La première fois que j’ai vu le travail de Kosta Kulundzic c’était sur Internet.
Une photo d’une expo à Paris qui passait sur mon feed Facebook et en arrière plan, derrière ma copine qui posait langoureusement bouche en coeur, un trait, de la couleur, une image, un monstre.
La toile a immédiatement attiré mon attention et j’ai alors entrepris quelques rapides recherches pour savoir ce que c’était.
« C’est le boulot de Kosta Kulundzic !, m’a-t-on répondu, il est complètement fou, c’est un peintre, grand dessinateur avec un univers complètement barré. », a-t-on fini de me renseigner.
Je suis allée voir le reste de son travail et ai tout de suite ressenti comme une immense admiration, une grande attirance… et très vite alors, j’ai su que j’allais devenir fan.
J’ai screenshooté une première image et l’ai gardée en fond d’écran pendant un petit moment, provoquant, non sans tarder, beaucoup d’émotions quand les gens passaient devant mon ordinateur.
« C’est quoi ce truc ? »
« C’est glauque, mais c’est drôle… enfin je crois. »
« Pourquoi t’as ça ? »
« Pourquoi tant de violence ? »
« Pourquoi ça saigne et ça me fait rire en même temps? »
Tant de questions qui m’ont été posées et que j’ai eu envie d’élucider en allant, quelques années plus tard, à la rencontre de cet artiste singulier, aimable et charismatique, un peu fêlé mais tout à fait sain : Kosta Kulundzic.
C’est à Evry, que je rejoins Kosta dans son atelier. Ici, me dit-il, il est au calme, rares sont les gens qui passent à l’improviste pour proposer d’aller boire un café. Il se met au boulot à 9h30 et part à 19h30. Une vraie vie de bureau et cela a toujours été comme ça.
« Être artiste, faut pas croire, c’est un vrai investissement. Il faut jouer le jeu sérieusement. C’est un boulot qui coûte tellement, surtout au niveau relationnel, familiale, que si tu ne joues pas le jeu à fond, ça ne sert à rien. »
Kosta me raconte qu’il fait parti du « système » depuis toujours. Son papa est architecte et était professeur aux Beaux-Arts, et son parrain n’est autre que le célèbre Vladimir Veličković (ci-dessous), peintre serbe référence, dont le travail est largement inspiré de la noirceur vécue dans une ex-Yougoslavie, pauvre et désillusionnée.
C’est cette même inspiration qui va permettre à Kosta de s’exprimer.
Français de naissance, mais étant issu d’une famille entièrement slave, Kosta Kulundzic, qui porte le poids de ses origines dans son prénom et son nom de famille, va, très tôt, être confronté à cette culture et à ses traditions : le pouvoir de la religion, le pouvoir de la guerre aussi et va prendre le parti de les raconter à sa manière, une manière occidentale, populaire, drôle, mais lucide.
« Au départ, mon père ne voulait pas que je sois peintre. Il voulait que je reprenne son agence d’archi. Du coup, j’ai quand-même fait des études d’architecture, jusqu’au bout et à côté, je faisais de la peinture, je m’étais inscrit aux cours du soir. J’ai fait ma première vrai expo en 96, je devais avoir dans les 24 ans. »
Dans l’atelier de Kosta, il y a plusieurs espaces qui sont tous remplis de toiles, emballées ou non, entreposées ou juste posées, mais finies.
La seule en cours est une encre immense posée à terre.
Le dessin est précis. Net. On pourrait presque croire à un décalqué. Ça rappelle un peu les dessins de BD. Ceux qui sont parfaits. Ceux qui rentrent dans la case. Une composition exemplaire.
« En fait, je pars toujours de l’oeil droit du personnage principal. Je pars de son oeil, et si je l’ai bien placé, je sais que tout rentrera. Je ne commence jamais une toile ou une encre en me disant que cela ne sera pas une oeuvre. Tout ce que je commence à pour vocation d’être une oeuvre d’art. »
Kosta m’explique comment il opère.
Il part d’une photo qu’il a prise et qui met en scène un ou plusieurs de ses amis.
« Je ne peux peindre que les gens que j’aime. Je peins très souvent des cons en train de tuer d’autres cons… il faut qu’il y ait de la tendresse malgré tout là dedans… c’est la seule façon pour moi de m’autoriser à peindre des scènes parfois presque inhumaines : parce que je sais que dans le fond, derrière tout ça, il y a beaucoup d’amour et beaucoup d’humour également ! »
À partir de cette photo, il se construit mentalement son image. Telle chose ira là, telle autre, plutôt ici. Le dessin est fluide, comme si tout n’avait été dessiné que d’un seul trait et ça Kosta le sait : il a un don.
« Il y a quelques années, j’ai divorcé et j’ai eu peur. Peur de perdre ce truc un peu magique… Quand j’enseigne, j’explique à mes élèves qu’il faut aller du large au précis, or moi, je fais tout le contraire ! Je pars d’un point précis et j’élargis mon dessin. Et tout rentre toujours ! C’est un reflex que j’ai eu naturellement et je serais bien incapable de faire autrement. «
Kosta utilise de l’huile. Depuis presque toujours aussi. Ça glisse bien, ça coule, c’est lisse, c’est agréable à travailler. Il n’utilise pas l’huile pour la mélanger et créer de la matière, du relief. Il utilise l’huile pour sa souplesse et pour la luminosité de ses couleurs. « Que ça pète ! »
L’huile est appliquée minutieusement. Elle ne déborde jamais. Peinture de dessinateur.
Figures au centre de la toile. Image.
