Mais c’est quoi le girl dinner qu’on voit partout sur les réseaux ? Un nouveau régime à la mode ? Une nouvelle expression de la gen Z ? Décryptage d'une trend qui glamourise finalement la précarité...
Cette trend du girl dinner, c’est l’influenceuse Olivia Maher qui en est à l’origine. Dans une vidéo TikTok, la jeune femme s’inspire des repas de paysans de l’époque médiévale : du pain, du fromage, du vin… (quand ils en avaient les moyens, c’est à dire quasiment jamais). Une révélation pour la jeune femme, elle a enfin trouvé son dîner de la flemme préféré. Et comme tout est beaucoup plus aesthetic avec le mot girl, c’est de cette manière qu’est né le “girl dinner”.
Les utilisateurs du réseau social chinois s’emparent de la vidéo et le girl dinner devient viral. La bande sonore à base de “girl dinner” a cappella qui tape sur le système a sa part de responsabilité. Tout le monde y va de son girl dinner, et les assiettes s’exhibent avec toujours le même schéma : des petites portions et la présence de fromage, charcuterie, pain et fruits.
Au fur et à mesure que la tendance grandit, les assiettes deviennent de moins en moins garnies. Quignon de pain, glaçons, cigarettes ou encore Coca Zéro sont devenus les dîners des internautes.
Une nostalgie des repas des mannequins des années 2000 façon héroïne chic ?
Pour certains, il s’agit d’humour, mais pour d’autres, les spécialistes se demandent s’il ne s’agit pas de troubles alimentaires.
Lorsque l’on sait que 56% des utilisateurs de TikTok sont des femmes et que 51,3% de ces utilisatrices ont entre 13 ans et 24 ans (Melwater, 2023), la viralité de cette tendance prend une tournure on-ne-peut-plus sérieuse. Une grande partie de cette audience faisant des études, il devient légitime de se demander si les étudiants, et dans notre cas les étudiantes, ne sont pas en fait les victimes de leur propre trend.
Les étudiants de plus en plus dans le besoin
Une étude menée par l’association Linkee révèle que 54% des jeunes interrogés sautent des repas pour des raisons financières, soit une augmentation de 9 points depuis 2022. L’inflation a entraîné des restrictions alimentaires chez de nombreux Français et les étudiants, premières victimes de la précarité, subissent de plein fouet la crise économique. Plus de sept étudiants sur dix (73%) ne peuvent pas s’acheter de viande et 37% ne peuvent pas acheter de fruits. Avec le girl dinner, il devient flagrant que les jeunes précaires ne mangent pas ce qu’ils veulent, mais plutôt ce qu’ils ont à leur disposition, c’est-à-dire pas grand chose la plupart du temps. En témoignent les longues files d’attente d’étudiants aux distributions d’aide alimentaire ou encore l’explosion de Too Good To Go, application qui permet de récupérer des paniers de courses d’invendus prêts de chez soi.
La quête de followers par la glorification de la précarité
De nombreux utilisateurs de TikTok dénoncent la romantisation de la pauvreté mise en place par la génération Z. Pour beaucoup, il ne s’agirait pas de “girl dinner”, mais plutôt de “poor dinner”. Les jeunes sont doués pour rire de leurs propres revers, surtout depuis l’arrivée de TikTok. Après tout, mieux vaut rire de ses malheurs plutôt que d’en pleurer, c’est ce que les tiktokeurs s’évertuent à faire durant leurs vidéos.
L’esthétisation de comportements liés à la pauvreté explose ces dernières années sur le réseau social, des jeunes exposent leur relevé bancaire (la plupart du temps en négatif) en mettant en avant le fait d’être en voyage, dans des restaurants hors de prix ou de s’acheter le dernier iPhone. Il y a aussi la trend du “Broke people should never laugh” où des tiktokeurs en train de rire et de profiter de la vie s’arrêtent après cette phrase tirée d’un live de la rappeuse Nicki Minaj.
Bien qu’il soit très intéressant de voir que les jeunes de cette génération ont de moins en moins peur d’assumer le fait qu’ils sont ric-rac à la fin du mois, il est inquiétant de voir que ces comportements à risque sont glorifiés sur TikTok. Dans des cas extrêmes, la trend peut inciter les jeunes à s’endetter ou à feindre le fait d’être pauvres afin de produire du contenu amusant sur la plateforme. Glamouriser le fait d’être précaire soulève un nouveau danger sur la consommation de la nouvelle génération, surtout à cette période économiquement rude.
Normaliser le fait d’être en galère, on aime. Rendre stylée la pauvreté, nous, on aime moins.