"Madeon, il est affolant dans sa manière d'envisager son boulot avec un recul incroyable". Chez Sony, on rivalise de compliments sur le jeune prodige de 20 ans qui sort son album à la fin du mois. Quelques années de carrière, déjà, et une maturité en effet déconcertante.
Malgré trente heures sans sommeil, Hugo Leclercq alias Madeon conserve l’œil vif et la langue agile. « J’ai travaillé toute la nuit, j’ai pas regardé l’heure, donc j’ai pas dormi depuis hier matin. Puis quand j’ai voulu me coucher, je me suis rappelé que je devais prendre un train », explique-t-il en ouvrant une bouteille d’eau. Voilà des heures qu’il enchaîne les interviews, sans laisser transparaître sa fatigue.
Rien à craindre quoi qu’il arrive : cette fatigue, il a su s’en faire une alliée.
« C’est un état un peu second. J’essaie d’être intentionnel, méticuleux et analytique en général dans ma musique, et le manque de sommeil me déconnecte de cette attitude, me rend plus spontané. »
C’est dans cet esprit qu’il crée Home, le dernier morceau de son album, Home. Après 17 heures sans sommeil passées à poursuivre l’inspiration, le jeune artiste décide de décrire son état d’épuisement et trouve enfin les notes qui lui échappaient.
Détail exceptionnel et savoureux, il déploie un vocabulaire aussi précis que complexe pour décrire sa musique. Sur son nom d’artiste, il est donc à l’aise : « Il n’a pas de signification précise, justement, je l’ai conçu pour qu’on l’interprète différemment dans le temps. Vu que c’est un mot qui ne veut rien dire, c’est à moi de lui donner du sens, donc je ne m’enferme pas dans un nom trop défini. Moi, quand j’entends des noms d’artistes, je me plonge dans un univers plein de sensations, donc j’ai créé mon nom d’artiste comme ça. C’est tout l’intérêt des mots, ça capture l’ineffable. »
Au-delà de la musique, Madeon touche à tout. C’est lui qui écrit le script de ses clips. C’est lui aussi qui conçoit la pochette de son premier album qui sort dans quelques jours. « J’ai envie de partager une ambiance que j’ai en tête, donc c’est pour ça que je tiens à choisir les images ».
Ses clips sont mystérieux, éthérés, à mi chemin entre ville et désert. Comme une sorte d’amour des grands espaces, des deux extrêmes. « Un voyage à New York quand j’étais petit m’a fasciné, raconte-t-il, le côté épique créé par l’humain m’intéresse. J’adore Tokyo, en plus d’aimer la culture japonaise, très spéciale, à mi-chemin ». Passer de la foule des hommes au vide des dunes l’obsède dans ses derniers clips. « J’aime alterner le côté contemplatif, la solitude de la nature à toute la vie sociale que la ville permet ».
C’est un trajet qu’il reproduit lui-même à son échelle, lui qui part en tournée dans les plus grandes villes, jouer aux côtés des plus grands, avant de retrouver le domicile familial à Nantes et ses proches.
Le bonhomme reste pragmatique. Là où des dizaines de stars éphémères ont brûlé leurs ailes, il a su attendre son heure. Pas un mot aux médias après le buzz de son mix Pop Culture, qui le propulse à 17 ans au sommet d’internet et des millions de vues sur Youtube. Il préfère « attendre d’avoir quelque chose à dire ». Alors en échec scolaire, il fonce vers sa seule porte de sortie : la musique.
« Le seul équilibre que j’ai eu dans ma vie, c’est celui-ci, j’ai beau m’émerveiller tous les jours, je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre. J’ai même saboté ma scolarité pour ne pas avoir le choix. Je n’ai aucun diplôme, donc aucun risque de finir dans une profession bureaucratique qui ne me plairait pas. »
Son sabotage est bien conçu : biberonné aux Beatles, il comprend vite l’importance de parler anglais et se forme en autodidacte. Son style est sans frontière, à l’image de sa génération.
« Je ne me sens pas vraiment appartenir à une scène française, même si j’ai énormément été influencé par des artistes français comme Daft Punk ou Justice. Aujourd’hui, c’est plus stylistique que géographique, je suis en contact avec des groupes américains via internet. Mon parcours, mon profil, ma carrière n’auraient pas été possibles sans internet et les réseaux sociaux. Je suis le fruit et le bénéficiaire de cette époque »
Ah, oui, j’oubliais. Ce jeune homme a travaillé avec Lady Gaga. Il est l’un des rares à pouvoir dire d’elle aussi banalement « On s’est bien entendus ». Il y a deux ans, en tournée aux États-Unis, des membres de l’équipe de la Queen de la pop lui proposent de faire sa première partie pour sa tournée américaine. Ni une, ni deux, il accepte et décide, « vu que la porte était entrouverte », de lui envoyer quelques uns de ses titres. Quelques jours après, elle le rappelle. À la fin de l’année, trois morceaux de l’album sont coproduits par Madeon.
Gipsy a été produit par Madeon.
Sa collaboration avec Lady Gaga relève d’un goût plus large pour « ces artistes qui ont cette ambition gigantesque de devenir une star ».
« Il y a un truc très impressionnant dans le fait de créer un mythe, de devenir des piliers de la culture. Ca ne m’intéresse pas personnellement, il faut être un peu fou dans sa tête pour ça, mais ça me passionne. Il y a un truc magique dans le fait qu’un milliard de personnes aiment le même morceau. Des individus, des légendes comme Michael Jackson, incarnent des points communs entre ces personnes, il y a un côté fédérateur. »
Les frontières, il les abolit aussi parmi les styles. Il rêve déjà de travailler avec Paul McCartney ou Kanye West. « Il y a des ponts extraordinaires entre l’électro et le hip-hop, ce sont des styles très proches. J’adore les textures électroniques, c’est le terrain à explorer le plus excitant ces dernières années, il y a un côté savant fou. J’aime associer des sons imaginaires qu’on ne peut pas forcément associer à quelque chose de concret. Mais ce qui me touche c’est avant tout la pop. L’influence des Beatles apparaît d’ailleurs dans certains de mes morceaux. »
Madeon est bosseur. Il passe un temps fou à travailler sa musique mais aussi sa production : « Je vois maintenant la production comme un écrin alors qu’au contraire, avant mes chansons étaient presque une excuse pour faire de la production. Dans tous les cas, j’essaie de toucher à plein d’éléments différents du projet Madeon, des expérimentations au piano, du design de couverture. »
Madeon est joueur. Il aime la cryptographie, le fait d’ajouter une dimension secrète à son œuvre. « Depuis 2012 je raconte une histoire à travers des messages cachés dans mes pochettes, mes disques et plus récemment mes clips. On peut comprendre des nuances du scénario de ces clips en lisant ces messages codés, reprend-il. Je veux récompenser mon public qui cherche à aller plus loin. J’aime bien échanger avec eux, j’essaie de répondre à toutes les lettres et de communiquer avec eux sur les réseaux sociaux. »
L’artiste écarquille les yeux quand on vient lui annoncer les prochaines interviews qu’il doit encore donner. Et ce n’est que le début, le voilà qui va partir pour six semaines de tournée nord-américaine au printemps et à l’été. Le Festival de Coachella l’attend en avril, en Californie. Avec l’occasion pour la première fois de faire un show seul sur sa propre musique, il espère mettre en scène son album à sa guise. « Je veux le présenter plus électro, plus pêchu ». Pense juste à dormir, Madeon. Quelques fois. Un peu.
L’album L’aventure sortira le 30 mars.