« Une Folle Envie de vous revoir » est un feuilleton littéraire co-signé par Claire Lamotte et Adeline Grais-Cernea.
En voici le 4ème épisode et si jamais vous avez loupé le début vous pouvez cliquer ici pour 1er, ici pour le 2ème et ici pour le 3ème !
Épisode 4 – VENDREDI 17 MAI
Bernadette Manchin, retraitée
Bernadette a des habitudes. En fait, elle a des T.O.Cs qu’elle est la seule à considérer comme des habitudes et cela fait bien 50 ans que ça dure, mais rien à faire, elle ne l’admet pas ainsi.
Tous les jours elle va “saluer” les arbres de son jardin. Elle en a 3. Un abricotier, un cerisier et un noisetier. Elle se plante devant eux, toujours dans le même ordre, et pose délicatement la paume de sa main droite sur les troncs. Éprouvant l’écorce un moment, elle lâche alors un : « Bonjour, toi ! », qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige, ou qu’elle ait une jambe dans le plâtre.
Quand ses amies et voisines lui disent qu’il s’agit d’un trouble obsessionnel, elle répond fièrement que c’est juste une marque de respect, qu’elle n’y peut rien si personne n’aime la nature autant qu’elle et on la croirait presque si ses “habitudes” s’arrêtaient là. Mais non : chaque jour du mois a pour Bernadette un rôle bien précis. Le samedi, elle se purge et ne boit que des litres d’eau dilués dans de la Jouvence de l’Abbé Soury. Le dimanche, elle reçoit son fils et qu’il ne lui vienne même pas en tête d’annuler ou d’arriver en retard à celui-là ! Le lundi, elle va chez le coiffeur. Le matin, elle se fait couper les cheveux, puis coiffer. Jusque là rien d’anormal, sauf qu’elle y retourne tous les lundis après-midi pour arranger le coiffage qui lui déplaît quelque peu. Les coiffeuses sont habituées, cela fait 20 ans que ça dure, et toutes les générations d’employées au salon se refilent l’information. Le mardi, elle va à la Mairie. Elle n’y a strictement rien à faire de particulier, mais elle y va. Selon elle, dans la nuit d’un lundi au mardi, elle aurait un jour rêvé que la Mairie avait disparu, et prenant ce songe comme un oracle, il lui fallait alors vérifier régulièrement si la prophétie s’était accomplie, même si le rêve datait de 1978 et que depuis, si la Mairie avait un jour disparu, c’était sous une bâche et juste le temps d’un ravalement en octobre 1995. Le mercredi, elle reste au lit. Toute la journée. Et relit inlassablement le même livre : Un Cri dans la nuit, fameux roman de Mary Higgins Clark sorti en 1982.
Le jeudi, elle prépare de la soupe pour toute la semaine. Hmmm ok, sauf qu’elle ne mange pas de soupe, elle déteste ça, même. Enfin le vendredi, elle se rend au cimetière pour visiter feu son époux, mort depuis maintenant 18 ans.
Autrefois, le vendredi c’était son jour de couture, elle confectionnait des vêtements pour poupées et les entassait dans un coffre, au grenier, n’ayant jamais eu de petite fille à qui les offrir… mais depuis la mort de Claude, il avait fallu trouver un créneau et débloquer une journée pour aller apaiser l’esprit de son mari et les poupées imaginaires avaient malheureusement dû encaisser le coup.
Dans ce planning strict et très chargé, il y a une activité mensuelle que Bernadette Manchin n’a pu se résoudre à arrêter, même si aujourd’hui, elle n’a plus grande utilité… (en même temps, est-ce que le reste en a ?…). Tous les premiers vendredis du mois, elle se rend à Paris, au Marché Saint-Pierre, célèbre et grand commerce de tissus en tout genre. Là, elle choisit de nouvelles étoffes, sélectionne quelques couleurs de fil à broder, quelques pelotes de laine et repart ainsi tous les mois avec un sac rempli à ras bord de choses dont elle a besoin pour ne plus coudre ses habits de poupée. Oui. Cela n’a aucun sens, mais à ses yeux, c’est très important. Moins important cependant que d’arriver à l’heure. Tous les mois, il faut absolument que Madame Manchin arrive devant le Sacré-Cœur au moment même où les casernes parisiennes testent leurs grandes sirènes, quitte à partir parfois deux heures plus tôt selon les informations de la SNCF. Elle marque alors un stop devant la basilique, prend une grande inspiration et se dirige ensuite vers le marché. La vie est ainsi bien rôdée et pourquoi parler de T.O.C quand on peut tout simplement parler d’organisation.
