Après avoir séduit un large public avec ses envolées vocales et sa science de la mélodie solaire, le rappeur de Meaux a disparu il y a de ça plus d’un an, sans laisser aucune nouvelle. Revenu avec “Un dimanche” en octobre, single introspectif empreint d’un jeu de rôle à double personnalité, tout porte à croire que l’artiste a révolutionné sa musique pour proposer un premier album déroutant. Rencontre-interview avec le tout nouveau Chanceko.
Comment tu te sens à l’approche de la sortie de ce premier album ?
J’ai hâte, mais en même temps je n’y pense pas plus que ça. Je suis conditionné depuis un moment, ça fait un an que les morceaux sont finis, que j’ai l’univers visuel, que le projet a cette forme-là. J’ai hâte de dévoiler ça au grand public.
« Après la sortie de ma première mixtape Malaboy en 2021, j’ai fait comme un burn-out je pense. »
Tu avais disparu depuis plus d’un an, pourquoi cela ?
J’ai disparu après ma dernière date en juillet 2022. À partir de là, je n’ai plus donné signe de vie. Ça faisait un moment que j’y pensais, après la sortie de ma première mixtape Malaboy en 2021 j’ai fait comme un burn-out je pense. Le mot est peut-être fort, mais j’avais besoin de me détacher de la musique parce que j’étais rentré dans une dynamique qui n’était plus saine. Il y avait beaucoup d’enjeux autour de moi pendant un an, tout devait aller trop vite à cause de ma signature en label, chez Parlophone. Je n’étais plus maître de ce que je faisais, ça m’a dégoûté. Je fais de la musique depuis mes 10 ans. À cet âge-là, je ne rappais pas parce qu’il fallait réussir tel ou tel objectif. Je rentrais des cours, je prenais un stylo, une feuille, j’écrivais, puis je le faisais écouter à mon frère et à ma mère, on était contents et c’est tout. C’est ce que j’ai voulu retrouver, j’étais dans cette quête d’innocence durant mon absence.
« Je n’ai plus de pression, je peux faire ce qui me plaît. »
Comment tu as réussi à aller mieux ?
J’ai juste eu envie de m’amuser, sortir, passer du bon temps avec mes amis, aller en vacances, sans penser à la musique. Tu as ce moment d’euphorie quand tu montes, puis tu prends du recul en te demandant pourquoi tu fais tout ça, pourquoi tu prends ce rythme, à quoi ça rime. C’est là que tu vois les vrais maux. J’ai créé mon label, La Chance Musique, aujourd’hui je peux décider de tout, en indépendant. Je n’ai plus de pression, je peux faire ce qui me plaît.
C’est fou de déjà ressentir une telle pression de la part de l’industrie en tant que jeune artiste…
Je pense que c’est surtout au début. C’est comme quand tu construis une maison, si tes fondations ne sont pas bonnes, ta maison va se bousiller en peu de temps. C’est pareil avec la musique, dès le début beaucoup veulent te mettre le grappin dessus car les gens sont là par intérêt avant tout. Dans la musique il y a les passionnés et les businessmen, il faut faire attention à ça. Je suis quelqu’un de sincère, et quand tu vois que ça n’est pas la même chose pour les personnes en face de toi, ça t’atteint. Quand tu commences à prendre du temps pour prendre soin de toi, soin de ta mère, de tes petits frères, de ta copine, les gens changent.
« Je pense qu’il y avait aussi un petit acte de rébellion dans ce titre. »
Pourquoi ce nom d’album “La voix dans ma tête”, sa création t’a rendu fou ?
Même pas. Ce titre, c’est la voix dans ma tête qui me l’a dit, ça n’a même pas été une grosse réflexion. Je sais que les gens attendaient que je sois solaire, souriant, alors que moi aussi j’ai vécu des moments tristes dans ma vie. Je pense qu’il y avait aussi un petit acte de rébellion dans ce titre. Ça ne sert à rien de prévoir mon prochain mouvement, je ne veux pas être là où on veut que je sois.
Il y a deux personnages qui reviennent dans cet album, Chance et Lucky, peux-tu m’expliquer qui ils sont pour toi ?
Pour moi, Chance c’est cette personne innocente qui a de l’amour à partager, qui est ouvert aux gens, qui fait les choses de bon cœur, qui est honnête avec lui-même et sincère dans tout ce qu’il fait. Il est aussi très sensible à tout ce qu’il se passe autour de lui, et peut être affecté par son environnement. Lucky, lui, il a plus de fierté, il est plus extraverti, pas arrogant mais presque. Les deux sont complémentaires.
« Si je crée un album avec des personnages, comme n’importe quel réalisateur, il faut aller jusqu’au bout. »
Pourquoi as-tu eu envie de les nommer ?
Pendant tout le processus créatif, j’ai voulu aller au bout de ce que je faisais. J’ai fait 15 morceaux et pas plus. J’ai mis trois mois à en finir certains, je suis revenu un an plus tard sur d’autres. Je trouvais ça logique de rendre un produit fini en allant jusqu’au bout de l’histoire. C’est comme si tu jouais à un jeu vidéo, tu vois plein de bâtiments et plein de voitures mais une fois que tu veux rentrer dedans tu ne peux pas, ça perdrait tout son sens. Si je crée un album avec des personnages, comme n’importe quel réalisateur, il faut aller jusqu’au bout.
