À quelques jours de son premier Trianon, Clique a rencontré Fakear dans les studios de Nowadays Records, à Paris.
Qui es-tu ?
Je suis Théo, ou Fakear. J’ai 23 ans. Je suis grand et barbu (rires). Je viens de Caen et je fais de la musique. J’en fais depuis que je suis né, mes parents étaient tous les deux profs de musique. J’ai joué de la guitare pendant longtemps, et quelques autres instruments. Au départ, je ne comptais pas du tout devenir professionnel, je me destinais à une carrière d’ingé-son.
L’un de mes amis de lycée, Gabriel – enfin, Superpoze – était déjà dans le milieu de la musique à Caen. Quand j’ai voulu commencer à faire de la scène, je me suis tourné vers lui. J’ai aussi tenté un concours, le Tremplin du Cargö, que j’ai gagné. C’est à partir de là que tout s’est déclenché.
C’est un peu un truc à deux en fait ?
Un petit peu, oui. On s’est séparés longtemps, on a été pris dans nos tournées respectives avant de se retrouver là, il y a peu de temps. Ces derniers temps, on se revoit beaucoup, on a des idées de projets ensemble. On verra où ça nous mène, mais quoiqu’il arrive je suis toujours resté en contact avec lui.
Comment définirais-tu ta musique ?
Je fais de la musique électronique. C’est assez hybride, c’est un mélange de plein de trucs que j’ai pu écouter depuis que je suis jeune. Quoiqu’il arrive, si à un moment donné on peut me ranger dans une case, je vais me démerder pour en sortir. L’important de toute façon, c’est de faire de jolies choses.
Il y a deux ans, Tsugi disait que 2013 était ton année. Depuis, l’engouement que tu suscites n’a pas l’air de s’être atténué. Qu’est-ce que ça fait, à 23 ans, d’avoir gagné une certaine légitimité en tant que musicien ?
C’est la question que je me pose tout le temps. Ça m’arrive souvent de me dire que je ne suis pas légitime. Quand je vois la beauté ou la technique des trucs de certains, je me dis « mais putain ». Récemment, à la suite d’un petit clash Internet, j’ai été soutenu par des artistes dont j’aime beaucoup le travail, comme Stwo ou Point Point. C’est fou d’avoir la reconnaissance des gens que tu estimes au niveau artistique. À partir du moment où on te considère légitime, ça te retire de la course au « like », au « follow ». Je me sens libéré de ce truc-là.
C’est-à-dire ?
Au départ tu as envie de faire ton trou, comme tout le monde. Poster un son sur Soundcloud, avoir des écoutes. C’est normal. N’importe qui joue d’abord, même parfois malgré soi, à accumuler les vues, avoir de la quantité.
L’enjeu, c’est d’être pérenne, et c’est le truc le plus compliqué du monde.
Ça arrive souvent qu’un mec fasse un million de vues sur un son, tout le monde se précipite sur lui et dit « ce mec, c’est le futur mec ». Trois mois plus tard, il n’existe plus.
Et l’envie de devenir extrêmement célèbre d’un coup, d’être une énorme star, ça ne t’es pas arrivé ?
Évidemment, cette tentation existe, mais ce n’est pas le plus important. Je m’en suis rendu compte cet été. J’étais tout le temps en tournée, j’ai joué le jeu à fond… et j’ai pété un plomb. Quand tout ça s’est soudain arrêté, je me suis posé et je me suis rendu compte que c’était pas ça, la vie. Dans ce milieu, tu fais des rencontres tout le temps, mais ces gens t’aiment pour ce que tu fais, pour ce que tu représentes, pas fondamentalement pour ce que tu es. L’essentiel, c’est de savoir garder la seconde catégorie, tes amis. Maintenant je me sens beaucoup plus serein vis-à-vis de ça.
Quand le morceau « La Lune Rousse » est sorti, est-ce que tu t’es immédiatement rendu compte de ce qu’il se passait ?
Au départ je suis plutôt rock. Je n’ai pas une grande culture en musique électronique. À ce moment-là, je n’avais pas d’idée de ce qui pouvait être un tube dans mon album ou pas. La Lune Rousse, qui est clairement le track qui m’a fait connaître, c’était vraiment un track B pour moi. Je ne voulais même pas le mettre dans mon album, Sauvage. Quand ça a super bien marché, Superpoze et moi on a décrypté ce truc-là.
On a pris le top 5 d’iTunes, les trucs les plus écoutés sur les chaînes YouTube, etc. Poum-clac, une petite guitare, une voix de meuf qui chante. Eh ben, la Lune Rousse, c’est Poum-Clac, une petit guitare, une voix de meuf qui chante. Ce morceau était pile dans l’air du temps. Comme l’ont diagnostiqué les Isaac Delusion
Si tu es honnête avec toi-même, tu fais ton truc, et il y a des moments comme ça où tu te cognes à la tendance.
Pour la Lune Rousse, je n’ai pas vu le truc venir. Je n’avais aucune conscience que ce que je faisais était complètement marqué dans le temps.
J’en déduis que ce n’est pas ton morceau préféré…
Pas du tout ! Ah ben non. Mon préféré c’est Darjeeling,ou Morning in Japan. De toute façon, maintenant que j’ai compris ce qui avait marché dans la Lune Rousse, je ne peux plus le faire. Tu tues ta créativité si tu suis tout le temps la même recette, parce que ta créativité bouge et évolue avec toi. Là où j’en suis maintenant, à faire autre chose, à prendre différents virage dans ma « carrière », entre guillemets, ce que je fais ne correspond plus du tout à ça.
Dire que tu es surtout en quête d’honnêteté, plus que d’être dans la « tendance », c’est à côté de la plaque ?
Non. C’est l’objectif que je me suis fixé, dès que ça a commencé un peu à monter, que j’ai commencé à voir le truc arriver. C’est d’être le plus honnête avec moi-même.
Pour l’instant, ça marche super bien, du coup c’est presque un peu facile de se positionner comme ça. Mais imaginons qu’un jour ça ne fonctionne plus ?
J’essaye de me convaincre tous les jours que cette notoriété, ce n’est pas normal. Quand tu y goûtes, c’est hyper cool. Superpoze m’avait dit ça il y a super longtemps : « il faut faire un choix entre ce qui te plaît vraiment et faire un truc qui va plaire aux gens ». J’ai choisi. Là j’ai de la chance, j’ai le vent dans le dos. S’il retombe, il retombera, mais si Fakear vaut vraiment un Trianon aujourd’hui, j’ai accompli ce que je voulais faire. C’est grâce mon public que je suis là, et je veux lui rendre tout cet amour. Mais je ne veux pas faire ce qu’il attend.
Fakear sera en concert le 7 février prochain au Trianon (Complet), le 25 avril au Printemps de Bourges et le 8 octobre à l’Olympia, à Paris.
Photographies © Julie Walser