À 45 ans et après vingt ans de réclusion à la prison pour femmes de l’Indiana, Michelle Jones s’apprête à faire sa rentrée au sein de l’Université de New-York pour y préparer son doctorat.
Il est rare que les rédemptions s’accompagnent de réussite et d’excellence académique. C’est le cas de Michelle Jones, dont on peut parier que l’histoire en inspirera beaucoup (notamment à Hollywood).
Enceinte à 14 ans après un rapport sexuel non consenti avec un élève de son lycée, la jeune Américaine doit faire face aux violences de sa mère qui la frappe à de nombreuses reprises, notamment à l’estomac. Commence alors la descente aux enfers pour Michelle Jones qui, alors qu’elle est enceinte, va être déplacée de foyers en famille d’accueil. Une situation qui va la pousser à bout psychologiquement, et qui l’amène à commettre l’irréparable : en 1992, elle tue son fils Brandon, alors âgé de quatre ans.
En 1996, la jeune femme entre dans la prison pour femmes de l’Indiana, après avoir été condamnée à une peine de cinquante ans pour le meurtre de son enfant.
Alors qu’elle aurait pu basculer vers la violence et la névrose dans l’univers carcéral, Michelle Jones a retrouvé un équilibre en travaillant au sein de la bibliothèque de droit de la prison. Un environnement au sein duquel la prisonnière s’adapte parfaitement, à tel point qu’elle obtient en cinq ans son diplôme de juriste en 2004, grâce à des équivalences obtenues à l’Université d’Indiana et de Ball State.
« Je me suis engagée envers moi-même et mon fils : pour le temps qu’il me reste à vivre, je mènerai une vie de rédemption faite de service et de valeur pour les autres. » – Michelle Jones.
Mais c’est grâce à une rencontre que Michelle Jones se lance dans la recherche en sciences sociales et notamment en « études américaines ». En 2012, Kelsey Kauffman, professeure venue faire du volontariat au sein de la maison d’arrêt, propose à Michelle Jones et ses co-détenues de faire des recherches sur les origines de leur établissement, ouvert depuis 1873.
Michelle Jones photographiée par Andrew Spear avant sa rentrée.
Quelques mois et des dizaines d’ouvrages commandés plus tard, Michelle Jones -guidée par Kelsey Kauffman- découvre l’existence d’une pratique méconnue en Indiana concernant les prostituées. Ces dernières étaient mises à l’écart des autres détenues et récupérées, à cette époque, par un couvent religieux (il y en avait une trentaine dans tous les États-Unis). De nombreux abus avaient été répertoriés dans ces institutions d’origine irlandaise.
Sans connexion internet – la détenue demandait des impressions de chaque article dont elle avait besoin – les résultats des recherches de Jones ont été publiés dans le journal académique de l’Indiana, et la chercheuse s’est vue remettre le prix de la meilleure publication historique de l’année 2014.
En continuant ses recherches sur les abus touchant les premières détenues, l’Américaine est devenue spécialiste de la question et a très rapidement dû enchaîner les publications ainsi que les vidéo-conférences.
« La Duchesse de Springtown », une pièce écrite par Michelle Jones à l’intérieur de la prison pour femmes de l’Indiana. © Andrew Spear.
En parallèle de sa boulimie scientifique, Michelle Jones impressionne aussi par sa capacité d’auteur : pendant sa peine, elle a écrit de nombreux spectacles de danse ainsi que des pièces de théâtre, dont l’une va se jouer au Phoenix Theater d’Indianapolis en décembre prochain.
Malgré tout, la trajectoire de Jones connaît des embûches révélatrices des difficultés de réinsertion des ancien.nes détenu.es.
Harvard a récemment accepté de sélectionner la jeune femme dans son programme d’études américaines… avant de se rétracter à la dernière minute. Un refus qui s’est basé sur des critères moraux et non-académiques qui a provoqué un intense débat au sein de la communauté pédagogique de la meilleure université du monde. L’université de Yale a d’ailleurs suivi le mouvement.
« On savait que tout le monde pouvait voir son passé sur Google, et Fox News aurait dit qu’Harvard et son ‘politiquement correct’ avaient donné 200 000 dollars pour financer une meurtrière d’enfant, qui en plus appartient à une minorité. Enfin, vous voyez… » – John Stauffer, professeur à Harvard.
Après avoir vu sa demande de remise de peine acceptée, Michelle Jones est sortie de prison en août dernier, deux mois avant la date prévue : à 45 ans, l’ex-détenue a finalement été acceptée à l’université NYU (New York University) pour y mener un doctorat en études américaines.
« Oubliez Harvard, j’ai été diplômée de la plus dure école qui existe… » – Michelle Jones.
Photographie à la Une © Andrew Spear.