À part cela, c’est une femme très gentille et très sympathique, il faut le souligner.
Après un changement à Charles de Gaulle Étoile, Bernadette s’engouffre dans ce couloir qu’elle connaît bien et qui mène à la ligne 2 du métro. Par chance elle trouve une place dans le wagon et attrape un Ce Matin qui traîne sur un siège, pas loin. Elle traverse le 17ème et lit les actualités, s’arrête à la Place de Clichy et s’intéresse à la critique d’une pièce de théâtre qu’elle n’ira pour autant jamais voir. Nostalgique, elle hésite toujours à sortir à la station Blanche pour voir Le Moulin Rouge. Elle y dansait il y a longtemps… Mais hors de question ! Cela ne fait pas du tout partie du plan ! Elle arrive à la page des petites annonces tout en passant par Pigalle et pense alors à son fils qui habite rue André Antoine.
« Maman ne t’inquiète plus, je sais tout et je te pardonne. »
Elle relit la phrase au moins trois fois. Esquisse un sourire tout en levant les yeux au ciel.
« Parlons-en dimanche ».
Son visage devient alors très neutre. Comme si elle posait pour une photo d’identité. Elle fronce les sourcils et sort à Anvers où elle s’empresse de grimper rue de Steinkerque pour arriver alors pile poil devant le Sacré Cœur au moment précis où la sirène retentit. Bernadette n’est pas tranquille. Il lui paraît impossible que son fils ait pu écrire cette annonce, et pourtant, est-ce le fait qu’elle ait pensé à lui quelques secondes avant de lire le message qui la titille à ce point ?
Il y a beaucoup de monde ce midi, et la pauvre femme n’arrive pas à se concentrer, ni à se frayer un chemin parmi les autres passionnées de couture qui campent devant chaque bac. Elle marche. Parcourt les étages de long en large, plusieurs fois de suite, même. Comment aurait-il pu découvrir la vérité de toute façon ? Pourquoi là tout d’un coup ? Parlons-en dimanche… Beaucoup de gens rendent visite à leur mère le dimanche… Et beaucoup de gens ont des secrets. Comme beaucoup de gens ont des mères. Finalement, cela faisait beaucoup trop de “beaucoup” pour qu’il n’y ait, ne serait-ce qu’une petite chance qu’Étienne ait écrit cette annonce… De toute façon, ça ne colle pas. Assurément.
S’il a appris la vérité, ce n’est certainement pas via un vieux canard de métro qu’il aurait essayé de m’en parler, se dit Bernadette qui vient de se réfugier contre une vitre du magasin au 2ème étage. Elle regarde la butte Montmartre. Les rochers. Les chats. Elle adore les chats. Elle adore les chiens aussi !
« Je ne vois pas comment…. », marmonne-t-elle.
Étienne habite le quartier et travaille aussi dans le coin.
Il est manager des hôtes et hôtesses de caisses chez Franprix. De l’autre côté de la butte, rue du Poteau.
Bernadette bouillonne. Elle voudrait se ressaisir et faire comme si de rien n’était, mais c’est plus fort qu’elle. Elle doit savoir. Pour la première fois depuis des années, Bernadette n’achète rien au Marché Saint Pierre. Devant la porte du grand magasin, elle marque un temps d’arrêt : elle ne connaît pas les horaires d’Étienne et pour cause, ils changent sans arrêt ! Un coup il est du matin, puis le soir, il fait des coupures, travaille le week-end ou seulement trois jours par semaine… elle n’y a jamais rien compris ! Est-il chez lui ? Est-il au supermarché ? Est-il seulement dans un de ces deux endroits… ? Bernadette n’est pas très moderne. Toute sa vie, elle a fait sans technologie d’aucune sorte et quand les téléphones portables sont apparus, l’idée ne l’a pas du tout amusée pour un sou. De toute façon, elle n’a jamais eu besoin d’appeler qui que ce soit hors de chez elle, son emploi du temps bien rôdé ne le nécessitant pas du tout. Que choisir ? Où débarquer ? L’appartement paraît plus indiqué.
