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Redha KhadherSociété
Par Jalal Kahlioui

QUI ES-TU : Ridha Khadher, le boulanger des Présidents

Les Présidents se succèdent mais sa baguette reste à l'Elysée. Depuis 2013 et sa victoire à la meilleure baguette de Paris, le boulanger franco-tunisien Ridha Khadher continue de fournir le palais. François Hollande et Emmanuel Macron l'ont chacun invité au sein de la délégation française pour leur visite en Tunisie en faisant de lui l'un des ambassadeurs de la gastronomie française. De son enfance dans la campagne de Sousse, à son arrivée et sa réussite en France, Ridha Khadher nous a raconté son histoire extraordinaire où se mêle Emmanuel Macron, Jamel Debbouze, Bertrand Delanoë et Johnny Halliday.

Clique : Vous revenez de Tunisie où vous avez accompagné Emmanuel Macron pour sa visite présidentielle. Comment est-ce que vous vous êtes retrouvé dans ce voyage ?
Ridha Khadher : C’est l’intendance de l’Élysée qui m’a appelé. Ils m’ont dit que Brigitte et Emmanuel Macron souhaitaient m’inviter pour leur visite en Tunisie. Auparavant, j’avais été invité par le Président Hollande. Bon, lui, il n’a plus de mandat, mais moi j’ai conservé le mien ! (rires)

Grâce à mon travail, aujourd’hui je côtoie des Présidents et des Ministres. C’est un honneur.

Quelle est la nature de votre relation avec Emmanuel Macron ?
Je l’ai déjà croisé quelques fois à l’Élysée, il connait mon histoire. Il sait que je travaille depuis un moment pour l’Élysée. Leur cuisinier lui avait parlé de moi, parce que le Président avait demandé d’où venait le pain qu’il mangeait. Donc il était un petit peu au courant de mon histoire.

Redha KhadherDans l’arrière-boutique de sa boulangerie (14ème arrondissement de Paris), Emmanuel Macron fait partie du décor.  

En Tunisie, comment est-ce que vous aviez pris votre rôle d’ambassadeur ?
J’étais un peu le Président de la Baguette ! (rires) Non, honnêtement, j’étais très heureux, car j’étais entouré de ministres, des députés. J’ai mangé au Palais de Carthage à Tunis, c’était quelque chose d’extraordinaire. Certains Tunisiens savaient qui j’étais, d’autres me voyaient comme un ministre, d’autres comme le boulanger du Président, c’était vraiment quelque chose d’extraordinaire. J’ai échangé des cartes de visite avec des ministres qui étaient enchantés de faire ma connaissance.

J’avais l’impression que c’était aussi important pour les Tunisiens de voir l’un d’entre eux réussir en France.

Vous ne parlez jamais de politique avec les différents Présidents ?
Je ne veux pas rentrer dans la polémique politique, ce n’est pas mon métier. Mais quand on parle de la France, de la Tunisie, il m’arrive de parler d’immigration, d’intégration…

Redha Khadher

Ridha Khadher dans sa boutique « Au Paradis du Gourmand ». 

Vous êtes arrivés à Paris à l’âge de 15 ans…
Je m’en souviens encore. La seule chose que je voulais faire, c’était retourner directement en Tunisie !

Pourquoi ?      
À cause du froid (rires) ! Avec ça, je ne parlais pas français, je trouvais que la ville était dure à vivre, le travail était aussi très difficile. J’avais commencé en tant qu’apprenti dans la boulangerie de mon grand frère. On était dans le 18ème arrondissement, à cette époque.

Pourquoi est-ce qu’à 15 ans on décide de quitter son pays ?
Mes parents étaient agriculteurs, mais je n’aimais pas ça. On était bien, j’ai même passé une très bonne enfance avec mes parents, sans problème, dans la banlieue de Souss (au Sud de la Tunisie, NDLR). On avait près de 86 hectares, où l’on cultivait du blé, des oliviers. On élevait aussi des moutons. Mais moi je n’aimais pas la campagne, et le travail d’agriculteur ne laisse pas de repos.

Est-ce que vous étiez attiré par l’Europe, ou l’espoir d’une vie meilleure ?
Non, pas au départ en tous cas. Si je devais revenir en arrière, je pense que j’aurais fait ce voyage pour des raisons matérielles. Mais je voulais juste quitter ma campagne. Une fois arrivé à Paris, je ne voulais même pas rester…

Pendant un mois ou deux, j’avais ma mère au téléphone toutes les semaines pour lui dire qu’il fallait que je rentre. C’est elle qui m’a poussé à rester, elle voyait loin pour moi. Elle me disait : « reste, mon fils, tu vas réussir comme ton frère ». Et c’est ça qui m’a permis de m’accrocher.

En Tunisie, j’avais tout, j’étais bien gâté par mes parents. Et on était bien. Ce n’est pas facile de venir en France. Je le dis aux jeunes en Tunisie : ici, il y a des gens qui dorment dehors. Ce n’est plus la France d’avant. Il y a tellement de chômage, ce n’est pas évident.

Redha Khadher

À côté de la photo avec la maire de Paris, Anne Hidalgo, le portrait de la mère de Ridha Khadher. 

