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Musique
Par Valentin Cassuto

Les 5 ingrédients d’un hit de rap français en 2017 : le visuel (partie 1/5)

En association avec Spotify et sa playlist « Punchlineurs » qui regroupe tous les hits du rap français du moment, Clique a demandé à des experts la formule de ce qui fait un tube en 2017.

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Pour ce premier épisode, nous nous sommes concentrés sur l’univers visuel des rappeurs qui, par le biais de la pochette ou de la cover d’un single, est le premier élément que reçoit le public lors de la sortie d’un nouveau projet. Pour en parler, nous nous sommes entretenus avec le photographe et directeur artistique Fifou qui, de Booba à Gradur en passant par Sadek et PNL, a réalisé la majorité des pochettes des grands albums de rap français.

Clique : Tu as plus de 600 pochettes à ton actif. Quels sont, pour toi, les ingrédients d’une bonne pochette de rap français en 2017 ? Et quels sont les points communs qu’on peut retrouver dans les visuels des albums de rap du moment ?
Fifou : Il y a cinq ans, ça aurait été plus évident de trouver des points communs dans les pochettes de rap. Aujourd’hui c’est différent, parce que les artistes ont beaucoup plus conscience que l’image est importante. Ils sont toujours à la recherche de l’idée originale. Par exemple, l’album de PNL, de base c’est un dessin sans concept vraiment fort, mais là où ils ont réussi à sortir du lot, c’est grâce au code couleur qu’ils ont d’ailleurs choisi en benchmarkant ce qu’il se faisait chez la concurrence à l’époque. Et ce code couleur orange et violet était un code couleur qui était très peu utilisé dans l’univers du rap français, très sombre si tu regardes les pochettes de Gradur, Niska, Alonzo ou Lacrim.

Aujourd’hui, il y a plus de réflexion. Tout le monde part un part un peu dans tous les sens et il n’y a plus vraiment de logique. Certains reprennent des codes de l’electro, d’autres des codes vintage avec le fort retour des 90’s. En tous cas le lien commun que je vois en ce moment, c’est qu’il n’y a plus trop de Photoshop. Il y a un vrai retour à la photo authentique, même argentique. Mais il n’y a pas vraiment de point commun. Niska part dans un code très graphique à la Terminator. Fianso table à fond sur des photos plus brutes et authentiques avec ses potes qui ont des gueules de fous.

twitter-shareVisuellement, PNL n’est pas loin du TTC de l’époque. Une collaboration Ed Banger et PNL, ce serait assez logique aujourd’hui.

L’élément le plus important, c’est le charisme d’un artiste et la mise en scène. Une bonne pochette d’album, c’est une punchline. Il faut que ça marque les esprits. Tu peux faire une belle photo, mais les belles photos on les zappe rapidement. Moi, ce qui m’importe, c’est le concept et la mise en scène.

Est-ce que la présence du rappeur sur la pochette est un passage obligé ? 
Les maisons de disque, surtout dans le rap, ne sont pas encore prêtes à passer le cap de ne pas mettre la tête des rappeurs sur leur pochette. Donc c’est toujours un peu un combat. Alors qu’en vrai ça ne sert à rien, on voit leur tête partout sur les réseaux sociaux. Mais je pense qu’on va sortir de ça.

Aujourd’hui, les rappeurs veulent tous faire leur classique et ne pas avoir leur visage sur la pochette apporte un côté intemporel qui est intéressant. Si tu regardes Nevermind de Nirvana, c’est devenu un logo. Quand on a bossé ensemble sur Noir Désir avec Youssoupha, il sortait d’une grande période où il était en maison de disque. Et il en avait un peu marre de faire le mannequin sur ses pochettes. Une fois qu’il est repassé en indépendant, on s’est posé avec l’envie de casser les codes. Après, c’est sûr que si t’as un artiste qui visuellement a la même énergie qu’un Wiz Khalifa ou ASAP Rocky, c’est compliqué de ne pas le mettre sur la pochette.

C’est vrai qu’aujourd’hui, les rappeurs considèrent plus leur pochette comme une oeuvre d’art. Parfois, tu as des pochettes qui n’ont rien à avoir avec le contenu. L’exemple le plus criant c’est Maitre Gims, qui produit des morceaux ultra ouverts, hyper dansants, très chanson française et qui demande des pochettes super dark.