Elle remonte d’un pas bien dynamique la rue Tardieu, puis la rue Yvonne le Tac, ça pour sûr, elle connaît bien le quartier pour y avoir habité les 27 premières années de sa vie. Un quartier de famille, avant que son Claude la persuade de s’installer avec lui en banlieue et de devenir mère au foyer. Elle tombe ainsi sur la rue des Abbesses, et bifurque à gauche par le petit escalier descendant le long du café Saint-Jean. Elle y va doucement, car malgré tout, elle est vieille et elle le sait ! Elle serpente dans la petite rue pavée, salue un travesti parfaitement apprêté et arrive devant le numéro 13 de la rue André Antoine. De son portefeuille, elle extirpe le bout de papier qui ne la quitte jamais, celui où sont inscrits tous les numéros important de sa vie, le code d’entrée de la porte de son fils en faisant partie.
Cela fait très longtemps qu’elle n’est pas venue. Au moins 2 ans, pense-t-elle… Depuis la mort de son père, Étienne s’est renfermé et éloigné de sa mère bien qu’il l’honore toutes les semaines de sa présence dominicale. Heureusement qu’elle a bien toute sa tête et qu’elle se souvient à quel étage il loge ! C’est facile, se dit-elle, c’est au dernier ! L’ascenseur s’ouvre sur le petit palier du 6ème étage et Bernadette se dirige vers une porte peinte en bordeaux.
Elle réalise alors ce qu’elle est en train de faire, et elle hésite. Qu’a-t-elle encore imaginé ? Il n’y a aucune chance pour que ce soit Etienne qui ait écrit ce message. Elle le sait. Elle le sait si bien qu’elle se met à frapper. Sans doute dans un réflexe de nervosité, elle appuie sur la sonnette tout en continuant de frapper. Peut-être dort-il après tout ? Peut-être est-il sur le balcon ? Immobile, elle reste là, le nez collé sur la porte et tend l’oreille. Elle jurerait qu’il y a quelqu’un… Elle réitère l’annonce bruyante de sa présence.
« Étienne ! Étienne ! C’est moi ! C’est maman ! Tu es là ? Etienne ? »
Mais rien n’y fait. Et ce qu’elle entend et qui ressemble à quelques clappements, tapotements, enfin une sorte de son étouffé et un peu lointain, ne doit certainement qu’être que la porte-fenêtre laissée entrouverte. Déçue, mais pas vaincue, Bernadette décide de se rendre sur le lieu de travail de son fils. Ce sentiment étrange ne la quitte toujours pas, et bien qu’elle se répète intérieurement que c’est impossible, et bien qu’elle ressente une gêne dans le bas-ventre à l’idée de ne pas suivre le programme classique de sa journée, la voilà repartie dans l’ascension de rues cette fois très en pente pour enfin arriver 20 minutes plus tard devant le Franprix de la rue du Poteau.
Étienne est là, derrière le guichet du petit accueil client.
Il remarque immédiatement l’arrivée de sa mère dans le magasin et tombe des nues.
– Maman, mais qu’est-ce que tu fais là ?
– Je suis venue pour te voir. J’avais…. J’avais besoin de te voir.
– Qu’est-ce qui se passe ? Quelqu’un est mort ?
– Non. Non, non. J’avais juste envie de te voir. Mais tout va très bien.
Étienne sait que quelque chose ne tourne pas rond. Il connaît mieux que personne les troubles de sa mère et ne peut imaginer une seule seconde qu’elle ait subitement changé le cours de son quotidien, certainement pas pour le voir qui plus est. Elle est d’un tel égoïsme, se dit-il. Il paraît alors ennuyé, presque tendu.
– Le problème Maman c’est que je ne peux pas partir maintenant. Tu débarques, mais moi je travaille, je ne suis pas à la retraite comme toi…
– Je comprends, je comprends… mais tu n’as rien à me dire, toi ? Dis-moi ?
