Mélenchon, Macron, mais aussi Bengous ou les meilleurs memes français : les remixes musicaux de Khaled Freak sur YouTube nous font pleurer de rire depuis longtemps. Après avoir rythmé la dernière campagne présidentielle par ses remixes de discours politiques, Khaled est déterminé à imposer son style décalé. Ce technicien informatique de formation résidant à La Ciotat (13) nous a accordé une interview au cours de laquelle il est revenu sur sa démarche ; l'occasion pour lui d'analyser la nouvelle scène rap française et... de dresser un constat amer sur le métier de beatmaker.
Clique : Quel a été ton premier rapport à la musique ?
Khaled Freak : J’ai toujours fait de la musique. J’ai eu mon premier clavier à l’âge de sept ans. J’ai toujours rêvé d’être beatmaker, producteur, en fait tout ce qui était en rapport avec la musique. Ça a été la première passion de ma vie.
Comment est-ce qu’on passe de la production « classique », à s’amuser avec de l’auto-tune sur des discours politiques ?
C’est vrai que ce que l’on retient, c’est toujours les politiciens… Mais ce n’est pas uniquement ça. La question que je me pose c’est surtout « comment est-ce que je vais trafiquer des voix et des vidéos virales? ». Ça peut mélanger la politique, comme les bêtises du net… dans un souci de visibilité. Tu sais, je connais de très bons beatmakers qui travaillent avec des grands artistes, mais qui n’ont pas de visibilité, si ce n’est dans la communauté professionnelle.
« La Poudre de Perlimpinpin » : l’un des derniers tubes de Khaled Freak, qui comptabilise plus de 3 millions de vues.
Je voulais être un peu l’artiste, et pas seulement le producteur. Parce que le beatmaking ne te fait pas forcément décoller. C’est dur… Tu es obligé de travailler tout le temps, le plus souvent avec des amateurs avec qui tu n’as pas forcément les retours attendus.
Tes vidéos, c’était pour attirer l’attention de qui ?
C’était pour attirer l’attention des labels, ou de grands rappeurs dans un premier temps, pour dire « voilà mon mon travail, et je sais faire des productions ». Et en fait, ça a conquis le public.
Est-ce que tu commences à avoir des retours d’artistes qui seraient potentiellement intéressés par ton travail ?
Non, parce que j’ai carrément changé d’optique entre temps.
Ah…
Si tu avais dit ça dans mon studio, je t’aurais remixé ! Disons que j’ai goûté à la joie d’avoir un public et à une certaine reconnaissance. Par conséquent, je ne fais plus ce travail de beatmaking. J’ai refusé à plusieurs reprises de nombreux projets.
Je ne ferme pas la porte à de futurs projets plus tard, mais je ne me vois pas faire autre chose que ces vidéos pour l’instant.
Un « Ah ! » célèbre que Khaled Freak a (violemment) remixé.
Ton ambition maintenant c’est donc de t’imposer sur Internet, sur YouTube?
YouTube, la télévision, les médias et même au-delà. Par exemple, j’ai pu signer le titre «La poudre de Perlimpinpin» avec le label Juston Records, distribué par Believe.
Finalement; tu te retrouves à voir tes sons être vendus, et même passer en radio grâce à tes vidéos ?
Oui, mais je tiens à préciser que je reste un beatmaker qui ne fait pas pour autant rêver, et je suis conscient que je reste encore très moyen…
C’est de la modestie ou c’est un ressenti ?
Non, c’est du réel. Quand j’écoute certaines chansons, certaines prods, et que je n’arrive pas à décortiquer les éléments qui les composent, je me dis : « bon ce n’est pas la peine, je ne suis pas dans le game ». Parfois j’arrive à analyser, parfois je me dis « mais comment il a fait ?! » alors que le producteur n’a que 8 000 abonnés sur sa page, je me dis que le monde est injuste.
C’est le drame des producteurs de Type Beats (ces instrus publiés sur Internet par des producteurs anonymes qui imitent le style des grands artistes, NDLR)… Comment observes-tu cette révolution ?
Je trouve que c’est une évolution logique. C’est ce que les temps imposent. Ce n’est pas plus mal parce que c’est difficile à gérer, d’être un beatmaker qui travaille des heures pour faire un beat et qui le fournit à un artiste qui fait un retour tardif et pas forcément positif…
Je préfère que ce travail parte sur YouTube, que le mec soit crédité sur son son, et qu’il ait une récompense via son nombre d’abonnés qui lui offriront une visibilité et, surtout, qui vont l’alimenter en termes de retours. Parce qu’on a besoin de retours. Si j’avais été jeune beatmaker moi-même, je me serais dirigé vers ce schéma.
Un type beat dans le style de « Mask off » de Future, composé par Lasik Beats (et disponible pour 19,99 dollars)
Ce que j’espère, c’est qu’un jour le beatmaker soit autant considéré artistiquement que le rappeur ou le chanteur, que ça devienne une collaboration au même titre qu’un featuring.
Pour toi le beatmaker est encore trop dans l’ombre ?
Il est beaucoup trop caché. Il fournit un travail monstre, tout repose sur lui. C’est vrai qu’il y a l’importance du studio d’enregistrement, du mixage et du mastering, mais le beat représente la colonne vertébrale du son. Quand tu ramènes quelqu’un qui sait le faire, c’est l’assurance d’un succès. (NDLR : récemment, la série audio Beatmakers produite par ARTE radio et soutenue par Clique a mis en lumière le travail de certains grands compositeurs français).