Aujourd’hui, les rappeurs veulent tous faire leur classique et ne pas avoir leur visage sur la pochette apporte un côté intemporel qui est intéressant. Si tu regardes Nevermind de Nirvana, c’est devenu un logo

Comment les productions influencent le visuel ?
Dans les propos et même l’ambiance, 90% des morceaux de rap français qui sortent, ça fait la fête, ça chante. Les sons sont super dansants. Et c’est aussi pour ça qu’on réalise des pochettes de plus en plus en folles et qu’on sort des carcans « cité et flingues ». Donc visuellement, tu es plus tenté de faire des pochettes orange et mauve qu’en noir et blanc, par exemple.

L’évolution des ambiances de rap a énormément impacté ma manière de bosser, particulièrement dans le choix de mes coloris. Je suis un mec du noir et blanc et aujourd’hui je fais des arc-en-ciel sur mes pochettes. C’est assez fou. J’aurais jamais pensé à ça. Les codes ont vraiment changé. Aujourd’hui, je vois même des rappeurs en tutu avec des tatouages (rires).

Je suis un mec du noir et blanc et aujourd’hui je fais des arc-en-ciel sur mes pochettes.

Justement, comment le processus de création et les codes graphiques ont-ils évolué ?
Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de barrière en terme de visuel. C’est tout bête mais j’utilise beaucoup la couleur rose par exemple. C’est un peu comme Picasso, il y a des périodes. Il y a eu la période noir et or. Aujourd’hui c’est beaucoup de rose et de bleu. Pour moi, ce qui a énormément changé par rapport à une époque, c’est qu’il n’y a plus de fontière entre la mode et l’imagerie urbaine. Aujourd’hui dans les moodboards que je montre et dans les références, il y a des photos de mode alors qu’à l’époque, je ne mettais que des photos de 50 Cent ou de Tupac. On restait enfermés dans nos codes dits street.

Aujourd’hui, ça m’arrive de mettre une photo de Vanessa Paradis dans mes moodboards pour un gros rappeur de Grigny.

Ce n’est pas la technique qui a changé, c’est surtout l’ouverture d’esprit. Aujourd’hui, c’est un feu d’artifice de couleurs et de concepts. De plus en plus, on me redemande de dessiner ou de partir sur de l’arty. On dit souvent qu’on a dix ans de retard sur les américains musicalement, mais visuellement ce n’est pas du tout le cas. Un autre truc qui me marque beaucoup sur le côté plus ouvert, c’est qu’enfin les rappeurs sourient. La dernière pochette que j’ai faite avec Sadek, il se tape une barre de rire avec un grillz et deux mamies.

Faire sourire un rappeur il y a dix ans, c’était impensable.

Je me rappellerai toujours quand je shootais Tandem à Aubervilliers, les mecs étaient incapables de sourire. Et pas parce qu’ils se trouvaient ridicules, mais parce qu’ils n’y arrivaient pas. Dix ans après, tout le monde est joyeux et là on est dans la période full color. Et PNL a sûrement boosté ce mouvement.

Visuellement, existe t-il un âge d’or du rap français ?
Pour moi, visuellement il y a deux âges d’or du rap français. L’âge d’or des années 90 avec des partis pris et des univers complètement fou. Je pense forcement à Tous des K qui à l’époque avait réalisé toute l’imagerie d’IAM. La première fois que j’ai vu la pochette de L’École du micro d’argent, j’ai pris une énorme claque. Je pense aussi à Si dieu veut de la Fonky Family et les images fortes de NTM. Entre 95 et 98, on a eu des gros visuels. Mais aujourd’hui, il y a pour mois le 2ème âge d’or du rap et je ne me suis jamais autant éclaté.

Donc le passionné de hip-hop te dirait entre 90 et 2000. Le passionné de l’image te dira que c’est en ce moment.

Le lien de complicité que tu entretiens avec l’artiste est-il un facteur de réussite graphique ?
En toute honnêteté, connaitre l’artiste n’est pas indispensable. Quand je travaille sur une pochette, j’écoute d’ailleurs rarement les albums. Je me pose avec l’artiste pour savoir quel est l’univers de son projet. Mais aujourd’hui, on ne se prend plus trop la tête à ce niveau là. C’est sûr que si tu connais bien l’artiste, tu peux prendre plus de temps pour travailler en amont avec lui. Quand je bosse avec S.Pri Noir, c’est mon gars de fou. On se Whatsapp toute la journée. On s’envoie des moodboards. Et on a le temps d’élaborer quelque chose de cool. Comme avec Youssoupha. C’est des coup de coeur artistiques. Mais quand tu connais bien l’univers du rap, tu peux t’en passer.

