Moins d’une semaine après la sortie de son album 4:44, Jay-Z présente un premier clip pour accompagner le projet. Et le résultat est glaçant.
« The Story of O.J. », premier extrait de l’album 4:44 de Jay-Z.
« The Story of O.J. » est un court-métrage animé, lourd de symboles, dans lequel aucun détail n’est laissé au hasard. Commençons par la musique : le titre de Jay-Z se base sur un sample du morceau « Four Women » de Nina Simone, dans lequel la chanteuse dresse une généalogie de l’histoire des Afro-Américains à travers le portrait de quatre femmes à quatre époques différentes – qui portent toutes en elles, à des degrés différents, des stigmates de l’esclavage.
Nina Simone chante « Four Women » en live à Antibes en 1969 (avec quelques mots de français <3).
Le choix de ce morceau n’a rien d’anodin. Dans « The Story of O.J. », Jay-Z partage ses pensées sur la place des Afro-Américains dans la société américaine, et livre quelques conseils de vie. Selon lui, quelle que soit leur position, ils continuent d’être vus comme de simples « n***** ». Le titre du morceau sonne comme une mise en garde : O.J. Simpson, superstar du football américain dans les années 90 avait déclaré, au faîte de sa popularité, « je ne suis pas noir, je suis O.J. ! », avant d’être brutalement renvoyé à ses origines lorsqu’il fût accusé d’un double meurtre.
La solution pour extraire sa communauté de ce cercle vicieux ? Pour Jay-Z, il faut s’émanciper financièrement (en se recentrant sur les investissements pérennes tels que l’immobilier et l’art) et ne jamais perdre de vue son héritage culturel. « J’essaie de te donner des conseils à un million de dollars dans une formule à 9,99 dollars », soit le prix d’un abonnement sur sa plateforme Tidal, glisse-t-il au détour d’un couplet. Une démarche qui fait écho à une phrase que DJ Khaled, qui est managé par Jay-Z, écrivait récemment dans son livre The Keys : « Jigga n’a (financièrement) plus besoin de faire de la musique, il fait ça pour participer à la culture. »
Et c’est bien de culture dont il est question dans « The Story of O.J. », jusque dans le visuel : si les premières secondes du clip peuvent laisser croire que l’on va voir un dessin animé innocent, la suite est brutale. Les personnages sont des caricatures d’Afro-Américains, qui évoluent au milieu de stéréotypes raciaux dans une esthétique rappelant les débuts du cinéma d’animation.
Jay-Z et le réalisateur Mark Romanek en profitent pour mettre le doigt sur une réalité souvent occultée : le cinéma d’animation américain s’est construit sur des caricatures raciales.
Dans son ouvrage The Colored Cartoon (dont plusieurs pages sont lisibles ici), l’auteur Christopher P. Lehman explique que les premiers animateurs blancs utilisaient des représentations stéréotypées d’Afro-Américains pour dessiner leurs personnages. Les raisons ? Doubles : les minstrel shows (spectacles « humoristiques » et tristement célèbres, basés sur des stérérotypes raciaux et qui recouraient notamment au black face) étaient très populaires à l’époque, et le fait de dessiner des personnages noirs permettait d’économiser du temps sur les détails… Ce qui n’empêchait pas les auteurs de l’époque de perpétuer des représentations dévalorisantes pour la communauté afro-américaine. Dans son clip, Jay-Z se ré-approprie ces stéréotypes pour mieux les dénoncer. Un parti pris qui pourrait peut-être, on l’espère, constituer un élément d’explication pour sa rime très controversée ?
Une chose est sûre : pour Jay-Z, les choses n’ont pas beaucoup changé en un siècle. Et en Amérique comme ailleurs, la solution réside, selon lui, dans l’émancipation financière et culturelle.