C’est la première fois que le rappeur et beatmaker strasbourgeois Ash Kidd accepte d’être interviewé. Jusqu’ici, il avait toujours refusé les questions des journalistes, considérant que toutes les informations à son propos se trouvaient déjà dans ses morceaux.
Il faut croire que son quatrième projet, STEREOTYPE, est un large virage dans la carrière de l’artiste puisqu’il le considère plus abouti que les autres et qu’il est aussi l’occasion pour le rappeur de se dévoiler un peu plus – enfin. Plus mélancolique que sévère, plus positif que négatif, plus Strasbourg que Paris, plus rêveur que terre-à-terre, et surtout plus lover que fragile, Ash Kidd nous parle de lui pour la première fois.
« Lolita », le précédent hit d’Ash Kidd, l’un de nos coups de cœur de 2017.
Clique : Qui es-tu ?
Ash Kidd : Moi c’est Ash Kidd, j’ai 25 ans, je fais de la musique depuis onze ans. J’ai sorti quatre EP dont un il y a deux semaines, STEREOTYPE. Je suis en pleine tournée dans toute la France en ce moment et je raconte mes histoires.
C’est la première fois que tu acceptes des interviews. Pourquoi tu n’as jamais voulu en donner avant ?
Je voulais laisser parler ma musique. Je pense qu’il y a beaucoup de choses dans mes musiques que je ne pourrais pas dire en interview. Aussi, avant, j’avais le sentiment de planer dans mon coin, je n’avais pas envie de parler. C’est le sentiment et l’impression que, même quand tu parles et que tu dévoiles beaucoup de choses dans tes chansons, les gens veulent quand même t’entendre parler. C’était un peu pour dire : « écoutez ma musique, c’est là que vous me retrouvez vraiment ».
Je pense qu’il y a beaucoup d’artistes qui font beaucoup d’interviews et qui n’ont pourtant pas de musique assez pertinente…
Tu as grandi à Strasbourg. Ça ressemblait à quoi ton enfance et ton adolescence là-bas ?
Beaucoup de fêtes de famille… J’ai une petite sœur et une grande sœur, beaucoup de danse, beaucoup de soirées, beaucoup de bonheur. C’est une ride spéciale quand tu viens de là-bas. C’est une adolescence et une enfance assez légère. Et jusqu’ici c’est ce qui m’a construit, c’est la ville où j’ai fait mes premiers coups, où j’ai pris mes premières drogues, vu les premières filles…
Strasbourg c’est mon histoire, ce sont des parfums, des sentiments, c’est aussi le calme comparé au centre de la France. Ça a aussi été une chance pour moi de rester dans mon coin, à l’abri de ce qui se passe ailleurs, et que je puisse créer mon univers musical sans qu’on ne vienne m’embêter. Je suis passé par énormément de phases là-bas, j’ai rencontré énormément de gens et j’ai dû m’exporter mais c’est de là d’où tout est parti.
Ash Kidd © Abbad Kha
Maintenant tu habites à Paris ?
Non, j’habite toujours là-bas, je n’habiterai jamais à Paris, impossible ! Strasbourg c’est une ville assez calme. J’aime bien rester dans le calme, faire mon truc. Oui, il n’y a pas grand-chose à faire, mais c’est ça qui est bon… Du coup tu fais du son. Mais en fait, « rien à faire » c’est quoi ? Il n’y a pas de soirées huppées, il n’y a pas de fashion week… En soi, tous ces trucs, je ne suis pas dedans, je suis plutôt dans mon coin. Une ville comme Strasbourg tu peux rouler le soir, c’est grand, c’est vaste, tandis qu’ici tu fais un pas dehors il y a du bruit, il y a une embrouille… Ce mode de vie, je ne peux pas.
Pour revenir à la musique, tu as repris Indochine et l’un de tes morceaux s’appelle « Gainsbourg », est-ce que la chanson française est une influence pour toi ?
Oui, grave ! Depuis le début, grâce à ma famille. C’est un mélange de tout mais j’apprécie vraiment la chanson française. J’en écoute encore beaucoup aujourd’hui. Ma mère en écoutait beaucoup, et de la musique italienne aussi.
Parce que tu as des origines italiennes, ou pas du tout ?
Oui, ma mère est italienne, je suis Ivoirien-Italien et ma grand-mère 100% italienne : les sons, la bouffe, tout… Donc oui, je m’inspire un peu de tout ça. Mais la variété française, dans mon enfance, j’ai vraiment aimé en écouter.
On regardait les primes de la Star Academy, on regardait PopStars… À ce moment c’était ça la chanson française, c’était le R&B français !
Le générique de la quatrième édition de la Star Academy.
Tu écoutais quel artiste de R&B français à cette époque ?
On écoutait des Willy Denzey, des Matt Houston, je me rappelle j’avais l’album de Billy Crawford ! Vraiment des trucs types quoi ! Puis des chansons françaises plus vieilles comme Indochine, que j’ai repris dans le morceau « Nostalgie ». Mais oui, j’ai toujours aimé la musique française, dans plusieurs registres. Ce morceau, c’était une bonne chance de retranscrire mon amour pour la musique française, du coup je suis content. Il a fait le million de vues, j’ai produit le son, on a fait nous-mêmes le clip.
