La tragédie de Beaumont-sur-Oise et les suites de la mort d’Adama Traoré pourraient sûrement fournir matière à une série d’enfer. Hélas, ce n’est pas une fiction. C’est la réalité.
Voilà en tout cas à quoi la série en question pourrait bien ressembler.
« JUSTICE POUR ADAMA » (TITRE DE TRAVAIL).
PROJET DE SÉRIE
PRÉSENTATION ET NOTE D’INTENTION
TYPE DE PROGRAMME :
Adossée à un fait divers tristement représentatif survenu en juillet 2016, la série conjugue les codes de plusieurs genres (contre-enquête policière, thriller juridique et complot politique) pour in fine aboutir, un peu à la manière de David Simon (The Wire, Treme) ou Richard Price (The Night Of), à une radiographie de notre société et des dysfonctionnements de nos institutions.
POINT DE DÉPART, ARCHES NARRATIVES :
Une nuit d’été, en banlieue parisienne. Une opération de police qui tourne au drame. Suite à une méprise sur son identité, puis à ce qui semble assez indubitablement avoir constitué un usage excessif de la force, un jeune homme trouve la mort alors qu’il est appréhendé et malmené par trois gendarmes.
Scène primitive unique d’où tout part et à laquelle on reviendra sans cesse, au fil des témoignages et au gré de flashbacks évolutifs et divergents, chacun illustrant des versions parfois complémentaires, mais le plus souvent contradictoires, de la même séquence d’événements.
La série retrace donc les tentatives de la famille du défunt, aidée par ses conseils et, dans une moindre mesure par certains organes de presse, d’établir avec exactitude ce qui s’est passé lors de l’arrestation du jeune homme, et par quel enchaînement de circonstances et d’infractions au règlement il a pu trouver la mort.
Parallèlement, on détaille les efforts de dissimulation et d’intimidation déployés par les autorités (policières, judiciaires, politiques, aussi bien à l’échelon municipal que régional ou national) pour travestir la vérité et dissuader ceux qui s’obstinent à réclamer sa manifestation.
PERSONNAGES :
La sœur :
Sans qu’il s’agisse à proprement parler de l’ « héroïne » de ce dispositif narratif très « choral », comme on dit, le personnage de la sœur du défunt s’impose tout de même comme l’un des moteurs principaux du récit.
Le hasard veut que, dans la vraie vie, il s’agisse d’une jeune femme dotée d’un charisme peu commun. Charisme tel, d’ailleurs, que le casting de l’actrice qui devra jouer son rôle ne sera pas chose aisée. Il est à redouter que certains spectateurs la trouvent « trop belle », trop digne ou trop éloquente « pour être vraie ». Comment leur faire comprendre que dans son cas, la fiction court après la réalité et que l’actrice reste en deçà de son modèle.
Comprenons-nous bien : serait-elle disgracieuse que la douleur de cette jeune femme n’en serait pas moins sacrée. Un magnétisme moins impératif n’entamerait pas la légitimité et l’urgence de son combat. Mais on est comme on naît et il se trouve qu’elle est comme ça. Comme si la vie, par cruelle et perverse anticipation, l’avait prédisposée au rôle public qu’elle se retrouve aujourd’hui à endosser.
Hiératique et puissante sans pour autant cesser d’être naturelle, on l’a ainsi vue tenir, pendant près d’une demi heure d’interview avec Mouloud Achour, un discours extrêmement précis et articulé, attendant la toute fin pour trahir des signes de fatigue et commettre alors une ou deux fautes de grammaire vénielles, démontrant au passage qu’elle maitrise mieux le français que le tout-venant des hommes politiques « de souche », pourtant censément bardés de diplômes.
Les gendarmes :
Plus encore que dans une représentation de Guignol lyonnais, mécaniquement, ce sont eux qui se retrouvent à fournir les « méchants » de l’histoire, dès lors que c’est par eux que la violence et l’injustice arrivent.
Difficile à ce stade de l’écriture de s’inspirer des vrais, tant leur hiérarchie veille farouchement à ce que leurs identités ne soient pas connues. On en est donc réduit à imaginer trois gendarmes, ni meilleurs ni pires que d’autres.