– Comment ça ?
Étienne reste la bouche ouverte, d’une de ces têtes absolument pas naturelles qui trahissent souvent les accusés. Il essaye de paraître décontracté, mais à l’évidence il a quelque chose de très précis en tête…
– Tu penses que je te cache quelque chose ? Quoi ?
Bernadette ne comprend plus. Enfin si. Elle comprend qu’elle fait fausse route depuis plusieurs heures et que son Étienne n’est pas du tout l’auteur de l’annonce de Ce Matin.
– Je suis désolée. J’ai eu comme un pressentiment. Tu le sais. J’écoute toujours mes pressentiments. Et je ne sais pas. Cela avait un rapport avec toi. Je suis désolée. Je n’aurais pas dû venir, ni passer chez toi, c’était complet…
– Comment ça passer chez moi ?, la coupe alors Étienne. Tu es passée à mon appartement ?
– Oui, je ne savais pas où tu te trouvais, alors j’ai commencé par chez toi. J’ai d’ailleurs cru que tu y étais ! J’ai même cru que tu avais acheté un chien ! Il y avait une fenêtre mal fermée. Tu sais que j’adore les chiens !
– Maman. On ne passe pas comme ça, chez les gens. J’aurais pu être avec une amie ou… je ne sais pas, mais je n’approuve pas. Quoi que tu aies eu besoin de savoir ou envie de me dire, je suis sûr que ça pouvait attendre dimanche. Ne refais plus ça, et je te le demande expressément.
Dans le RER qui la reconduit chez elle, Bernadette Manchin repense à sa journée et à ce qu’elle a cru devoir dire à son fils, là, dans le hall de ce supermarché. À quelques secondes près, elle déballait tout, c’est sûr. Elle n’a pourtant aucune idée des termes qu’elle aurait employés et tandis que le train défile devant le cimetière de Bois Colombes la voilà qui commence à pleurer.
Elle aimerait trouver la force pour lui dire. Peut-être dimanche prochain ? Lui dire que si elle se rend tous les vendredis, depuis 18 ans sur la tombe de son mari, de Claude, du père d’Etienne, c’est uniquement pour s’excuser de l’avoir assassiné…
Constance Dufeu, chef de rubrique des faits-divers de Ce Matin
Que voulez-vous savoir de moi ? Pour faire court : j’ai 34 ans, je vis seule, je suis chef de rubrique dans un journal dont je tairai le nom. Mes parents vivent en Savoie. J’y suis née. J’adore la montagne et le ski, et tout ce qui se rapporte d’une manière ou d’une autre à la montagne et au ski. Je ne fume pas. Enfin uniquement le soir, quand je sors, ou quand je bois un peu. Mais le soir seulement. Je suis hyper sportive mais je ne fais pas de sport… : je n’ai pas le temps ! Du coup ça doit bien faire, pfiou, 7, 8 ans, que je n’ai rien fait… mais je suis sportive ! Dans l’idée. Enfin bref. Je n’ai pas d’animal domestique. J’adore le cinéma, même si je regarde plutôt des DVD et depuis peu je me suis mise à la cuisine. Depuis Top Chef. J’adore, je regarde tous les lundis ! Et sinon je veux des enfants.
Le gong retentit au moment précis où j’allais parler de voyages. Je voulais lui dire que j’adorais les voyages. Mais la règle est la règle et lorsque le gong sonne, on doit arrêter de parler. Moi, en plus, je lève les bras, comme à Top Chef, ça en fait rire certains… mais pas tous. C’est aussi une façon pour moi de faire ma sélection. Savoir qui est sensible à mon humour et qui ne l’est pas. Ah mince ! J’aurais dû lui dire aussi que j’adore l’humour. Les spectacles de comiques, tout ça.
Quand j’y pense, j’aurais dû faire G.O au Club Med. Dans un club à la montagne. J’aurais été la prof sexy de ski qui participe au spectacle le soir et qui est très bonne comédienne. Celle qui fait rire et qui danse bien. J’ai envie d’un Mars.
C’est toujours comme ça : dès que je m’imagine mince, j’ai envie de manger.