Car c’est aujourd’hui ce qui importe à Kosta. De créer des images. Un univers. Un code. Une oeuvre esthétique qui n’appartienne qu’à lui et qui reflète sa pensée, ce qu’il est. Mélange de culture très populaire, souvenir bloody de films gore, questionnement du mystique et du mythique et narration très souvent humoristique. BAM.
La religion, la crucifixion, les martyres, les batailles… Kosta en est marqué au fer blanc mais en ressent surtout l’absurdité.
« Quand l’ex-Yougoslavie a éclaté, j’ai des copains qui ont combattu. Ça aurait pu être moi. Peindre mes amis, c’est aussi une façon de dire : ça peut arriver à tout le monde. Le pire peut arriver à tout le monde. À l’époque, ici, en France, on parlait de tout ça comme si c’était tous des barbares, des fous, alors que c’était juste des gens. Comme toi. Comme moi. Juste des gens. »
Kosta demande alors à son entourage de prendre la pose. Sa femme est au coeur de son travail. À travers la série des « Judith », on la voit régulièrement armée, du sang plein les mains.
« Moi ça me fait rire ! Mais j’avoue qu’il y a certaines toiles que je ne montre pas à mes enfants. C’est compliqué d’expliquer : « Bah là c’est maman qui coupe la tête de papa ». À part ça, je n’ai pas de limites. »
« Un jour un critique m’a dit que j’étais une sorte de Quentin Tarantino de la peinture. Ça m’a bien plu. »
Guerres, absurdités, décapitations, religions, le fait que cela puisse arriver à tout le monde… Ce sont des thèmes qui nous touchent tous de près en ce moment. Est-ce que tu te sens concerné par tous ces événements ?
« En tant que citoyen oui, mais pas en tant qu’artiste. Je crois que j’ai fait le tour de tout ça. Et en effet, les choses se répètent. Des connards s’entretuent… Et, oui ça peut arriver à tout le monde. Le conflit yougoslave, je l’ai vécu, il m’a inspiré, il se répète ensuite ailleurs, mais je crois que de mon côté, la boucle est bouclée.
Je finis une série ayant pour référence Saint-Georges, saint patron des scouts et de l’armée… Des mecs y combattent des dragons avec des gros flingues.
Et puis je réfléchis à une série en devenir.. un peu plus « cul », des filles sexy, du sexe, mais toujours à travers des scénarii absurdes. »
Dans les peintures de Kosta, les femmes ont le pouvoir et les hommes posent niaisement avec le sourire fier des gros perdants. Il est parfois même arrivé que certains critiques pensent que Kosta était une femme avant de s’apercevoir qu’il était plutôt du genre gaillard d’1m95…
Dans ses peintures, les madames assassinent toutes leurs mecs (quand ils ne se font pas buter par des monstres cachés juste derrière eux) ou les observent mourir mais en gardant le sourire.
Certaines personnes meurent. D’autres sont sur le point de se faire tuer tandis qu’elles posent fièrement devant une proie à terre…
Une manière de rire de la façon dont les gens ont de vivre et mourir bêtement? Vivre dans la peur. Dans l’ombre d’un danger plus grand, tout en ayant l’impression de masteriser son existence…
« Ma femme est américaine, du coup je passe beaucoup de temps à Hawaii. Hawaii m’a inspiré toute l’atmosphère de ma série Saint-Georges versus dragon. Dans la tête des gens, Hawaii c’est la Paradis sur Terre, mais ce qu’on sait moins c’est que c’est aussi là qu’est installée la plus grosse base de l’armée américaine avec ses 120.000 hommes. À côté de ça, c’est une île également très mystique, avec ses croyances. Ses divinités et ses monstres dont le Mo’o, un dragon ayant pour délicate tache de chasser les touristes de l’île… C’était comme une évidence pour moi. »
Le courant dans lequel s’inscrit Kosta Kulundzic s’appelle l’Under Realism. En 2012, la galerie Magda Danysz consacre à ce genre une exposition collective, regroupant alors ses principaux acteurs, dont Kosta mais également les frères Rabus (ci-dessous). Leur point commun ? Ils s’expriment tous à travers une sorte de réalisme imaginaire.
« C’est toute une bande en fait. On nous invitait souvent aux mêmes expos collectives en Europe. On a tous, je crois, la volonté de peindre vraiment bien, tout en inventant un certain nombre de choses. On a vraiment chacun et chacune, un univers propre qui ne ressemble à rien d’autre. On se démarque, il me semble, de tout ce courant photo-réalisme qui est revenu ces derniers temps et qui, à mon sens, est vraiment ennuyeux… »
Y’a-t-il des peintures que tu affectionnes particulièrement en ce moment ?, lui demande-je pour finir.
« Il y a cette Allemande, Katie Heck (ci-dessous), que je trouve absolument époustouflante. Elle a une façon de faire qui est unique. Et puis sinon, j’aime des Américains, comme Mark Ryden ou Eric White (ci-après). Ils ont un vrai monde à eux. »
« Au delà des expos, du « monde de l’Art », duquel je suis revenu… Je réfléchis davantage aujourd’hui à de nouvelles façons de diffuser mes images, mon imaginaire. Il y a Internet, l’édition… c’est ce qui m’intéresse aujourd’hui. L’image. »
Kosta Kulundzic expose en ce moment :
École Superieur d’Art et Design de Grenoble.
« Who’s afraid of Picture(s) »
26 Février / 24 Mars 2015
Vernissage le mercredi 25 février à 18h
Galerie Da-End, Paris
Cabinet de Curiosité N°5
du 28 février au 25 avril