A priori, aucun ne s’est levé le matin même en se jurant de finir la journée par l’asphyxie d’un innocent. Sans doute s’agit-il de jeunes hommes devenus gendarmes, soit par défaut dans un marché de l’emploi sinistré, soit peut être aussi un peu par vocation. Goût de la chose militaire, prestige de l’uniforme, mais aussi envie de servir la communauté. On peut concevoir qu’ils sont fiers de ce qu’ils font. Conscients d’être honnis, aussi bien par les jeunes « des quartiers » que par les Bobos « bien pensants » des centre-ville cossus. Mais aussi, réhabilités d’urgence, du moins par les seconds, dès que ça chie dans le ventilo : terrorisme et tueries jihadistes bien sûr. Mais aussi violences urbaines. Pas juste celles des « gentils » autonomes et black blocks altermondialistes. Celles des méchants « Identitaires » fachos ou des hooligans russes résolus à rejouer l’armée rouge dans Berlin à la faveur d’un match de foot.
Soyons fous. Parmi nos trois pandores, peut-être s’en trouve-t-il même qui sont entrés dans la carrière avec des illusions et de bonnes résolutions ? Peut-être les premiers temps essayaient-ils de communiquer « normalement » avec les habitants des banlieues dans lesquelles ils étaient appelés à intervenir ? Et puis l’usure, la fatigue : à force de se ramasser des machines à laver sur le coin de la cafetière et de s’entendre exhorter à aller sodomiser leurs génitrices, ils ont renoncé. Terminé. Dans une Cité, depuis, ils sont en « territoire indien » et chaque autochtone est a priori hostile. Pas de quartier, pas de détail, pas de différence puisqu’en plus, excuse moi, « ils se ressemblent tous ».
Donc ce soir-là, ils en ont après un Traoré. Ce n’est pas le bon ? Grouchy ? Blücher ? Ranafoutre : si ce n’est toi, c’est donc ton frère. Il fait chaud, ils sont fatigués, depuis des mois d’état d’urgence jumelé à l’Euro et tout le binz, ils ne touchent plus terre. Donc là, mon petit bonhomme, ils ne sont pas d’humeur à faire dans la dentelle, ni à ce qu’on les fasse chier. Le moindre mot, le moindre geste est assimilable à une rébellion et punissable comme tel. Respirer un peu fort peut relever d’un outrage dont on va vite te passer le goût. Dont acte. À trois sur ta cage thoracique ou assis sur ton dos pour t’aplatir les alvéoles, tu feras moins ta maline. Et là : oh putain, merde, dis donc. Mais il est mort, ce con. Alors là, vraiment, merci ! Il ne manquait plus que ça. Comme si la journée n’avait déjà pas été assez merdique ! En plus de tout le reste, il va falloir qu’on s’emmerde à brouiller les pistes et effacer les traces de notre bavure. Pff ! Et attends, tout ça sans pouvoir le déclarer en heures sup. Sérieux, il faut que ça s’arrête, leurs conneries, parce que nous, ce rythme-là, on ne va pas tenir.
Etc.
Attention, donc, dans la série, à ne pas en faire des brutes unidimensionnelles, mais à bien les laisser accéder au statut de personnage. Éclairer comment trois types, vraisemblablement normaux et décents au départ, se retrouvent à commettre un homicide en réunion et à entrainer la mort sans intention de la donner. Décliner de l’un à l’autre différents degrés de remords, de honte ou, au contraire, de déni et de sentiment d’impunité.
Le procureur :
Là encore, toute la difficulté, pour les scénaristes et le comédien qui héritera du personnage, consistera à ne pas se laisser contaminer par la nature toute caricaturale de la réalité.
En effet, le procureur, le vrai, propose une figure de « salaud » (sens sartrien) comme on n’oserait en principe pas en glisser dans une fiction, de peur que le spectateur ne sente alors son intelligence insultée par une caractérisation aussi grossière et refuse en représailles de suspendre plus avant son incrédulité.
Dans les faits, donc, le « vrai », d’un insensibilité totale au drame que traversent les proches du défunt, accable ce dernier, le calomnie, ment comme un arracheur de dents, quitte à se contredire d’un gros mytho à l’autre lorsqu’ il doit en changer, assénant bobards et diffamations avec un aplomb qui fait croire à un tempérament foncièrement amoral — ce qui tout de même fait désordre chez un magistrat censé dire et appliquer le droit.