Chance et Lucky, ce sont donc des personnages de fiction ?
Non, ils sont en moi. Ce n’est pas vraiment de la fiction, je me suis beaucoup inspiré de ma vie, je me suis mis en scène. Tout est typiquement moi, mais de ça j’ai essayé d’en tirer un univers. À quoi peut ressembler Chance ? Comment il s’habille ? Quelle est sa personnalité ? Le vert peut être une bonne couleur pour lui, il porte des vêtements bien cintrés, il est élégant. À l’inverse Lucky qu’est-ce qui peut bien représenter son extravagance ? La couleur rouge par exemple, quand tu le vois, tu ne le rates pas.
« Je n’avais plus à avoir peur car si toute ma vie j’ai fait de la musique, c’était pour ça. »
Un premier album, c’est beaucoup de pression. À quel moment tu t’es dis que tu étais prêt à le sortir ?
C’est quand j’ai gagné de la confiance en moi. J’ai senti que j’étais prêt parce que je n’avais plus aucune honte. Je n’avais plus à avoir peur car si toute ma vie j’ai fait de la musique, c’était pour ça. J’ai compris que rien ne pouvait déterminer le bon moment pour sortir un album, sauf moi-même.
Dans cet album, tu ne poses quasiment plus sur de la trap par exemple. Tu as envie de passer à autre chose ?
Pas du tout ! C’est drôle que tu dises ça car je trouve que c’est sur ce projet que je me rapproche le plus du rap. Tous les sons de l’album je peux les interpréter a cappella sans faire une voix aiguë. Je me suis vraiment inspiré du rap, j’aime trop ça. Je me suis inspiré de Jay-Z, Kanye West, le Wu-Tang, NTM… Musicalement, j’ai écouté beaucoup de grande musique. Que ça soit du Fela Kuti, Stevie Wonder, Erykah Badu, Beyoncé, Michael Jackson… La voix dans ma tête, c’est eux. C’est grâce à eux que j’ai pu atteindre une telle précision. Je suis rentré au bled récemment, ça m’a inspiré aussi. Je suis Centrafricain, et j’étais vraiment dans cette conquête de connaître mes racines, savoir d’où je viens comprendre d’où vient ma musicalité etc…Comme la Centrafrique est collée au Congo, on a beaucoup d’influences similaires dans les rythmiques, les mélodies etc. Pendant tout le processus créatif, je tenais à créer quelque chose qui est pur qui a de l’âme. Ce qui m’a beaucoup plu dans la musique centrafricaine c’est qu’ils font ça avec des bouts de ficelle. Ils font eux-même leurs amplificateurs de son en raccommodant plein de choses, ils utilisent des micros qui saturent, tout ça fait la richesse de la musique et son identité. Dans mon projet j’ai voulu retranscrire ça. Parfois je tenais le micro dans la main, je posais derrière le micro, quand on entendait du bruit derrière je tenais à ce qu’on le garde, je voulais que ça sonne brut, naturel.
« C’est notre parole qui nous définit. Sans ça, je ne serai qu’une apparence. »
Le rap, c’est aussi la science de la parole, chose qui était secondaire pour toi avant. Ça a changé ?
Oui. Le pouvoir des mots, c’est important. C’est important de pouvoir exprimer toutes les émotions, tous les ressentis. Tout simplement, c’est notre parole qui nous définit. Sans ça, je ne serai qu’une apparence.
Sur cet album, tu fais le chef d’orchestre. Pourquoi avoir voulu se rapprocher d’une musicalité très organique, entouré de musiciens de studio ?
Avant même la musique, je voulais me rapprocher de personnes différentes par rapport aux personnes que je fréquentais avant. Je voulais des gens amoureux de la musique, pas ceux qui sont là pour l’argent. Quand tu rencontres des personnes sincères et qui ont bon fond, la musique qui en ressortira aura les mêmes intentions.
« Quand tu te dis que tu es trop fort, tu vas juste stagner. »
Qu’est-ce que ces personnes ont changé dans ta manière de créer de la musique ?
Ils ont cette innocence d’un musicien. Même s’ils sont archi forts, ils peuvent douter de ce qu’ils font. Je pense que cette remise en question perpétuelle fait que l’on se rapproche de la perfection. Quand tu te dis que tu es trop fort, tu vas juste stagner. Ils s’inspirent de choses très différentes que la trap, le hip-hop, ils ont une autre manière de voir les choses. En plus de tout ça, ils arrivent à faire de toutes mes idées une réalité.
Pour toi aussi la remise en question c’est quelque chose d’essentiel ?
Absolument, c’est ça qui te fait aller plus loin. Questionner ce que tu fais, ne pas avoir honte d’admettre que tu es parti dans la mauvaise direction, et apprendre de cette expérience. Je n’ai jamais eu peur de me réinventer, de faire table rase et de repartir de rien. Par exemple, avant je faisais des teintures blondes, et là ça fait plusieurs années que je me laisse pousser les cheveux, ou même je m’habille totalement différemment. La vie est faite d’expérimentations, c’est essentiel.
