Mouloud Achour revient avec Black M sur les lieux de son enfance, dans les beaux quartiers à Paris où il vivait dans une chambre de bonne. Après des débuts dans le groupe Sexion d’Assaut, et un premier album solo disque de diamant, le chanteur est de retour avec un deuxième album, Éternel insatisfait, sur lequel il a invité MHD, Gradur ou encore Shakira. Black M raconte ses débuts, les polémiques qui ont précédé son second album et les attaques qui accompagnent sa célébrité. Enfin, il laisse entendre que Sexion d’Assaut pourrait sortir un nouvel album… Affaire à suivre.
Mouloud Achour : Explique-moi ce qu’on fait dans le 7ème arrondissement de Paris ?
Black M : Qu’est-ce qu’on fait dans le 7ème arrondissement… On est là parce que…
Ici, c’est l’arrondissement du Bon Marché, c’est l’arrondissement…
Tu connais le Bon Marché ?
C’est l’arrondissement de La Grande Épicerie. C’est l’arrondissement « on a de l’oseille »…
Bizarrement, j’ai grandi là… Là juste devant l’immeuble où mon père s’est retrouvé quand il est arrivé. Il était là ! Tiens, on va passer devant, un peu plus loin. C’était une chambre de bonne, tout là haut : 7ème étage, une pièce. Après, on s’est retrouvé un peu plus loin, dans une loge gardien de l’autre côté. Et on s’est fait expulser de là-bas, pour des causes inconnues.
Pour aller où ?
Pour nous retrouver dans le 13ème arrondissement. Mon père et ma mère y sont encore.
Comment vis-tu cette expulsion, quand tu as grandi dans le 7ème ?
Tu ne comprends pas au début, tu sais pas ce qui se passe, surtout qu’on ne connaissait pas les causes de l’expulsion. Je rentre du collège, j’essaye d’ouvrir la porte, je vois que la serrure a changé. Je vois que les volets sont fermés. Et après, tout se passe très vite. On nous dit, « allez à la mairie du 7ème, on va vous aider. Vous ne pouvez pas comprendre tout de suite ». Moi, je suis petit, je ne capte pas trop. Et voilà, finalement, ma mère m’explique qu’on s’est fait expulser, qu’on va devoir être séparés un petit temps.
Et tu sais ce que je retiens de cette période ? Quand ils ont fermé l’appartement, j’avais mes places du premier Urban Peace à l’intérieur. J’étais petit. J’ai cassé les couilles à l’huissier de justice pour qu’il m’ouvre avant le concert.
Il ne voulait pas au début. J’ai insisté, insisté, insisté… Ils sont venus, ils étaient 8 keufs. Ils m’ont ouvert. Chaque geste dans la maison, ils étaient derrière moi, collés, pour voir si je n’allais pas faire un truc bizarre. J’ai juste récupéré ma place. Ils ont refermé. Je suis parti.
Écoute, j’espère que leurs enfants achètent tes disques !
C’est possible !
Comment, du coup, tu te connectes avec les autres de la Sexion ?
Ça arrive vers 2002. Et moi, juste avant ça, je suis ici. Je commence à dévorer le rap français : NTM, IAM, le rap de l’époque… C’est ce qui me donne envie de rapper. Donc je commence à rapper dans ce quartier-là.
Dans le 7ème ?
Je rappe, je raconte plein de conneries… Quand je les ai rencontrés, ils étaient déjà en train de rapper en pleine rue. Donc direct, ils m’ont mis dans le truc.
Moi c’est ce que j’ai aimé dans Sexion quand je vous ai vus arriver, comme tout le monde, avec les freestyles et tout ça… Je me suis dit : ce sont des mecs réunis par l’amour du rap.
Ouais c’est ça !
Je me suis dit « bon les mecs, ce sont des kickers entre eux ». Et ça se voyait que c’était un jeu de qui allait kicker derrière l’autre.
Qui allait kicker le mieux ! C’était ça le jeu : balance ton texte. Essaie de faire mieux que celui est passé juste avant.
On a l’impression que Sexion d’Assaut c’est fini, mais on reste toujours la même famille. On est toujours ensemble.