Ses mensonges, d’ailleurs, s’avèrent si gros et sa partialité si patente que sa hiérarchie diagnostique vite la source d’emmerde possible et l’exfiltre au plus vite. De mauvaise grâce, quelques gages prudents et insuffisants sont alors donnés à la vérité par son remplaçant.
Note à tous : personnage donc à la fois capital et casse-gueule, tant la réalité y parodie sans finesse les fictions les plus paresseuses.
La maire :
Là encore, la « vraie vie » manque de subtilité et la production va avoir le plus grand mal à équilibrer un peu l’affrontement entre la sœur du défunt et la maire de la commune concernée, tant rien n’aide cette pauvre femme à exister dignement dans le mouvement du récit.
Déjà, l’élue l’a été sous l’imprécise couleur d’une sorte de non parti, l’un de ces groupuscules centristoïdes d’appoint, refuge des relégués des grandes structures, en constante recomposition « ni gauche ni droite », compromis et choses dues, toujours à marchander sa voix contre une investiture par charité. Autrement dit, en terme de swag, sans même l’avoir vue ou entendue, la pauvre maire part d’emblée avec un handicap. Mais s’il n’y avait que ça !
Car, on l’a dit, traits princiers et port d’Antigone du Neuf-Cinq, la sœur de la victime ne passe pas inaperçue. À l’inverse et sans vouloir reprocher aux gens leur physique ordinaire, impossible de ne pas s’aviser du décalage avec ce que dégage l’édile. Rien de remarquable dans sa physionomie ou son apparence. Sans son écharpe tricolore, nul n’ira se douter qu’elle a pu se faire élire, tant rien dans sa contenance n’inciterait au suffrage. À la bonne heure ! C’est qu’elle possède moult autres qualités, se dit-on. Pour avoir de la sorte emporté la conviction de ses concitoyens en dépit d’une aura qui déjoue les radars, c’est qu’elle doit donc être sacrément compétente, travailleuse et obsédée du bien commun.
Las ! Quelle mouche pique donc cette femme, qui a sûrement par ailleurs ses bons côtés, pour subitement s’avérer si insensible, si basse ? Comment les scénaristes vont–ils faire pour ne pas s’arrêter aux apparences proprement désastreuses qu’elle leur tend, presque comme un piège ? Comment lui laisser sa chance ? Car enfin, après la mort d’un de ses administrés, pas un mot de compassion pour le deuil. Pas une visite. Pas un coup de fil à la famille. A la place, une menace de papier bleu.
En effet, alors que tout le monde est occupé à plus grave et plus urgent, ne voilà-t-il pas que notre édile, bien sensible brusquement, se vexe et se sent « calomniée » — si ! — quand la sœur du mort l’accuse de faire corps avec les gendarmes. Susceptibilité et riposte procédurière, soit dit en passant, d’autant plus incongrues que l’assertion de la sœur est on ne peut plus exacte : l’élue a effectivement choisi de s’en tenir à la version initiale des gendarmes, version dont même les autorités judiciaires ont ensuite dû convenir qu’elle était erronée. C’est donc en l’occurrence la vérité qui blesse.
Mais, se voit-on alors tenté de dire, quand bien même ! Oui, quand bien même « insulte » il y aurait ! Son honneur est-il à ce point bafoué qu’il justifie d’en rajouter une couche sur la douleur de gens qui viennent d’enterrer fils et frère ? Au classement du malheur, a-t-elle vraiment le sentiment d’évoluer dans la même division qu’eux ?
Mesquinerie du reflexe, petitesse des façons, car en prime elle aimerait bien voir les frais de son assignation imputés au budget communal. Les AG municipales extraordinaires afférentes débouchent alors sur de nouveaux troubles, de nouvelles complications et, à se demander quand cela va s’arrêter pour cette malheureuse famille, l’arrestation et le placement en détention de deux des frères du défunt. Motif officieux de cet acharnement fourni lors de l’interpellation par l’un des gendarmes : leur sœur « fait trop de bruit ». Avec ses deux frangins en cage, peut-être en fera-t-elle « moins ».
C’est jusqu’à nouvel ordre mal la connaître.