« C’est Josman qui m’a redonné envie de faire de la musique. »
Au-delà des collaborations purement instrumentales, tu feat avec de gros noms sur cet album, je pense notamment à Josman. C’est une collaboration que tu attendais particulièrement ?
Tout s’est fait naturellement. Au-delà de la musique, c’est l’âme de la personne que j’aime, c’est la personnalité et la bienveillance qui m’a charmé. C’est Josman qui m’a redonné envie de faire de la musique après Malaboy, via ses morceaux. Je suis parti réécouter des anciens sons, j’ai capté qu’il voulait juste rester lui-même, faire les choses à sa manière. J’étais dans une course qui n’était pas la bonne, et en écoutant un artiste comme ça, j’ai compris que moi aussi je voulais juste prendre du plaisir. Le feat en est devenu très symbolique. Quand on s’est rencontré, je lui ai expliqué tout ça, il était surpris.
Concernant Jazzy Bazz, tu lui offres totalement le morceau , il est le seul à poser dessus. C’est un choix rare, pourquoi tu as voulu faire ça ?
Parce que j’adore comment il s’exprime. Notre relation a commencé au moment de Malaboy, je lui avais fait écouter le projet. Il commentait tout, il donnait son avis, il me conseillait de façon juste bienveillante. Lui aussi traversait une période de doutes, de questionnement. Quelques mois plus tard, il m’a envoyé un message dès que le projet est sorti, le soir même, pour me féliciter. Il prenait vraiment les choses à coeur alors que je n’avais rien demandé. Ensuite je le vois sortir son album Memoria et je vois qu’il dead ça j’étais trop content pour lui ! Donc naturellement, je lui donne rendez-vous en septembre de l’année dernière pour lui faire écouter mon album. Je lui ai parlé de l’idée que j’avais, que je voulais qu’il donne son point de vue de l’histoire, avec ses propres mots. Quand je lui ai proposé ça il était ravi, heureux que ça change des feats classiques. J’avais une note dans mon téléphone que j’avais écrite cinq jours plus tôt où je développais la psychologie des personnages de l’album, il en a repris certaines phrases. Il a tellement bossé dessus, c’est une dissertation ce qu’il a fait, c’est un tueur ! Il m’a dit que quand il dormait parfois il se réveillait, il réfléchissait au texte, il re-écrivait sur son téléphone, il changeait des phrases, il m’a vraiment honoré, c’était incroyable. Je pourrais carrément faire une autre interview rien que sur Jazzy Bazz ! (rires)
J’ai lu quelque part que tu faisais écouter tes morceaux en avant-première à ta mère et à tes frères, ils ont écouté l’album ?
J’ai fait écouter à peu de personnes ce projet-là, tout le monde va découvrir en même temps. J’ai juste fait écouter trois sons à ma mère, mais je parlais beaucoup de cet album, juste pour voir comment ils voyaient les choses. Mon petit frère qui a eu 9 ans dernièrement m’a d’ailleurs beaucoup aidé dans sa conception. On a dessiné des choses ensemble, en lui demandant ce que c’était la voix dans sa tête. Parfois il me disait des choses très cohérentes, on utilisait la colorimétrie du projet, il faisait des dessins en utilisant le rouge le noir et le vert, ça m’a beaucoup aidé. Mon autre petit frère m’a beaucoup aidé pour le clip de “Un dimanche” car il a cette innocence qui fait qu’il dit les choses sans filtre. On a fait beaucoup de versions du clip, et il n’en comprenait pas le sens. Moi, c’est pour eux que je fais de la musique, si ils ne comprennent pas, ça ne sert à rien de s’aventurer.
« J’en serai toujours fier, c’est mon premier album et il va perdurer dans le temps, je le sais. »
Tu détestes être catégorisé, et tu n’aimes pas qu’on te rattache à un projet précis. Ça sera le cas aussi pour “La voix dans ma tête” ?
Non, je vais prendre le temps avec ce projet. Cet album, c’est ma personne. Je l’ai fait dans mon intimité, avec les personnes que j’aime le plus au monde, je suis fier de chaque élément, tout a été pensé le plus sincèrement du monde. J’ai tenu à ce que l’identité de ce projet ne se perde pas, pour ça que j’ai été très sélectif avec qui je voulais travailler, avec les personnes qui l’ont écouté, pour ne rien dénaturer. J’en serai toujours fier, c’est mon premier album et il va perdurer dans le temps, je le sais.
Dernière question traditionnelle, quelle est ta définition d’une clique ?
Pour moi, c’est ma famille. En fait, je dirais même que ta clique ne peut être qu’une seule personne. À partir du moment où tu te sens couvert d’amour, ou protégé, dans un environnement sain, c’est là où tu sais quelle est ta clique. Mes petits frères, c’est ma clique parce que quand ça allait mal, c’est leur amour qui m’a permis de me relever.
Cyprien Joly