Pendant près d'un siècle, le Canada comptait dans son territoire des pensionnats autochtones construits pour "assimiler et évangéliser" les enfants des Amérindiens. Une structure coloniale et religieuse à l'origine d'une des plus grandes tragédies qu'a connu le pays.
L’événement est passé inaperçu dans l’actualité politique brûlante du G7, mais il pourrait bien changer le destin de milliers de personnes : le Premier Ministre canadien est allé rendre visite au Pape François au Vatican pour lui demander de s’excuser, au nom de l’Eglise catholique.Si entre les deux hommes, il a été longuement question de changement climatique et de spiritualité, Justin Trudeau est surtout venu porter la cause des Autochtones au plus haut sommet de l’Église.
Les excuses demandées par le Canada concernent le drame des pensionnats autochtones du pays.
Entre la fin du XIXème siècle et la fin du XXème siècle, le Canada comptait sur ses terres sept pensionnats autochtones disséminés sur le territoire. Leur mission : assimiler et évangéliser les enfants d’autochtones présents avant l’arrivée des Anglo-Saxons.
Le jeune Thomas Moore avant et après son arrivée au sein de la Regina Indian Industrial School, le 26 août 1891, à l’âge de huit ans (© Département des Affaires autochtones et du Nord Canada)
Entre le début de leur existence et leur fermeture en 1996, ces établissements ont accueilli près de 150 000 enfants d’Autochtones arrachés à leur famille.
Malnutrition et abus physiques étaient les maux quotidiens de ces enfants qui n’ont eu accès ni à leur famille, ni à leur culture d’origine. Plus de 4000 enfants ont trouvé la mort dans ces pensionnats où la mortalité infantile était cinq fois plus élevée que la moyenne.
« Le regard sur Jesus ». L’évangélisation était l’un des mots d’ordre principaux des sept pensionnats d’autochtones au Canada (© Radio Canada).
Si les pensionnats ont fermé leurs portes il y a vingt ans, la stigmatisation des autochtones canadiens perdure. Sans repères, les survivants et leur famille ne trouvent pas d’issue dans la société canadienne qui ne saisit pas encore le stress post-traumatique causé chez ces déracinés.
À cette situation chaotique s’est ajouté un autre phénomène macabre.
Les amérindiennes, perçues comme des citoyennes de seconde zone, sont victimes depuis le début des années 1980 d’un « féminicide« , selon les mots de la journaliste Emmanuelle Walter qui a réalisé une enquête sur le sujet. En moins de quarante ans, près de 1 200 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées, dans la plus grande indifférence judiciaire.
En 2007, presque dix ans après la fermeture du dernier pensionnat, une commission de vérité et de réconciliation a été créée pour enquêter sur l’impact de ces structures sur le développement et la prospérité des Amérindiens du Canada. Après six ans d’enquête et plus de 7 000 personnes auditionnées (victimes et personnel de pensionnat), la commission a édicté 94 recommandations pour permettre aux Autochtones de retrouver leur place au sein de la société canadienne.
« Un État qui détruit ou s’approprie ce qui permet à un groupe d’exister, ses institutions, son territoire, sa langue et sa culture, sa vie spirituelle ou sa religion et ses familles, commet un génocide culturel. Le Canada a fait tout ça dans sa relation avec les peuples autochtones. » – Rapport de la Commission de vérité et de réconciliation, 2015.
Parmi ces recommandations : le financement d’un nouveau modèle d’éducation, des réformes judiciaires pour lutter contre la surreprésentation des Autochtones dans les prisons, ou encore une meilleure prise en charge en matière de santé de ces derniers. Dans sa conclusion, la commission a aussi demandé des excuses officielles de la part de l’Église catholique aux survivants, aux descendants, et au reste des Autochtones du Canada. En reconnaissant sa part de responsabilité dans la tragédie des Autochtones canadiens, l’Église catholique faciliterait le travail de mémoire difficile des survivants des pensionnats.
Une des nombreuses manifestations pour la mémoire des Autochtones victimes des pensionnats, à Montréal en avril 2013 (© Olivier Pontbriand, La Presse).
Si l’entretien du Pape et Justin Trudeau est resté privée, ce dernier a révélé lors d’une conférence de presse que le Pape s’était montré compréhensif : « Il m’a assuré que son approche a toujours été de défendre et de promouvoir les opportunités pour les gens marginalisés autour de la planète ». Le Pape a, selon lui, témoigné sa volonté de collaborer étroitement avec l’État Canadien et les évêques du territoire pour formuler ces excuses.
Justin Trudeau a néanmoins rappelé qu’il ne pouvait exiger du Pape François des excuses forcées, et que cette décision ne saurait être forcée. Tout est donc entre les mains, a priori bienveillantes, du Souverain pontife qui s’est montré plus qu’ouvert à cette idée.
Photographie à la Une © Associated Press.