« Nostalgie » de Ash Kidd.
Et tu écoutes de la musique italienne ?
Oui, Laura Pausini, etc… Franchement, ma grand-mère met une cassette chez elle et ça tourne. Je ne pense pas que tu puisses entendre une musicalité italienne dans les sons que je fais, mais je pense que les goûts musicaux de ma famille m’ont beaucoup aidé jusqu’ici et je m’inspire de ça. Mais l’idée c’est surtout de créer ma propre vibe. Sinon, beaucoup de pop américaine, Michael Jackson, Prince, Erykah Badu, plus dans la soul aussi, comme Sade… Il y a beaucoup de sons que je n’écoute pas tous les jours mais qui m’ont inspiré sans que je ne m’en rende compte. Comme je fais mes instrus, je prends beaucoup de goûts et d’influences d’ailleurs. Après, la langue française, le rap, la musique que je fais, c’est plus ce que j’ai créé d’après ma propre histoire.
« La Solitudine », le hit de Laura Pausini.
« Motel » est l’un de tes titres qui a connu le plus de succès. Il parle de voyage, d’une relation amoureuse… Quelle est l’histoire de ce morceau ?
Il parle d’une relation amoureuse, de vouloir s’aimer à se tuer. C’était un temps où j’avais une relation amoureuse vraiment intense et le morceau s’est fait très naturellement. Il y a un pote à moi, un beatmaker new-yorkais, Dj Creecha, qui m’a envoyé un pad d’instru, et celle de « Motel » était dedans. C’est vraiment tombé juste pour mes sentiments et comment je me sentais à ce moment-là. La guitare, le sample… Tout ça participait à rendre le morceau mélancolique. C’est vraiment important pour moi de faire ressortir un truc nostalgique quand il s’agit d’amour, presque morose.
Et oui, l’histoire de ce son c’est l’histoire de la relation que j’ai eue avec une fille avant que ça ne se finisse, c’est pour ceux qui s’aiment à en devenir fous.
« Viens prendre le large avec moi
Laisse même tes ffaires-a, laisse-moi gérer ça
On a du temps à gagner, des billets à prendre
Calé sur la mer, le gun calé sur la tempe
Bébé j’pourrai pas attendre »
Motel« Brûle la routine pour s’enfuir dans le noir »
Nikita
C’est un de tes sujets de prédilection : les filles, l’amour, les relations amoureuses… Dans plusieurs morceaux, tu parles de partir, c’est quelque chose que tu as déjà fait ? Être avec une fille que tu aimes et dire : « on prend la voiture et on y va ! » ?
Oui, je l’ai déjà fait ! Quand tu kiffes quelqu’un, tu fais ce que tu as à faire. Ce truc de road-trip dans mes sons, c’est quelque chose que j’ai ramené parce que c’est un outil pour tuer la routine… Partir, s’en aller, toujours vouloir fuir l’instant présent. C’est aussi l’envie de vouloir faire voyager à travers la musique.
Si je commence mon morceau par te dire que je pars, tu t’imagines déjà, toi aussi, en train de partir. Et moi c’est ça que je veux faire : faire voyager.
Donc oui, j’ai déjà fait ça, partir à l’improviste, je le fais encore aujourd’hui ! Pour moi c’est naturel. Après, ce n’est pas sur tous les sons, mais c’est un rêve de toujours : vouloir partir de l’endroit où je suis. C’est mon but principal.
Tu parles aussi beaucoup de deal, de drogues et particulièrement de lean. Ce sont des choses que tu fais, ou c’est un délire pour créer un univers ?
Je ne parle que de ce que je fais (rires). Oui, on fume beaucoup de drogues, malheureusement. La lean (boisson illégale basée sur un mélange de soda et de codéine, NDLR), on en prenait il y a un peu plus d’un an, après il y a eu des morts, des sales histoires et tu te rends compte que c’est mauvais. Quand c’était un délire on l’a fait mais tu peux pas leaner à vie, c’est dangereux. Ce n’est pas comme la weed, ce n’est pas comme l’alcool, c’est vraiment pas bon. Tu peux pas jouer avec ça.
Il y a quelques mois, Clique Dimanche consacrait un reportage à ce problème de santé publique chez les jeunes.
On en a pas mal parlé dans les journaux l’année dernière quand il y a eu des morts. D’ailleurs, c’est quelque chose dont tu parlais dans tes anciens projets, mais pas du tout dans le dernier. Tu t’es rendu compte que c’était compliqué d’en parler maintenant ?
Oui. Je ne lean plus, j’ai arrêté, donc j’en parle plus.
Tu as des tatouages aussi. Tu t’es fait tatouer « Lolita » sur le cou, qui est-ce ?
Je n’ai pas trop envie d’en parler…
Quelques tatouages d’Ash Kidd : « Lolita », « Kush », « coeur de ice » et une colombe.
