L'artiste français, père de l'"Ignorant Style", sort un comic book et présente son premier clip d'animation.
Un jour, Fuzi a tatoué Scarlett Johansson. Leur rencontre, en 2013, lui a valu un coup de projecteur mondial, suscitant l’intérêt de publications internationales de haut vol comme Complex, et même celui du… Journal du Dimanche, pourtant peu friand de contre-cultures. Mais gare à ce que ce que ce buzz n’occulte pas le reste : sa carrière, initiée dans les années 90, est infiniment plus dense.
T-shirts, casquettes, livres, toiles, couvertures d’albums : Fuzi, qui habite aujourd’hui aux États-Unis, décline son art sur de nombreux supports. Jeudi, il fêtait à New York deux grandes premières : la sortie d’une bande-dessinée, Por$ha Martini, et celle d’un clip d’animation, « Canines & Cash ». Ce dernier, rythmé par le morceau « Blow A Check » du rappeur Zoey Dollaz, a été réalisé avec le concours de William Trebutien, spécialiste de l’animation et l’un des artisans de l’Âge de Glace 3, rencontré lors d’une séance de tatouage.
Canines & Cash from William TREBUTIEN on Vimeo, un film réalisé, précise Fuzi, « sans budget et sans équipe », juste pour « se faire plaisir, échanger et apprendre ».
Comme tous les personnages de ce comic book auto-édité, qui promet « un mix explosif de sexe et de violence », Por$ha Martini a les traits d’un chien. « Jeune, sexy et dangereuse », à l’étroit dans son job et étouffée par ses dettes, elle est surtout déterminée, sans peur, et croise le chemin d’une bonne fée un peu particulière, la « whore fairy » (on vous laisse la joie de la traduction).
Un jour, à bout de nerfs, elle poignarde un proxénète qui tente de la recruter. On la retrouve quelques pages plus tard à siroter des Martini dans une piscine, parangon de la vie de nouveau riche à laquelle elle aspirait.
Por$ha Martini reprend donc un thème cher à Fuzi, et en partie autobiographique : la rue et sa violence. Il y a vingt ans, il s’est lancé dans le graffiti sur les voies ferrées parisiennes, entre Saint-Lazare et Mantes-la-Jolie (il revient d’ailleurs sur cette période dans un livre, Ma ligne). À l’époque – tout ça commence en 1997 – son crew s’appelle les « UV TPK », pour « Ultra Violent – The Psychopathe Killer ». L’équipe est l’une des plus actives de la capitale, mais pas seulement d’un point de vue artistique : familiers du vandalisme et de la dépouille, ses membres se retrouvent bien vite dans le radar de la police. Cela n’empêche pas Fuzi de développer son ignorant style, un mélange d’humour noir et de fausse naïveté du trait.
En 2008, l’artiste, qui a déménagé à Perpignan, appose son univers à une discipline nouvelle, le tatouage. Fuzi le conçoit comme une performance artistique et se fixe trois règles cardinales : il ne tatoue que ses dessins, il ne réalise jamais deux fois le même motif. Et enfin, plutôt que de les exécuter en salon, il privilégie des lieux insolites. « J’ai notamment tatoué dans une église, des tunnels de métro, des toits d’immeubles », se souvient-il (s’il devait ne retenir qu’un seul de ces moments, ce serait, dit-il, « le jour où j’ai rencontré ma femme et que je l’ai emmenée la tatouer dans un dépôt de métros sous la capitale »). En peu de temps, les demandes affluent, et le joli panel de figures publiques qui lui confient leur peau (Diplo, Kavinsky, Justice…) élargit sa notoriété.
Aujourd’hui, Fuzi développe sa marque de vêtements, Ignorant People. Il vient de créer Ignorant Comix, une structure vouée à regrouper tous ses projets « cartoon ». Et demain ? Maintenant que son premier objectif – « voir mon univers graphique s’animer et de prouver aux gens que je pouvais aussi jouer dans cette cour » – est atteint, il souhaite collaborer avec des artistes pour créer de nouvelles bandes dessinées, et créer des figurines à partir de ses personnages. Et qui sait, bientôt, « convaincre des investisseurs pour faire un plus long métrage ».
Porsha Martini, 28 pages, éd. Ignorant Comix, 15 euros. En vente sur le site d’Ignorant People. Le livre inclut un tatouage éphémère.