Désormais, un visuel d’album ou de single est plus souvent vu en vignette sur les réseaux sociaux et sur Spotify que sur des 4 par 3 dans le métro ou en physique dans les mains des fans. Est-ce que ça a changé ta manière de travailler ?
Je suis un peu un mec de l’ancienne époque à ce niveau là. Pour moi, l’objet physique est tellement important que je ne peux pas changer ma manière de bosser et bâcler un livret par exemple. Par contre, sur l’histoire des visuels digitaux et de consommation des visuels en tout petit, je n’ai pas changé ma manière de travailler, mais plutôt ma manière de penser. Il y a eu une grosse période où on aimait charger les pochettes avec plein de détails, de dorures, d’impacts de balles.

Le gros changement avec le digital, c’est que l’on épure les images.

J’essaie de travailler dans ce sens-là en tous cas. Toutefois, je n’ai jamais fait autant de vinyles et d’affichages de ma vie ! Aujourd’hui, on est dans la course aux gros affichages. Donc on est un petit peu comblés par ça. C’est sûr qu’aujourd’hui, quand je parle avec des petits, ils n’ont pas de livret. Ils ne le lisent pas. Ils s’en foutent. Ils ne savent même pas ce que c’est. On ne met même plus de paroles dans les disques.

Comment les moyens financiers dans la création visuelle ont-ils évolué depuis que tu as commencé ?
Les moyens financiers ont beaucoup évolué. À l’époque, on bookait des studios à 3000, 4000 euros la journée, aujourd’hui c’est impossible. Les conditions de réalisation de la pochette de Jean-Baptiste Mondino pour Opéra Puccino, c’est du passé. Aujourd’hui, de plus en plus d’artistes préfèrent travailler en indépendant. Qui dit indépendant dit forcément moins de budget. Là où on s’y retrouve, c’est qu’à l’époque les artistes sortaient des projets tous les 4 ou 5 ans. Aujourd’hui, ils en sortent 2 ou 3 par an, donc je fais des packages. Honnêtement, je n’ai jamais autant travaillé de ma vie.

Selon toi, à quoi ressemblera la pochette des albums de rap dans dix ans ?
On peut fantasmer, mais peut-être qu’on aura des pochettes en hologrammes. Après, vu que c’est quand même une boucle sans fin, il n’est pas impossible qu’on retombe dans les codes très street et un peu kitsch des années 2000 avec des montages dégueulasses. En fait, en ce moment, c’est tellement riche que je n’arrive pas à voir ce qu’il va y avoir derrière. Mon vrai fantasme dans dix ans, c’est qu’on ne mette plus les rappeurs sur les pochettes. On connait leur tête, on les voit partout sur les réseaux sociaux, les mecs font des millions de vues. Pour moi, le gros travail c’est d’instaurer des pochettes classiques à la Nirvana.

Le jour où un rappeur sortira une pochette avec un bébé dans l’eau, je trouverai ça mortel.

Selon toi, quels sont visuellement les meilleurs artistes en 2017 ?
Forcément, pour moi ceux qui ont tout niqué visuellement, c’est PNL. La première fois que j’ai vu un clip de PNL, je suis tombé de ma chaise. À la base, on était tous un peu réticents parce que ce n’était pas du tout nos codes. Et personnellement, les mecs balaises avec des cheveux longs c’était pas vraiment mon délire visuellement. C’était pas du tout mon ambiance, mais c’est pour ça que j’ai trouvé leur univers fort.

Un autre bon exemple, c’est Jul. Le mec assume complètement son truc et c’est aussi pour ça que ça marche. Le mec s’en bat les couilles, il débarque avec des bermudas à fleurs et une crête blonde. Après je ne peux pas te donner Jul en référence visuelle, mais plus pour ce que ça représente en terme d’impact.

Je suis certain que si on demande à des gens qui n’écoutent pas de rap de résumer le rap français, ils te répondent « Jul et PNL ». C’est donc la démonstation qu’il y a quelque chose qui fonctionne bien dans leur communication.

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