Tu es quand même extrêmement précautionneux de ton image. Tu fais attention à faire des choses qui soient audibles par tout le monde. L’image que vous donnez, elle est assez lisse, elle est assez carrée. Et pourtant, c’est toi qui te manges les polémiques.
Une fois que tu touches le grand public, on veut te chercher des histoires forcément. Et oui c’est bizarre. Je me suis mangé une rafale de polémiques là ces derniers temps, juste avant la sortie de mon album.
Qu’est ce ça raconte sur le pays ça ? On a l’impression qu’on est maintenant dans une régression telle qu’il suffit d’avoir une couleur différente et d’être exposé à un grand public pour qu’on te tape, c’est ça ? Est-ce que ça raconte quelque chose comme ça ?
J’ai l’impression que c’est un peu ça la forme : t’es black, tu réussis à être populaire, tu deviens populaire, eh bien on te cherche des histoires. En plus tu es rappeur. Parce que chez les acteurs il n’y a pas ça : je ne pense pas qu’Omar Sy, on lui prenne la tête.
Marion Maréchal Le Pen et des gens de l’extrême-droite ont ressorti le fait que tu as dit le mot “kouffar” dans un texte.
C’est leur force de chercher des choses qui ne sont plus d’acte aujourd’hui. En réalité, tu remets le truc 6 ans en arrière, et ça prend un sens totalement différent. Il n’y avait pas les mêmes significations qu’aujourd’hui, il n’y avait pas les mêmes problèmes. Après, peut-être que je ne suis pas au courant… Mais tu vois, il n’y avait pas les mêmes problèmes !
Ça voulait dire quoi dans ta bouche à cette époque-là, toi ?
À cette époque-là, je parlais des gens qui se voilent la face, tu vois ? Se voiler la face, dans un pays qui se voile la face, c’est ça que je voulais dire. Réellement. Et aujourd’hui, d’autres personnes l’emploient, c’est devenu quelque chose de très religieux et voilà. Je n’ai même pas envie d’employer le mot, parce que c’est des choses qu’on va me reprocher, alors que c’est pas du tout ce sens-là que je voulais donner à cette phrase à l’époque.
Tu es exposé et populaire maintenant. J’imagine que dans ta position, tu dois avoir en permanence des menaces d’extrême droite, des lettres d’insultes, des choses comme ça. Est-ce que ça t’arrive ?
Oui, bien sûr ! Durant la polémique, j’ai reçu des choses… tu ne peux même pas imaginer ! Après, je prends tout à la rigolade, heureusement pour moi ! Un mec sur Facebook m’a envoyé ses armes en photo, il m’a dit, “ça, ça n’est qu’un quart des armes que j’ai, si tu viens à Verdun, on va te rafaler !” J’ai fait une capture d’écran, j’ai tout envoyé à tout le monde, j’ai dit « regardez les mecs ils sont complètement fous ! ». Voilà, ça c’est un petit message parmi tant d’autres, j’ai reçu un tas de trucs !
Comment ça se passe quand un rappeur qui a grandi dans le 7e arrondissement réussit ? Il va habiter où ? Maintenant t’habites où, tu peux faire quoi de plus que le 7e à Paris ?
Moi, j’habite dans le 93 !
Mais non ?
Si ! Tu sais qui habitait ici ? Jamel ! Jamel Debbouze ! Une fois je l’ai croisé, j’étais avec un pote à moi. Il m’a dit “mais qu’est-ce que vous faites là, vous vous êtes perdus ?” On a dit “Non, on habite là”. Il a dit “Vous mentez !”. J’ai dit “Non, je te jure on habite là !”. Il a dit ‘’Qu’est-ce que vous faites là ? Comment ça se fait ?” Et après on a échangé. C’était à l’époque de son premier spectacle, je lui ai dit “Donne moi des places, je veux voir ton spectacle !” et il nous a donné des places et aujourd’hui je le connais ! Jamel, big up !
Jamel, big up ! Pour terminer, c’est quoi ta définition d’une clique ?
C’est la Sexion d’Assaut !