Aristide Barraud est un ancien joueur de rugby professionnel, gravement blessé lors des attentats du 13 novembre 2015. Il revient sur cette nuit d’horreur dans un livre confession où il raconte ses opérations à répétition, sa sortie de l’hôpital, la fin de sa carrière, et la musique – surtout la musique.
« Aujourd’hui on a fini le chocolat. » Le livre Mais ne sombre pas commence comme un journal intime. Aristide a mangé beaucoup de chocolat pendant sa convalescence, des grandes boîtes achetées dans les supermarchés jusqu’au petit sachet raffiné : « un Ferrero à 10 heures du matin pour lancer la machine, une douceur après le repas et un carré de chocolat vers 17h pour accompagner le soleil au coucher ». L’ex-rugbyman se décrit comme un survivant : « mon instinct, c’est mon manager, mon ange gardien ».
Touché par balles au poumon et à la jambe alors qu’il dînait au restaurant le Petit Cambodge le 13 novembre 2015, le jeune homme de 28 ans est sorti de l’hôpital en quelques semaines. Les médecins avaient prédit plusieurs mois d’immobilisation.
Un mois après le drame, Aristide avait donné de brèves nouvelles sur sa page Facebook : « récupération se passe bien ». Puis, le silence. Deux ans plus tard, il a eu besoin de 166 pages pour tout raconter. C’est plus long, mais l’écriture est toujours laconique. Un phrasé presque parlé – chanté :
» Les blessures invisibles sont létales / Plus insidieuses que celles qu’on étale. L’horreur incrustée dans ces rues redevenues magnifiques a disparu, balayée au fil du vent comme un pétale. »
Mais ne sombre pas laisse entrevoir quelques sourires : « je veux rester ce mec positif comme les phrases sur les sachets de Yogi tea ». Son récit est jeté sur le papier – des notes pas encore accordées : « La musique a traversé mon corps, une vague de confiance m’a envahi, une lucidité extrême ». Ce sportif, qui a commencé le rugby à dix ans, a tenu grâce à elle, la musique. Six heures de mélodie par jour dans les oreilles pour éviter d’entendre le bruit des machines respiratoires. Parfois, ses souvenirs reviennent au présent : « J’entends encore le bruit des talons de la responsable des infirmières dans le couloir de l’hôpital ». La convalescence a été longue, de longues nuits en plein jour, dans le lit de ses parents à Massy-Palaiseau avec Nirvana et Doc Gynéco. L’artiste qui lui a fait le plus de bien ? Oxmo Puccino. Il l’a découvert à la cantine du collège.
« La vie est une chance, le reste du mérite ». Oxmo Puccino.
En avril 2016, Aristide est allé à la Maroquinerie voir le rappeur Jazzy Bazz jouer « Fluctuat Nec Mergitur », son morceau en réaction aux attentats du 13 novembre. « À chaque chanson, je reconnectais avec quelque chose de ma vie d’avant ; ça me faisait du bien et en même temps cela rendait la fracture encore plus douloureuse ». Il lâche les écouteurs pour les amplis des salles de concerts – en béquilles. Avec ses amis, toujours le même protocole : deux shots de téquila « pour faire monter l’inconscience », puis ils s’installent sur le côté, « collés à une sortie de secours ».
L’ex-sportif croit encore pouvoir retourner sur un terrain de rugby, mais la douleur ne le quitte jamais. « Mon corps n’a pas suivi et il a commencé à se manifester par des voies bizarres » : migraines, crises d’angoisse, infections à répétition. L’ancien du Stade Français tourne la page après avoir tourné en rond pendant deux ans : les tours du périphérique pour atteindre les hôpitaux aux portes de Paris, les tours dans son lit à coup d’insomnie, le tournis dans sa tête. Son histoire est personnelle, mais elle se veut collective. Aujourd’hui, Aristide Barraud n’a pas d’objectif fixe. « Je continue d’écouter de la musique ». Il dormira demain.
Mais ne sombre pas, Aristide Barraud, paru le 19 octobre aux éditions Seuil.
Image à la une : Hermance Triay