Il n’y a pas de planète pour les vauriens. Le premier film de Medhi Senoussi est un huis-clos sur un homme « qui voulait avoir les mêmes rêves que tout le monde », et qui se retrouve à braquer un Pôle Emploi... Après dix ans de galère, « Vaurien » sort en salles le 19 septembre 2018. Rencontre avec un acteur (vu dans Fatima), scénariste, et réalisateur pour qui le "rien" vaut beaucoup.
Clique : Comment est née l’histoire de Vaurien ?
Mehdi Senoussi : Je voulais raconter l’histoire d’un type qui braque un Pôle Emploi parce qu’il ne trouve plus de boulot. Je voulais montrer comme c’est difficile d’être « rien » aujourd’hui. Sa femme tombe enceinte, il perd les pédales. Au départ, on a réalisé un court métrage en remplaçant les otages par des peluches. C’était en 2005.
Quand tu ne t’appelles pas Dardenne ou Brizé, un film social, ça ne se vend pas.
Que s’est-il passé entre temps ?
Hmm… Pas mal de choses. Le court a circulé dans ma région (Rhône-Alpes), mais je voulais aller plus loin. J’ai essuyé beaucoup de refus, ça n’a pas été simple de convaincre les financeurs. Quand tu ne t’appelles pas Dardenne ou Brizé, un film social, ça ne se vend pas. On m’a dit que mon sujet était trop « grave », l’actualité ne m’a pas aidé (entre 2012 et 2016, plusieurs drames ont eu lieu dans des agences Pôle Emploi, NDLR). Le film n’a pas été compris, du coup on a réécrit plusieurs fois le scénario avec Akim Sakref, mon co-scénariste. J’ai apporté le burlesque et lui le côté polar ; le film oscille entre le drame social et la comédie.
Bande annonce de Vaurien de Mehdi Senoussi, sortie 19 septembre 2018.
En plus de réaliser, tu tiens le rôle principal…
Oui, je joue Redouane, 30 ans. Il voudrait ressembler à n’importe qui, pouvoir prendre le bus sans frauder, avoir un enfant et un deux pièces. Pourquoi la société ne lui permet pas d’être quelqu’un d’ordinaire ? Un matin, Redouane arrive dans un local Pôle emploi et demande à parler au directeur, sauf que le directeur n’est pas là. Il sort une arme.
Mehdi Senoussi sur le tournage de Vaurien, en 2015.
A priori, on ne voit pas le burlesque comme ça…
Si, mais je ne peux pas en dire plus. La société a mis des masques sur son visage, ça lui a servi d’excuse pour ne pas s’en sortir. Mais Redouane a aussi ses propres masques et va nous surprendre. Mon message, c’est le vivre-ensemble, la cohésion. Je joue avec les stéréotypes et prends tout le monde à contrepied dans ce film.
J’ai un souvenir assez dingue à l’aéroport de Los Angeles : on m’a gardé 24 heures à la douane car j’avais mal prononcé le mot « touriste » en Anglais. Ils ont compris « terrorist« … J’en ai fait un sketch plus tard.
Il y a un peu de toi dans Redouane ?
C’est un galérien, et j’ai beaucoup galéré ! (Rires) Je mesure 1m89, je pèse 100 kilos et j’ai des cicatrices sur le visage, on ne devine pas tout de suite que je suis acteur. J’ai un souvenir assez dingue à l’aéroport de Los Angeles : on m’a gardé 24 heures à la douane car j’avais mal prononcé le mot « touriste » en Anglais. Ils ont compris « terrorist« … J’en ai fait un sketch par la suite. Mon physique parle d’un vécu, mais je ne veux pas l’utiliser. J’ai grandi à Vénissieux (ville réputée difficile, située près de Lyon, NDLR), j’ai raté mon bac à 0,5 point et je suis parti aux États-Unis pour devenir acteur. « L’homme qui voulait avoir les mêmes rêves que tout le monde », c’est moi.
Comment tu t’y es pris ?
J’ai tout fait au culot. À 19 ans, je distribuais mes CV sur Hollywood Boulevard. Une connerie : les chauffeurs de taxi et les touristes ne pouvaient rien pour moi ! J’ai fait le détective pendant des semaines à Venice Beach, j’ai sonné chez Jean-Claude Van Damme un soir à 23h, après avoir cherché son adresse toute la journée. Petit à petit, ça a marché !
Vaurien, c’est celui qui ne vaut rien aux yeux de la société, mais ne rien valoir, c’est valoir quelque chose – plus tard. Il y a un devenir, c’est ce qui compte.
Pourquoi Vaurien ?
Ça a un double sens. Vaurien, c’est celui qui ne vaut rien aux yeux de la société, mais ne rien valoir c’est valoir quelque chose – plus tard. Il y a un devenir, c’est ce qui compte. Faire des films qui enfoncent des portes ouvertes, qui stigmatisent, ce n’est pas pour moi. A l’intérieur du Pôle Emploi, il y a des végétariens, des musulmans, des carnivores, des catholiques, des hommes, des femmes, des riches, des pauvres et ils sont tous dans le même sac.
Avant de passer à la fiction, qu’as-tu fait ?
J’ai tourné beaucoup de clips institutionnels pour la prévention routière, car j’ai perdu mon petit-frère à cause d’un deux roues. Les films circulaient dans les écoles de la région et les prisons aussi. J’ai aussi fait rire – enfin je crois ! En 2005, j’ai réalisé un court métrage tiré de La Valse des Pantins avec Robert de Niro qui met tout en œuvre pour rencontrer Jerry Lewis, sauf que moi la cible c’était Luc Besson. J’ai réussi à faire jouer Rohff, Zidane, et j’ai même été invité à Cannes pour parler du projet.
Tu as joué dans Fatima de Philippe Faucon (2015). Ça t’a aidé ?
Mon projet était déjà en route. Le cinéma c’est dur, très dur. Aujourd’hui, j’ai 36 ans, j’ai franchi toutes les étapes une à une, sans répit. Certains en sautent grâce à leurs relations, ce n’est pas mon cas. Je me suis bien battu, il fallait bien qu’un jour je raconte cette galère, cette frustration-là…
Vaurien sort en salles le 19 septembre 2018. C’est le premier long métrage de Mehdi Senoussi avec Romane Borhinger, Phenix Brossard et Steve Tran.
Image à la Une: Affiche du film Vaurien de Mehdi Senoussi