Aucun de ces types ne m’attirait de toute façon. Quelle soirée pourrie quand j’y pense, il faut vraiment que j’arrête les speed dating. C’est le genre de soirée dont je ne vais pas me vanter au bureau, ça c’est sûr. De toute façon, aujourd’hui, c’est Anna la star. Anna aka Birdy qui voulait prendre son envol. Quelle pigeonnade ! Ça ne lui suffit pas de louper ses grossesses, il faut en plus qu’elle loupe ses suicides. Je suis méchante, mais franchement… cette fille a beau être intelligente, elle pue l’échec ! Et je ne me dis pas ça pour relativiser mon cas. Enfin. Peut-être un peu. Elle ne va pas venir aujourd’hui, mais tout le monde ne parle déjà que de ça. Et il n’est que 9h30. Francis 1 ne se prononce pas et affiche juste une mine terrible. Francis 2 ne fait pas l’étonné. C’est tout juste s’il ne nous dirait pas qu’il le sentait venir… Monsieur Pierre confie qu’il a connu quelqu’un autrefois qui s’est défenestré… et personne ne sait quoi répondre à ça. Et puis la stagiaire, Emma, qui demande si du coup elle peut reprendre les sujets d’Anna. Elle ne perd pas le Nord, celle-là. Je la trouve étrange d’ailleurs. Elle a une façon de se mettre en avant, un aplomb ou je ne sais quoi qui est tout à fait insupportable. En puis cette espèce de complicité sulfureuse qu’elle a avec Francis 2. Ce gros porc – sans arrêt en train de plaisanter avec lui en se donnant tour à tour des rôles salaces, elle a quoi ? 21 ans ? Allez 22, grand max. Qu’est ce qu’il y connaît aux hommes ? En attendant sa proposition vient d’être refusée par Francis 1 qui lui rappelle qu’elle est stagiaire et que si jamais elle tombait malade, il ne nous demanderait pas pour autant d’aller lui chercher un café.
« D’ailleurs, va me chercher un café ! », finit-il par lui dire.
J’adore Francis. Francis 1, bien sûr ! Francis Lamoureux, quoi. Et pas juste parce qu’il a le plus beau nom du monde. Je parle de Lamoureux bien évidemment pas de Francis, ça paraît clair. Enfin de Francis le prénom, pas l’homme, car oui je parle bien de Francis Lamoureux, l’homme. Et non de l’autre Francis, qui est bien un homme cependant, ça… on ne lui enlèvera pas.
Il y a 3 ans, à la fête de Noël, Francis – FRANCIS 1 (l’autre n’existe même pas pour moi) – Francis et moi donc, avons eu une sorte de…disons que nous nous sommes, comment dire : rapprochés ? Bon certes, nous étions complètement saouls, mais j’ai senti qu’il y avait quelque chose. Il faut dire qu’à cette époque, j’étais plutôt séduisante : j’avais 2 kg en moins !
Géraldine, une ancienne stagiaire avait mis Mariah Carey, un morceau que j’adore et Francis et moi nous étions retrouvés collés serrés l’un contre l’autre, enfin surtout serrés contre le frigo car je me souviens qu’il voulait une bière et que je ne lui laissais pas ouvrir la porte. Un mouvement, une insulte en entraînant une autre et finalement nous nous frottions ! Moi un peu plus, car je le sais timide… et voilà mes yeux dans ses yeux, mon sourire dans sa moustache (je me tenais vraiment très près de lui), est arrivé ce qui devait arriver :
– Constance, veux-tu bien s’il te plait bouger ton gros cul de devant le frigo : JE VEUX UNE BIÈRE !
– OK, mais à la condition que tu m’embrasses…
Tout ce que je peux dire, c’est qu’il a eu sa bière… Depuis plus rien. Mais alors ! Plus rien ! Et je n’ai jamais trop su quoi en penser. Au départ, je me disais qu’il n’assumait pas, à cause de sa femme. Puis j’en suis venue à la conclusion qu’il était peut-être fou amoureux de moi et qu’il se l’interdisait, à un tel point qu’il m’ignorait totalement. Je pouvais proposer n’importe quel sujet, il s’en foutait royalement.
