Ce weekend s'est tenue la deuxième édition parisienne du festival Afropunk. Initialement basé à New-York depuis 2005, le festival s'est internationalisé pour s'étendre au-delà des frontières pour promouvoir la culture noire, mais pas uniquement. Loin des étiquettes communautaristes Afropunk, qui est aussi un média internet, s'inscrit dans une volonté de libéralisation culturelle sous toutes ses formes. De passage à Paris, le britannique Matthew Morgan, co-fondateur du mouvement s'est entretenu avec Clique.
Comment définiriez-vous l’univers Afropunk ?
Le mot qui me revient le plus souvent lorsque je veux définir Afropunk c’est : liberté. Quand on se sent véritablement libres, on peut faire des choses incroyables. Que tu sois noir, blanc, musulman ayant grandi en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, que tu ressens la liberté de t’exprimer, que l’on te donne des opportunités : des choses incroyables peuvent arriver. Quand tu ne ressens pas la liberté quand tu es jeune, ta vie prend une tournure différente. Je n’accepte pas le fait que la vie soit facilitée pour un certain groupe de gens, et impossible pour d’autres. Et Afropunk se résume simplement à cela : faire en sorte de corriger le tir.
Pourquoi avoir choisi Paris pour Afropunk ?
Je pense que c’est Paris qui nous a choisis. Mon collègue de longue date Lou Constant-Desportes avec qui j’ai commencé dès le début de l’aventure Afropunk, est un jeune Martiniquais qui a passé beaucoup de temps ici. Il dirige le site afropunk.com directement de Paris, et c’est devenu un endroit naturel où venir. Il a trouvé l’opportunité de s’associer avec une diversité de partenaires et nous voilà ici à Paris.
L’année dernière à Brooklyn, Afropunk avait accueilli l’artiste Young Paris, qui est devenu un habitué du festival. Hier soir, il était présent sur la scène du Trianon pour le premier jour.
Quelles différences y-a-t-il entre l’édition parisienne d’Afropunk et celle de New-York par exemple ?
Dans chaque ville il y a une différence. Quand on organise des petits événements à Chicago, Atlanta, Los Angeles, ils ne se ressemblent pas forcément. Et il y a évidemment une différence entre ce qui se passe à New-York et ce qui se passe à Paris et tant mieux d’ailleurs. Mais je pense que l’on essaie de se concentrer sur ce qui nous unit. Nous sommes nés différents, la définition d’Afropunk réside dans la différence, mais il y a beaucoup de similarités. Et ici à Paris, c’est comme si nous rencontrions nos cousins éloignés.
Comment Afropunk peut-il s’inscrire au dessus des différences des modèles nationaux ?
Nous somme le seul festival en Amérique qui propose ce que nous proposons. Il n’y a aucun festival qui ne ressemble à Afropunk dans le monde. C’est bien, mais c’est aussi triste car cette situation est révélatrice :
Dans l’industrie culturelle mondiale, même si les têtes d’affiches sur scène peuvent être des personnes de couleur, c’est rarement le cas de ceux qui tirent les ficelles en coulisse. C’est un gros problème.
Afropunk veut montrer aux gens ce qui est possible. J’ai grandi dans des quartiers populaires à Londres, on m’a donné l’opportunité de rencontrer des gens et j’ai pu en profiter pour arriver où j’en suis, mais ce n’est pas le cas de tout le monde est c’est vraiment triste.
En France, la culture n’est pas la même que celle aux Etats-Unis où vous vivez aujourd’hui, en terme de traitement des communautés. La France ne reconnaît qu’une seule communauté : la communauté nationale…
Les sociétés européennes semblent en surface être plus sophistiquées que la société américaine , mais ce n’est pas le cas. Aux Etats-Unis on perçoit les différences s’affichent, tu peux le ressentir. Le modèle français, à ce que je sache, n’est pas le même.
On tente de garder une unité dans laquelle beaucoup de gens ne se reconnaissent pas car leurs différents héritages n’y sont pas respectés à leur juste valeurs.
Il y a encore des différences de traitement en fonction de la couleur de peau, dans encore beaucoup d’endroits et la France en fait malheureusement partie. Dans les médias, et la télévision par exemple, je suis prêt à parier qu’il n’y a pas beaucoup de personnes de couleurs devant la caméra ici en France. Quand tu influences fortement une culture mais que tu ne te sens pas représenté, le préjudice est immense.
Nous voulons tous nous voir, en tous cas ceux qui nous ressemble, dans une direction positive, pas juste dans les pages football.
Comment vivez-vous l’enthousiasme des Parisiens à l’égard d’Afropunk après le succès de la première édition l’année dernière ?
C’est incroyable. C’est comme si l’on formait une seule et même famille tout autour du monde, et c’est vraiment un sentiment merveilleux. Mais cet enthousiasme fait aussi écho à un manque de diversité dans l’industrie musicale.
Notre intention était de créer un endroit sûr où tu peux venir sereinement que tu sois hétérosexuel ou homosexuel, noir ou blanc, et t’exprimer en toute liberté, sans que les autres puissent te juger. Et voir ce spectacle tout autour du monde est un signe extrêmement positif.
Quelle est votre règle en terme de programmation ?
Nous avons une règle : pas de règles. Les choses se passent naturellement. Ce matin je lisais un mail à propos de quelqu’un qui critiquait le fait qu’il y ait un peu plus d’hommes que de femmes programmés pour l’édition new-yorkaise. Et j’ai tout de suite commencé à compter un par un les artistes et classer selon les sexes pour vérifier car la parité est importante mais on ne pourra jamais satisfaire tout le monde car ce n’est pas une science exacte. On ne sélectionne pas les artistes en fonction de leur sexe, de leur nationalité ou de leur appartenance sexuelle.
Mais c’est quand même important pour nous d’avoir une programmation qui soit la plus éclectique possible, que ce soit en terme de style musical, mais aussi dans sa diversité culturelle. On a des artistes qui viennent du monde entier uniquement pour se produire ici à Paris sur la scène du Trianon devant un public qui lui aussi est international. Notre challenge réside dans le mélange et l’échange.
«Un honnête homme, c’est un homme mêlé » selon Montaigne qui valorisait le voyage et l’échange culturel, vous semblez partager sa définition…
Oui je suis d’accord, je suis moi même le résultat de mes voyages, de mes rencontres avec des gens différents avec qui j’ai réalisé que j’ai beaucoup de choses en commun.
Si je pouvais envoyer tous les enfants du monde en voyage, je le ferais sur le champ car ils réaliseraient que la différence n’est pas quelque chose de mauvais mais au contraire une richesse.
Et ce que l’on essaie de faire en proposant des artistes kenyans à New-York, ou des Brésiliens en Afrique du Sud, c’est justement de construire ces ponts culturels dont on a de plus en plus besoin.