Vous avez quitté l’agriculture de vos parents pour aller vers un autre métier aussi difficile, celui de boulanger. Comment s’est passée l’adaptation ?
Je me souviens encore de mon arrivée. Mon frère était déjà boulanger à Paris. Il était 19 heures, il m’a emmené manger dans un très bon restaurant. Je m’étais dit « c’est la belle vie à Paris !». Et à une heure du matin, il m’a réveillé. Je n’y croyais pas ! C’était un cauchemar de commencer à travailler en pleine nuit. Les premiers jours, je dormais debout. J’étais déboussolé. Il m’a dit : « tu voulais venir en France, c’est comme ça que ça se passe ! ». Mais passé le cap de six mois/un an, j’ai commencé à apprécier le travail en boulangerie, et surtout en pâtisserie.

Redha Khadher

L’un des secrets pour une bonne baguette : laisser reposer plusieurs heures…

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier ?
Je pense que l’attraction date de l’enfance. Quand j’étais petit, je voyais tout le temps ma mère faire des petits pains. Tous les soirs, je travaillais avec elle. Avec la pâtisserie, c’est devenu un métier artistique pour moi, par la suite. Je me suis plongé dans le travail du pain, la connaissance du pétrissage, des différentes pâtes… Cela a commencé comme ça.

Vous avez ouvert votre propre boulangerie dans le quatorzième arrondissement de Paris en 2006…

Je travaillais chez mon frère et je lui demandais une augmentation de 50 euros. Il m’a dit non, parce que c’était beaucoup. C’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic pour ouvrir ma propre boulangerie.

Quand je suis allé présenter mon dossier à la banque, ils m’ont dit que j’étais trop endetté à cause de l’achat de mon appartement.

Sans crédit à la banque, comment on fait ?
J’ai dû prendre un deuxième travail, et donc je suis devenu garde du corps.

Pourquoi garde du corps ?
Je travaillais dans la deuxième boulangerie de mon frère, qui se situait dans le quartier du Marais à l’époque. Un ami m’a proposé ça parce que je faisais de la boxe thaïlandaise.

Je travaillais toute la semaine à la boulangerie, et trois nuits par semaine je travaillais en tant que garde du corps en boite de nuit, au Stade de France… Je travaillais pour assurer la sécurité des émirs des pays du Golfe, beaucoup de stars comme Johnny Halliday, Arthur, Jamel Debbouze…

Jamel Johnny ArthurPendant ses années de gardes du corps, Ridha Khadher a travaillé avec Johnny Halliday, Arthur et Jamel Debbouze. 

Quel était votre rythme de travail ?
Je finissais ma journée à la boulangerie, et à minuit je devenais garde du corps jusqu’à quatre heures du matin. Je dormais deux-trois heures, puis je revenais à la boulangerie. Ça a duré pendant quatre ans, jusqu’à ce que j’ouvre mon propre établissement.

Tout ça parce que votre frère ne vous avait pas donné une augmentation de 50 euros ?
L’histoire, c’est que je ne lui avais même pas dit que j’ouvrais une boulangerie ! Jusqu’au jour où il m’a appelé pour me dire qu’il m’accordait l’augmentation, parce qu’entre temps j’avais quitté sa boulangerie…

Vous utilisez beaucoup le mot « travail »…
Il n’y a pas de miracle dans la vie, il ne s’agit que de travail. Il faut être courageux. Il y en a qui disent « oui je travaille cinq ou six heures, ça suffit », mais si tu veux réussir et faire ta place dans la société il faut bosser dur. Même les banquiers doivent travailler. Mes parents agriculteurs n’ont jamais pris un jour de vacances. Mes parents travaillaient tout le temps. Et c’est ce que ma mère m’a mis dans la tête : « travailler et réussir ».

Ridha Khadher

Ridha Khadher emploie aujourd’hui une quinzaine de personnes au sein de sa boulangerie. 

Comment fait-on pour remporter le titre de « Meilleure baguette de Paris » ?
Quelques mois avant la compétition, en 2013, j’étais retourné en Tunisie chez ma mère. Elle faisait toujours son pain à l’ancienne, avec un levain naturel, en laissant reposer la pâte… À mon retour à Paris, j’avais appliqué la même méthode pour faire ma baguette tradition. Il m’a fallu plusieurs semaines pour trouver l’équilibre. Et ce sont les clients qui m’ont proposé de faire le concours.

Comment s’est déroulée la compétition ?
Le jour de la compétition, je me suis retrouvé à la mairie de Paris à côté de beaucoup de professionnels, des cols bleu blanc rouge (prestigieux symbole des professionnels ayant remporté le titre de Meilleur Ouvrier de France, NDLR), et aucun maghrébin. J’ai fait demi-tour ! J’étais garé très loin, et je cherchais quelqu’un pour donner mes baguettes. Mais personne dans la rue. Je ne voulais pas jeter mes baguettes, du coup j’y suis retourné.