J’ai essayé de le mettre à l’épreuve. De le rendre jaloux ! Et c’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser « AU MONDE DE LA NUIT ». Aux boîtes, quoi. C’était génial. J’étais payée pour sortir. Payée pour raconter tous les ragots du soir. En même temps, je rendais Francis jaloux. Et en même temps : je rencontrais d’autres garçons !
La vérité, et il m’a bien fallu deux ans pour m’en rendre compte, c’est que Francis n’en avait rien à faire de moi.
La deuxième vérité. Ce n’est pas bien glorieux, mais c’est un fait : en tout et pour tout, sur trois années de sorties à tout va, j’avais rencontré : un mec. Juste un seul.
Un de ceux qui balancent « On y va ? » pour aller chez vous et qui repartent en disant « Merci pour l’accueil, meuf. » De ceux qui m’ont cependant donné, un jour, l’impression de vivre.
Cela devenait obsessionnel : sans mec, je ne pouvais pas m’épanouir. Le vide que je comblais en mangeant des Mars, c’était ça ! C’était un vide amoureux ! (J’ai regardé une émission de psychologie un jour à la TV et ils corroboraient tout à fait avec mon analyse – l’émission s’appelait « Gros mais pourquoi ? Mais pourquoi pas ? »).
C’est à cette époque que j’ai commencé à aller voir une voyante. Pour arrêter de me faire des films. Pour savoir quand et comment j’allais rencontrer quelqu’un qui en vaille la peine. Quelqu’un qui aime le ski si possible, et la Savoie sans avoir l’air d’abuser.
Sur les conseils de Kathia, une ancienne ancienne stagiaire, j’ai pris rendez-vous avec celle dont je ne pourrais plus me passer, j’ai nommé, la grande (bien qu’en réalité assez petite) Sussie Ospina. Une perle. Le genre de femme qui me ferait presque devenir lesbienne ! Elle est fantastique et n’emmène jamais sur de fausses pistes. Du reste, elle ne m’a encore jamais prédit que j’allais rencontrer quelqu’un. Et DE FAIT, je n’ai toujours pas rencontré quelqu’un… Dit comme ça, c’est assez pathétique, mais ce qui est génial c’est qu’elle a complètement transformé mon attente ! Maintenant je n’attends plus de rencontrer quelqu’un ! J’attends que Sussie me dise que je vais rencontrer quelqu’un ! Et croyez-moi, cela change tout…
La journée se termine. On se souhaite tous une bonne soirée. On reparle rapidement d’Anna. « Ouais, ça doit pas être facile, on l’appellera demain. »
Pas de sortie nocturne en perspective. J’ai déjà un gros dossier à boucler. Tous les jours j’écris des news, et une fois par semaine, généralement le mercredi, je sors un gros dossier sur une affaire bien salée… ou bien sucrée… en tout cas bien poudrée la plupart du temps si vous voyez ce que je veux dire… (haha je me fais rire – j’adore l’humour).
Ce soir, c’est plan-plan. Comme tous les vendredis, je vais à mon rendez-vous voyance. En sortant, je commande ma livraison Sushi Shop depuis le métro. Et je m’épile la chatte. Comme dirait Sussie : « Si tu fais attenzione à toi, les gens feront attenzione à toi aussi.. »
Du coup je fais gaffe.
Surtout que ce soir, Sussie m’a dit quelque chose de très curieux :
« L’amour et la mort vont frapper à ta porte… Je vois quelque chose de rose, et en rapport avec les colonies de vacances… je… c’est tout. »
J’ai beau lui faire confiance… ça reste quand même une Argentine qui a besoin de blé.
En ce moment je me refais tous les Friends depuis le début. Je les connais déjà tous par cœur, mais j’ai l’impression d’en apprendre toujours plus sur la nature humaine à chaque fois que je revois un épisode.
Il est presque 20 heures quand le téléphone sonne. C’est ma mère :
– J’ai lu le journal ce matin !
– Lequel ? Ce Matin ?
– Evidemment Ce Matin, sinon je ne t’appellerais pas ce Soir !
– Oui, bon bref, et ?
– Et tu n’as rien à me dire ?
– Si… j’ai une collègue qui a fait une tentative de suicide hier soir…
– Quoi ? Mon dieu, c’est affreux… mais quel rapport avec moi ?