La séquence légendaire du documentaire Fade to Black (2004) de Jay Z où l’on voit Timbaland travailler en studio.
Tu as l’impression qu’il y a une tendance qui s’est inversée ?
En fait, à l’époque c’était vraiment le rappeur qui était important, son flow, son histoire etc. Maintenant, j’ai l’impression que l’on n’est plus du tout dans le même schéma : tout se fait à la maison, et c’est avec l’ordinateur que le produit prend véritablement forme. Avant je faisais mon beat, je chantais un yaourt dessus, c’était déjà délivré clé en main. Le mec remplaçait le yaourt par ses paroles… et c’est tout.
En tant qu’observateur privilégié du game, quand tu vois des artistes comme Jul qui fait tout de A à Z, du beatmaking au rap dans des conditions très simples en réduisant le circuit au maximum, quel regard tu portes ?
J’ai un grand respect pour Jul. J’estime que c’est un modèle. Il a eu la force d’aller jusqu’au bout avec ses beats tout droit sortis d’une Game Boy. Il a réussi à imposer un style. Tu imagines qu’il y a maintenant des Type Beats Jul façon Game Boy ? Je ne connais pas un autre artiste indépendant qui a réussi à s’imposer de la sorte.
Bengous, autre figure emblématique de Marseille aux côtés de Jul, a aussi eu droit aux honneurs d’un remix de Khaled Freak.
Quand on parle d’indépendance, il y a aussi le groupe PNL qui revient souvent. Comment tu analyses le phénomène au niveau des productions, et même au-delà ?
Ils ont apporté ce truc planant : « je te parle, je laisse une mesure, je laisse du temps pour l’écho », quand d’autres rappeurs te donnent le sentiment de ne pas avoir assez de temps pour placer tous leurs mots. L’auto-tune est travaillé d’une manière excellente, à tel point qu’il te fait planer.
De mon point de vue, PNL a quelque chose de plus que Booba, Kaaris… C’est le futur.
Et quand je parle de PNL, je parle de leur équipe aussi, pas uniquement le duo, l’ingénieur du son etc… Pour moi toute cette équipe est vraiment balèze. Après, tout le monde ne peut pas faire du PNL, parce que seuls eux connaissent la recette et c’est un regroupement de facteurs.
Tu décris très bien les univers des uns et des autres. Comment est-ce que tu pourrais décrire la couleur sonore de tes vidéos ?
Je n’ai pas de style particulier. Par rapport à mes vidéos, tout ce que je peux te dire c’est que je tente d’accorder mon son à la vidéo, et pas le contraire. Je choisis ma vidéo, je la synchronise, c’est à ce moment-là que je compose dessus et je tente de trouver le beat qui va être le plus adéquat par rapport aux gammes, au tempo, histoire que ça soit accrocheur.
Est-ce qu’à l’avenir, l’ambition est d’écouter tes remixes comme des morceaux de rap classiques ?
C’est un peu compliqué. C’est le challenge qui a été relevé par le label Juston Records en me signant… Pour l’instant ça marche, parce que le nom Khaled Freak commence à signifier des choses aux gens. Mais je sais que ça va être très difficile, voire impossible. Soit je fais un projet vraiment orienté pour être écouté tout seul, soit je réalise quelque chose d’orienté vers YouTube et une consommation Internet… Mais faire un truc entre les deux me paraît très compliqué.
Un discours de Jean-Luc Mélenchon remixé par Khaled (notamment utilisé dans notre conversation Clique x Rim’K)
Est-ce que tu as eu des réactions de la part de ceux que tu remixais ou pas?
Quasiment tous. Tous en positif. Que ce soit avec des ReTweets, des petits mots. Qu’ils soient politiques ou YouTubeurs. Je t’avoue que c’est un petit peu ma récompense.
Quand tu as Mélenchon, un député, ou Denis Brognart qui valident ce que tu as fait, c’est une petite victoire.
La petite réaction de Jean-Luc Mélenchon qui commente l’une des vidéos YouTube de Khaled Freak.
J’ai l’impression de travailler pour ça quelque part. C’est une reconnaissance, surtout quand c’est fait par celui que je viens de remixer.
Les politiques qui ont fait les frais de tes remixes ont-ils fait preuve de second degré ?
Oui en général. Parfois j’ai l’impression qu’ils se forcent un peu, parce que c’est assez satirique…
Macron version Heavy Metal par Khaled Freak lors de son meeting de campagne en décembre dernier à Paris.
Pour Macron, je lui avais fait faire du Heavy Metal et j’ai bien aimé son second degré… Franchement, je ne m’y attendais pas du tout. Honnêtement, je ne sais pas si je l’aurais partagé si ça avait été fait sur moi.
Il a trouvé le moyen d’aller au-delà et de le mettre sur sa page, et tout le monde en a rigolé. D’ailleurs beaucoup l’ont félicité pour son auto-dérision. Après, je me débrouille pour ne jamais manquer de respect ou blesser quelqu’un dans mes vidéos.
Le respect d’autrui reste ta ligne jaune ?
Exactement, pareil pour les gros mots. Parce que les gens qui regardent mes vidéos vont de huit ans à plus de soixante ans.
Quelle sont tes projets pour le futur ?
Je ne sais pas encore trop vers où aller. La partie formation sonore m’intéresse énormément par exemple. Je me suis formé au son sur Internet avec trois ans d’études vidéo, grâce à un site payant professionnel… Je pense – pourquoi pas ? – à créer un label de musique. Mais disons qu’on va d’abord tenter de bien s’installer sur YouTube, pour pouvoir essayer d’en vivre !