C’était sans doute l’un des albums de rap français les plus attendus de l’année : Damso vient de sortir Lithopédion. Des instrus toujours aussi travaillées avec, en prime, une plume plus affutée que jamais. Une sorte de miroir de son précédent album Ipséité, avec lequel on retrouve de nombreux points communs.
Damso nous avait déjà poussés dans nos retranchements lexicaux avec son titre d’album Ipséité. Nouvelle leçon de vocabulaire en 2018 avec Lithopédion : il s’agit du nom donné à un embryon calcifié issu d’une grossesse extra-utérine. Autrement dit, un foetus fossilisé qui n’a jamais été expulsé par sa génitrice… Doit-on comprendre avec ce titre que cet album est son enfant – de pierre – jamais sorti ?
« Je vous garde encore une petite semaine afin d’effectuer quelques analyses en plus. Je vous ai prescrit, en attendant, la mixtape QALF de Damso et Jackpot du groupe OPG. Je vous revois dans quelques heures. Reposez-vous, et à tout à l’heure« , peut-on entendre dès les premières notes de l’album. Une prescription assez logique puisque nous laissions Damso mal en point à la fin du dernier morceau de l’album précédent.
Le rappeur est donc de retour, ce vendredi 15 juin, avec dix-huit nouveaux morceaux (en comptant le titre « Ipséité », qui fait office de bonus track). Attention à ne surtout pas passer à côté du morceau « Humain », disponible uniquement sur la version CD (et non les plateformes comme Spotify ou Deezer) et sur le site Genius.
Côté prod, on retrouve DSK On The Beat, Benjay, Junior Alaprod, Ikaz Boi, Nk.F, Ponko, Pyroman ou encore le duo Twinsmatic, qu’on voyait dans le documentaire Damso – Au cœur du Lithopédion.
Le documentaire « Au coeur du Lithopédion » de Damso.
Pour son troisième album studio, Damso, habitué à faire cavalier seul, n’invite que l’artiste Angèle, que nous avions rencontrée en décembre 2017. Sa compatriote l’avait suivi durant sa tournée, assurant ses premières parties. Une relation privilégiée qui lui permet aujourd’hui d’être la seule conviée sur Lithopédion.
High Five : la chanteuse Angèle, en cinq questions.
À première écoute, le moins que l’on puisse dire, est que Lithopédion est un album travaillé au millimètre près. Rien d’étonnant venant de Damso, connu pour être un perfectionniste – notamment sur les instrus. Mais comme d’habitude, ce qui frappe sur ce troisième album, ce sont les paroles du rappeur. On savait que Damso était l’une des meilleures plumes du rap, mais on sent ici une réelle volonté d’aller encore plus loin dans l’écriture. Assonances à foison dans « Feu de bois », anti-thèses, jeux de mots (« Dix leurres » et « NMI ») : Damso s’est efforcé de faire de cet album – sans exagérer – une gifle littéraire qui nous assomme à grands coups de figures de style.
« Feu de bois, jeu de voix, suis-moi, je te veux pas, fuis-moi, je te veux toi / Feu de bois, jeu de trois, un des deux est de moi, un des trois est de nous, aidez-nous, aidez-moi / Feu de bois, jeu de bois, tu me dois, Dieu te voit, montre-moi que du doigt ce que t’as fait de moi / Creux de joie, que de rois, fée des bois, fais de moi ce qu’on a fait de toi »
Beaucoup de morceaux de cet album font écho à certains du précédent, Ipséité. « Même Issue » (dans le fond et la forme) nous rappelle « K. Kin la Belle », « Smog » nous renvoie à « Mwaka Moon » (la prod étant réalisée sur les deux titres par Pyroman) ou encore « William » (le prénom de Damso), qui serait la réponse à « Z. Kietu »… Presque comme si Lithopédion était la version Pokémon évolué d’Ipséité.
« Smog », le dernier clip de Damso avant la sortie de Lithopédion.
On retrouve sur ce nouvel album un Damso posé, plus calme – malgré une « Introduction » très violente –, plus concentré sur le fond et toujours aussi bon sur la forme. Rassurez-vous : le rappeur reste fidèle à lui-même avec des punchlines assassines comme on les aime…
« Quand j’parle liquide c’est pas la chatte grasse mouillée d’ta reum« . Damso, toujours aussi fin.
Comme nous, il y a des chances pour que vous trouviez que le morceau « Julien » est la plus grosse surprise de l’album. Un petit air bien entrainant – ambiance variété française – , un flow à la MC Solaar (voir Etienne Daho), jusqu’à ce que votre cerveau percute les paroles… Mais on ne vous en dit pas plus : on vous laisse découvrir vous-mêmes le génie de ce son, qui tiraille entre enjaillement et dégoût absolu… Un sentiment de répulsion extrême qui rappelle là encore un morceau de Ipséité, « Une âme pour deux ».
Au milieu des ambiances qui se succèdent sur l’album, on retiendra également l’exercice de style « Tard la nuit », dans lequel Damso articule – volontairement – très peu les paroles, nous entrainant dans l’atmosphère enfumée de sa fin de soirée. Une manière d’illustrer plus que jamais des rimes qui – disons-le – restent très obscures et décousues dans ce morceau.
Il nous faudra encore plusieurs écoutes pour percer tous les mystères de Lithopédion mais une chose est sûre : il s’agit déjà de l’un des disques les plus fascinants de cette année. Vous pouvez le retrouver sur toutes les plateformes de streaming en ligne et dans les bacs.