J’étais le dernier à entrer dans l’Hôtel de ville. Tout le monde me regardait. J’ai déposé ma baguette et je suis parti. À 17 heures 30, j’ai reçu un coup de fil : « allô, c’est Bertrand Delanoë. Vous avez gagné le titre de la meilleure baguette de Paris. »

Comment avez-vous réagi après cette nouvelle ?
Je ne l’ai pas cru ! Je pensais qu’on se foutait de moi. J’ai continué ma route, et en arrivant à la boulangerie, j’ai vu trois journalistes qui m’attendaient. C’est là où j’ai compris. Le lendemain, je parlais à TF1, France 2, M6, et même CNN. Je pense que pour eux, un arabe qui avait fait la « Meilleure Baguette de Paris », c’était de la folie. Aujourd’hui, même l’Université de Créteil s’est intéressée à mon parcours pour l’une de ses publications sur l’entreprenariat.

Redha Khadher CliqueL’histoire de Ridha Khadher racontée jusqu’en Italie. 

Vous fournissez l’Elysée et plusieurs ministères depuis votre victoire au concours. Comment cela se fait-il ?
La tradition veut que le gagnant du concours serve l’Elysée pendant un an. Un autre boulanger a gagné le titre l’année suivante, mais il n’a pas eu de bons retours à l’Elysée. Donc, les intendants du palais ont mis en place un appel d’offre, renouvelé tous les trois ans. Je me suis présenté et j’ai remporté le job. Ça s’est suivi par celui de Matignon, du Parlement et d’autres ministères. Et ça dure depuis 2013.

Et donc Emmanuel Macron serait fan des petits pains aux fruits secs ? (rires)
Oui ! Je l’avais proposé à François Hollande, qui avait bien aimé. Je l’ai proposé au nouveau Président et il a autant apprécié, et c’est devenu une petite tradition au sein de l’Elysée.

Un pain aux fruits secs. Crédit : Les recettes de Virginie.

Combien de personnes employez-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’ai treize personnes qui travaillent à la boulangerie. Il y a des reconvertis, comme un ancien architecte.

Qu’est-ce que vous servez aux différents ministères ?
Ce n’est jamais pareil, ça dépend des occasions, des invités. On reçoit tous les jours des e-mails qui donnent des indications sur le nombre et le type de viennoiseries demandées pour les petits déjeuners par exemple.

Pour vous donner un ordre d’idée, on peut livrer 300 à 400 viennoiseries, 500 baguettes qui sont fabriquées et envoyées à l’Elysée et aux ministères le matin même… Ça dépend des jours.

Quelle est la recette d’une baguette réussie?
C’est très simple. Une bonne baguette c’est d’abord une baguette croustillante, avec un bon levain qui va bien développer la mie, avec une croûte épaisse bien cuite.

Redha KhadherL’inspection des baguettes qui partent pour l’Elysée est méticuleuse. 

Il y a un projet qui vous tient à coeur : ouvrir des centres de formation en Tunisie.
Aujourd’hui, les jeunes Tunisiens font beaucoup de longues études, et dépendent énormément du tourisme. Mais la formation dans le domaine de l’artisanat n’est pas développée comme en France. Les gens apprennent ces métiers-là sur le tas, et c’est pour ça aussi qu’il n’y a pas là-bas de vraie bonne baguette – en tous cas, qui soit comparable à ce qui se fait en France comme la baguette, qui est entrée dans le patrimoine.

Pourquoi voulez-vous créer cette école ? 
J’ai envie de faire une école qu’on pourrait appeler celle de la deuxième chance, pour faire apprendre un métier à ceux qui n’ont pas réussi avec les études. Un boulanger, un plombier vont pouvoir travailler n’importe où ; ils auront du boulot tout le temps, et je veux que les jeunes Tunisiens aient la chance de travailler en Tunisie.

Ce n’est pas la France qui doit aider la Tunisie. Ce sont les Tunisiens eux-mêmes qui, par leur travail, vont contribuer au renouveau du pays.

Pour le moment, on est vraiment à l’état de projet, car la préparation est assez lourde avec les services de l’État, mais on est en discussion avec certains ministres tunisiens.

Vous faites souvent des allers-retours entre la Tunisie et la France. Comment le pays a changé depuis la révolution tunisienne ?
On voit des évolutions positives, notamment sur la liberté d’expression et l’avancée démocratique, mais c’est très fragile. Par exemple, au niveau économique, ce n’est pas encore ça. On ne connaît pas encore de regain touristique et c’est la seule source de revenus majeure. Ce n’est pas la Tunisie d’avant. Les revenus sont faibles, et le coût de la vie a augmenté avec l’inflation. Il nous faudra encore quelques années…

Ridha KhadherLe drapeau bleu blanc rouge est arboré fièrement sur la poitrine de Ridha Khadher. 

Vous utilisez énormément le mot intégration, qu’est-ce qu’il signifie pour vous ?
Comme je dis : si j’invite dix personnes chez moi et qu’il y en a deux ou trois qui cassent, je suis obligé de les virer. Quand je suis arrivé en France, ma mère m’a toujours dit : « mon fils, la France ce n’est pas un centre de loisirs. Si tu y vas, tu travailles et tu respectes les gens. »

Photographie à la Une © Jalal Kahlioui. 

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