Tu as un tatouage sur le coude où il est écrit « nostalgie », c’est quelque chose qui revient souvent dans ton univers…
C’est un nouveau tatouage, je l’ai fait il y a un an. En dehors du son, je suis très nostalgique. « Nostalgie » c’est aussi le titre d’un de mes morceaux, mon premier million de vues, mon premier gros EP, ça représente un peu un aboutissement pour moi. Et oui je suis très très nostalgique. Plus les années passent, plus je suis nostalgique, donc je pense que c’est un truc très présent chez moi… J’ai aussi tatoué « On ne vit qu’une fois », j’ai un palmier, la date de naissance de ma maman, j’ai une colombe aussi, pour la liberté. J’en ai d’autres encore…
Comme quoi ?
Je me suis tatoué « cœur de ice » sur le ventre. C’est un clin d’œil aux filles qui me disent souvent que je suis froid : « t’es froid, tu parles pas, tu dis pas bonjour… ». J’ai l’impression d’avoir un cœur de ice. Je me suis fait tatouer « patience » aussi, pour la patience que j’ai acquise durant toutes ces années. La musique ça demande beaucoup de patience. Ah si ! J’en ai un autre, je me suis fait tatouer « Kush » aussi.
Ash Kidd © Abbad Kha
Au début de l’interview, quand tu parlais de Strasbourg, tu as évoqué la danse. C’est une autre passion ?
Oui, je faisais de la danse. D’ailleurs je danse toujours pour me calmer les nerfs. J’ai fait de la danse, j’ai fait du dessin aussi et de la vidéo. Je fais plein d’autres trucs pour me vider la tête. Maintenant, avec mon personnage, je danse moins ; mais oui, j’en ai toujours fait.
Pourquoi, c’est quoi ton personnage ?
Je ne saurais pas te le décrire, je pense…
Justement, dans le morceau « Cœur de Gangster », tu commences et tu termines par « À 12 ans, j’ai un rêve : devenir moi-même (…) à 24 ans, j’me balade sur ma planète (…) tu penses que j’joue un rôle mais c’est moi ». Ça veut dire que tu as accompli ton rêve, que tu es toi-même maintenant ?
Je me connais assez pour pouvoir dire « je suis moi-même ». Tu as 12 ans, tu commences ton adolescence, tu t’intéresses à la musique, tu te cherches et t’essayes de savoir qui tu es. Oui, aujourd’hui je suis devenu moi-même, je fais ce que j’aime, même si je ne suis qu’à 5% encore. « Cœur de Gangster » ça parle d’une certaine nostalgie, mais aussi de cette fierté d’avoir accompli ça. Mais j’essaye continuellement de devenir moi-même un peu plus.
« Cœur de gangster », le nouveau single d’Ash Kidd.
Dans ton nouveau projet, qu’est-ce qui a évolué par rapport aux anciens projets musicalement parlant et dans ta façon de travailler ?
J’ai mûri entre Mila 809 et STEREOTYPE, j’ai aussi peut-être pris conscience de ce que je pouvais faire et conscience de qui je suis. C’est bizarre quand je fais de la musique… C’est beaucoup de sentiments. Mais oui, j’ai vraiment eu une grosse prise de conscience à propos de ce que je suis censé faire de ma vie. Après, dans la façon d’enregistrer, ça a toujours été la même chose, dans la façon de faire aussi, simplement la sélection de morceaux a été un peu plus serrée pour arriver à 5 titres.
Pourquoi « Stéréotype » ?
Parfois je me sens un peu comme un stéréotype.
Visuel de l’EP STEREOTYPE d’Ash Kidd
De qui ? Ou de quoi ?
Un prototype de cette génération. J’ai cette facilité à me l’avouer, du coup j’ai voulu le retranscrire et le dire sans le cacher. Je suis un cliché de cette génération. Je suis jeune, je porte ces sapes-là, je fume de la drogue, je vois des filles… Si je vois une fille sérieuse, alors que je suis sérieux, et que je lui dis que je suis sérieux, elle ne va pas me croire. Elle va me mettre dans un cliché, ce qui va faire de moi un stéréotype. Elle va me mettre dans la case : « tu fais du son, t’as les filles que tu veux, tu sors en boîte tout le temps… ». Avec le temps, même sans la musique, c’est une étiquette qu’on a collée sur moi. Et au final je me sens comme ça…
C’est quoi tes projets pour la suite ?
Faire de la musique, voir le soleil, faire avancer les choses, kiffer. Me dire : « aujourd’hui je vais faire un nouveau texte, une nouvelle vidéo, des projets… » Faire avancer les choses dans ma carrière et aussi autour de moi, que les choses se passent bien dans mon entourage. Avec le temps, je prends de plus en plus de plaisir à le faire. Après voilà… Le but c’est de satisfaire les gens qui me suivent et d’aller le plus loin possible avec eux.
Ash Kidd est en tournée dans toute la France jusqu’au 21 avril, pour plus d’informations cliquez sur ce lien.
Écoutez l’EP STEREOTYPE ci-dessous :
Photographie à la Une : Ash Kidd © DR