– Comment ça, quel rapport avec toi ?
– L’annonce, le message, cette histoire de vérité, c’est de toi ? C’est toi qui l’as écrit ?
– Enfin non ! Maman ! Ces trucs-là, c’est du vent ! Qu’est ce que tu vas t’imaginer encore ? C’était quoi l’annonce de ce matin, je ne sais même pas ?
– Que tu savais la vérité ! Enfin. Que « quelqu’un » savait la vérité, à propos de sa mère… quelque chose dans ces eaux-là.
– Et qu’est-ce que je suis censée découvrir sur toi selon TOI, maman ?
– Et bien. Je ne tenais pas à te l’annoncer de la sorte, mais : j’ai trompé ton père. Deux fois. Avec le même homme. En 1977 et en 1981. Voilà, c’est dit !
– Mais je le savais déjà ça, maman. On te chambre tous les ans à Noël avec cette histoire.
Ma mère. C’est… Comment dire… j’aimerais pouvoir décrire son portrait, mais… C’est à cet instant que l’on sonna à ma porte.
– Maman, on sonne à ma porte, je te laisse ! Je t’appelle demain, bisou, dis-je sans lui laisser le temps d’en placer une.
Je vais pour tourner la poignée quand me reviennent les paroles de Sussie la sage. Ouvrir sur l’amour ou sur la mort. C’est clair que je m’en voudrais d’avoir quasiment raccroché au nez de ma mère pour me faire trucider dans les cinq secondes. Je prends donc le temps de regarder à travers le judas et ce que j’y vois, me laisse totalement béate. Ce sont mes courses. J’avais complètement zappé ! Mes courses chez Monop’ ! Je les ai faites il y a deux jours en sachant que ce soir je serais à la maison. Le livreur qui avait posé le premier cageot et qui était reparti chercher le second revient alors vers moi. Une beauté. Un homme si beau.
« Je vous mets ça où ? », me dit-il.
J’ai tout de suite eu envie de lui offrir un Coca light et de le voir se mettre torse nu devant moi.
– Vous voulez un Coca light ? je lance.
– Euh, oui pourquoi pas…, me répond-t-il.
Et me voilà plongée dans les sacs qu’il me ramène, furibonde, envahie par l’urgence, la hâte, l’excitation, à la recherche d’une boisson que je n’ai pas commandée… Je me relève penaude et traduis ma gêne et me mordillant les lèvres. Il me sourit. Il a l’air gentil. Est-ce lui ? Est-ce toi ? OH ! EST-CE TOI ???? Monoprix…. Mono-prix… Mono, mono comme les monos de ski ??! Les colonies de vacances !?? Il me tend alors un papier. Je dois signer.
JE SIGNE POUR LA VIE, OUI !
Je signe le reçu, quand tout d’un coup, je m’arrête net. Je regarde de plus près le papier. Puis, je replonge dans mes courses. C’est bien ce qui me semblait.
« Ce ne sont pas mes courses. Ce n’est pas ma commande. Étienne Manchin c’est la porte à côté… », dis-je, tout en ne pouvant m’empêcher de regarder la consommation de mon voisin si discret : de la teinture pour cheveux. Des compotes. Des jus. Un exemplaire de Harry Potter. Un sweat à capuche bleu, taille 10 ans… Je n’avais jamais remarqué qu’il avait un enfant… oui, il est si discret… Ce qui m’étonne le plus c’est qu’il fasse ses courses chez Monoprix, lui qui travaille chez Franprix… qui ferait ça ? Peut-être n’a-t-il pas envie que ses collègues sachent ce qu’il achète… je ne sais pas.
Le livreur s’excuse poliment, me jette un sourire ravageur et va pour sonner à côté. Demain pour faire la blague, je demanderai à Francis si je peux rédiger l’annonce personnelle du jour et elle dira : « Si tu recherches ton enfant, il est au 6ème étage de mon immeuble ! » Haha, non je plaisante, j’adore l’humour. J’écrirai :
« La livraison n’était pas la bonne, mais je te donne une dernière chance de me montrer quel homme tu fais. Étonne-moi et retrouve-moi à la même adresse ! »