particulier avez-vous écrit ce livre ?
J’ai écrit ce livre pour tout le monde. C’est un livre qui parle de beaucoup de choses. On y trouve des parties de réflexions, des souvenirs, évidemment des constats politiques sur les violences policières…
Ce n’est pas écrit que pour les jeunes. Ils savent déjà ce qu’ils vivent, ils en conscience, c’est aussi pour que d’autres personnes puissent le comprendre.
Ce livre est aussi une réponse au traitement médiatique qu’a pu connaître « l’affaire Adama Traoré ». Avec un peu de recul, qu’en avez-vous pensé?
Le traitement médiatique a connu plusieurs étapes. On est passé d’une situation de quasi désinformation à quelque chose de plus proche de la réalité. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a une obligation de ne raconter que la vérité, et d’éviter les mensonges, ou de se baser dessus. De toute façon, aujourd’hui nous avons mis en place notre propre médiatisation. Nous avons des pages Facebook et Twitter sur lesquelles nous relayons tout. Nous filmons tout également.
Nous communiquons ainsi pour contrer la moindre désinformation. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un rapport de force.
Où en sommes-nous du traitement judiciaire pour Bagui et pour Adama ?
On devrait avoir un retour à l’horizon du mois de juillet par les trois juges d’instruction qui ont repris toute l’affaire dans la juridiction de Paris. En fonction de leur décision, nous verrons de quelle façon nous allons articuler nos choix avec notre avocat. Concernant Bagui, le délibéré en appel sera rendu le 6 juin prochain.
« Lettre à Adama » disponible aux éditions du Seuil.
(Re)voir le Gros Journal avec Assa Traoré :
Interview de Assa Traoré, version longue – Le… par legrosjournal
Photographie à la Une © Le Gros Journal – Canal+.