Aujourd'hui, en Europe, une adolescente peut être kidnappée par sa propre famille et renvoyée au Pakistan. C'est ce qui est arrivé à Iram Haq, à l'âge de seize ans. La réalisatrice raconte son histoire dans "La Mauvaise Réputation", celle de sa famille tiraillée entre deux cultures : la Norvège et le Pakistan. Une famille impuissante face au fossé générationnel qui se creuse. "La Mauvaise Réputation" est un film colérique qui met en lumière le pouvoir de la rumeur et du qu'en dira-t-on.
Nisha est une adolescente norvégienne branchée qui est bonne élève, traine sur les terrains de basket et embrasse les garçons. Le soir venu, elle retrouve son rôle de fille modèle, habillée en tenue traditionnelle, à la maison. L’équilibre se brise une nuit où son père la surprend dans sa chambre avec son petit copain… La communauté pakistanaise ne pardonnera pas, sa famille non plus. Nisha est envoyée de force au Pakistan où elle n’aura plus aucun lien avec sa famille et ses amis. Clique a rencontré la réalisatrice Iram Haq, beaucoup moins en colère que son héroïne…
La Mauvaise Réputation, Iram Haq.
Clique : Cette histoire, c’est la votre. Vous avez attendu longtemps pour la raconter…
Iram Haq : J’ai attendu de me sentir prête, en tant que cinéaste et en tant qu’être humain, pour oser raconter mon histoire le plus sincèrement possible. Évidemment à l’époque, je n’ai pas compris, ça a été très dur pour moi. Je vivais chez ma tante au Pakistan, mes amis ont essayé de me sauver en signalant ma disparition, mais comme j’étais mineure, ils n’ont rien pu faire. Quand je suis revenue en Norvège, un an et demi plus tard, j’ai essayé de retourner chez mes parents et je me suis enfuie.
À l’origine, il s’agissait juste d’un bisou…
Ce que condamne mon père, c’est le fait d’avoir laissé entrer un homme dans ma chambre sans son consentement. Ce n’est pas le baiser qui choque, c’est la transgression dans son ensemble. Ils m’ont lavée le cerveau clairement… J’ai fait de longues thérapies pour savoir qui j’étais et pour réaliser que je n’étais pas une mauvaise personne.
Le film s’arrête brutalement. Nisha prend une décision importante sous les yeux de son père, qui ne bouge pas…
C’est la dernière fois que nous nous sommes parlés, jusqu’à ce qu’il m’écrive une lettre, vingt-six ans plus tard, sur son lit d’hôpital, pour me demander pardon.
Nous sommes vite redevenus très proches, mais il est décédé avant que le film ne soit terminé.
Dans le film, c’est surtout le comportement de la mère qui surprend. Elle fait tout pour préserver l’honneur de la famille…
Oui, elle est très stricte, elle orchestre tout. J’ai voulu montrer que l’homme n’est pas le seul à exercer un contrôle social. C’est une mère frustrée, prise entre ses origines et son pays d’accueil. Elle est encore trop préoccupée par ce que les gens pensent, alors que le père s’intéresse à l’avenir de sa fille. Il souhaite qu’elle fasse des études de médecine, mais sa mère, elle, ne pense qu’à la marier.
« On se sent plus fort si on est soudés dans un monde aussi grand… Mes parents ont fait ce que la communauté attendait d’eux ».
Pourquoi vous refusez d’être considérée comme une victime ?
Ce ne sont pas les méchants et moi la gentille. Mon expérience n’est pas toute noire ou toute blanche, car eux aussi ont souffert de leur décision. Si le film est aussi violent, c’est parce qu’il raconte une impossible communication alors que tous les outils sont là : les assistantes sociales, l’école, les amis. D’ailleurs, au début, Nisha est exubérante avec ses copains ; puis, très vite, elle ne trouve plus les mots. La culture pakistanaise n’est pas une culture de la parole.
Comment expliquez-vous ce repli sur soi ?
La communauté pakistanaise se protège en préservant ses valeurs. On se sent plus fort si on est soudés dans un monde aussi vaste. Mes parents ont fait ce que la communauté attendait d’eux.
Pourquoi les filles ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes que les garçons ?
C’est toujours aux filles que les parents demandent de s’habiller correctement, de parler correctement, de se tenir bien, et de rester à la maison. Le frère, lui, n’a aucun courage. Comme tous les hommes, il se range du côté de la famille. Dans le film, Nisha se fait humilier par la police pakistanaise, car elle a embrassé son cousin sur la bouche. Les agents la filment nue et menacent de publier la vidéo sur Internet. Je n’ai pas vécu cette expérience, mais je me suis inspirée d’un fait divers. Les hommes utilisent des moyens modernes pour perpétuer des traditions très anciennes qui soumettent les femmes.
La Norvège est souvent montrée comme un modèle en Europe… Pourtant, dans le film, sa politique d’intégration est loin d’être parfaite.
Nous ne sommes pas aussi ouverts d’esprit qu’on le prétend. Il y a beaucoup de problèmes de racisme. L’école est forte pour obtenir des résultats, mais cela s’est fait au détriment de l’intégration. On a beaucoup cloisonné les parents, les élèves et les professeurs.
En 2016, des experts chargés de la prévention des mariages forcés, d’actes de violence et de mutilation génitale, ont enregistré 597 plaintes dans le pays. Les victimes sont d’origine pakistanaise, irakienne, afghane, somalienne et syrienne.
La Mauvaise Réputation d’Iram Haq, actuellement en salle.
Image à la Une : La Mauvaise Réputation.