Note au scénaristes : il faudrait un psychanalyste (ou un plombier) pour démêler au juste ce qui se faufile de ressentiment perso entre la blonde générique et la Noire subjugante. Donc surtout se tenir à l’écart de ce terrain glissant. Juste veiller à ce qu’à l’écran, le match ne vire pas illico à une battle jouée d’avance entre Patricia Kaas et Beyoncé.
Mais ça ne va pas être simple. Bon courage.
La famille :
Le spectateur n’a d’yeux que pour l’hypnotique « Sœur Courage », mais il y a aussi des frères.
On sait peu de choses d’eux. Il y a les tentatives des autorités pour les repeindre en fratrie de malfaiteurs endurcie dans le crime.
En face, évidemment, on minimise leur petite délinquance.
Au milieu, de fait, pour ce qu’on en comprend, on n’a guère l’impression de se retrouver en face des quatre frères Dalton ou du gang des barbares.
Clairement, certains d’entre eux ont, semble-t-il, comme on dit, « un peu merdé », fait « des petites conneries », comme on appelle ça. Mais en ce qui les concerne et contrairement aux gendarmes, il n’ y a pas mort d’homme non plus.
Et comme de juste, dans l’histoire, c’est sur le plus irréprochable du lot que la foudre (et le poids de trois gendarmes) s’abattent.
À y bien réfléchir, le malheureux asphyxié est peut être mort de ça : de la légèreté de son casier qui lui a inspiré la « mauvaise » attitude, celle d’un citoyen qui s’estime injustement traité. De s’être senti innocent, donc dans son droit, l’imprudent s’est cru habilité à protester, réclamer des égards, le respect de la loi. Misère de nous ! Que n’a-t-il pas fait là. Deux secondes plus tard, ils étaient trois gaillards assis où il respire jusqu’à ce que mort, la sienne, s’ensuive.
Là aussi, il faudra aux scénaristes beaucoup d’habilité pour ne pas donner au spectateur l’impression d’un cliché ou d’une mièvrerie téléphonée (« comme par hasard, c’est çui qui n’a rien fait qui paye. A d’autres ! On veut m’apitoyer ! »), quand bien même c’est la vérité vraie et que le mort n’était effectivement ce soir-là coupable de rien. L’eut-il été de quelque chose, d’ailleurs, que ça ne justifiait pas d’être étouffé pour autant. Aux dernières nouvelles, la peine de mort est toujours abolie en France.
Bref, il ne s’agit pas de salir à plaisir sa mémoire, mais, idéalement, il faudrait voir à ne pas trop en faire la maman de Bambi non plus, sans quoi le spectateur risque vite de décrocher en râlant qu’on se fout de sa gueule.
DÉNOUEMENT, SUSPENSE, CLIFFHANGER, FIN DE SAISON
A ce stade, il n’a pas encore été décidé comment la première saison pourrait finir. Plusieurs options narratives sont possibles, à l’exception bien sûr d’un happy end où justice serait faite. Une telle fin, trop invraisemblable, provoquerait immanquablement un rejet du public.
A partir de là, que faire sinon attendre de pouvoir mesurer « sur pièce » quels seront le cynisme des conclusions de l’enquête ou l’iniquité du procès s’il s’en tient un jour.
Quid ensuite des réactions des populations concernées et solidaires, à la suite de l’affront qu’un déni de justice leur donnera le sentiment d’essuyer ?
L’inconnue, à ce stade, réside dans la capacité (ou non) du gouvernement à s’aviser enfin de la dangerosité du dossier et intervenir à temps pour désamorcer ce qui pourrait sans cela devenir une affaire d’État.
Quant aux scénaristes, redisons-le, entre autres écueils et difficultés, tout l’art va consister pour eux à réintroduire un peu de nuance et de complexité dans le jeu narratif, dès lors que la matière factuelle dont ils sont censés s’inspirer affiche en l’état un manichéisme rarement rencontré dans la réalité.
Le paradoxe étant alors que le spectateur ne supporterait pas de voir à la télévision des gentilles victimes et des méchants bourreaux aussi éhontément désignés et distinctement délimités, alors que le citoyen, lui, s’en accommode dans la vrai vie avec résignation — la preuve !
Mais c’est un autre débat.
Pour toute question complémentaire sur le projet, contacter :
Laurent Chalumeau.